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Un cinquième pouvoir ?

par Hadj-Chikh Bouchan

Cette ouverture démocratique que l'Algérie vit, sur le plan des média notamment, a quelque chose de fabuleux. Inouï même. Voilà donc des journalistes et la fonction, bridés durant des décennies qui, en deux décennies, au prix de sacrifice et du sang, surtout, explosent et montrent du doigt ce qui ne tourne pas rond.

Le style et le ton ont changé. Pour des dinosaures de la presse, dont l'auteur de cette chronique, c'est une ère exceptionnelle. Ca le renvoie à une conversation avec un haut responsable militaire, à Paris, il y a trois décennies, pour lequel ? avant qu'il ne s'aligne ? le multipartisme était une folie, une dispersion d'énergies dans un pays qui a besoin de tous ses enfants, de la cohésion sociale etc. Tous les clichés éculés y passèrent. Je ne dirai pas ce qu'il fit quand il fut appelé à rentrer au bercail ni ce qu'il enfourna dans son conteneur. Ce serait anecdotique et, finalement, un copié collé de ce qui fut fait par ses prédécesseurs.

A ses arguments, il n'y avait qu'une vérité à lui opposer. L'Algérie qui fut, pendant longtemps, l'un des rares pays dans le monde à consacrer le quart de son budget à l'éducation nationale, méritait un peu plus d'air. Au bout de ces nombreuses années, nous voici en présence de plusieurs générations de jeunes femmes et jeunes hommes éduqués, parfois de haut vol, très au fait de ce qui se passe dans le monde, qui veulent ? comme me le disait un jour un chauffeur de taxi ? que ce pays rattrape l'Italie ou l'Espagne «parce que nous en avons les moyens financiers et humains». Elles sont arrivées à maturité. Elles veulent dire leurs mots, éprouvent le besoin de dire leurs angoisses et faire, surtout, des propositions.

Il était à craindre que ces medias - dont la création fut cependant encadrée ? ne soient que le bouchon de la cocotte minute pour expulser le trop plein de vapeurs populaires. Mais ils ont le mérite d'exister.

La presse a été et demeure, d'abord timidement, puis franchement, le support essentiel de cette expression. Pour un observateur hors du champ, ce qui frappe c'est la liberté de ton des commentateurs pour dénoncer les «hors ligne» dans la vie de tous les jours ou dans les actions gouvernementales, pour utiliser un euphémisme. Dans le même temps, ils ne disposent que rarement de moyens d'analyses et avancent trop peu souvent des propositions même lorsqu'ils expriment l'opinion d'un parti politique avec pignon sur rue, comme on dit. On plaide à charge. Il y a peu de journalistes qui sachent faire la part des choses. Uniquement des procureurs. A l'instruction des dossiers, pour utiliser la terminologie des cours de justice, inconsistante dont l'indigence des propos se le dispute à l'incapacité à formuler des propositions. On a envie de leur dire, «chiche», dites nous ce qu'il faut faire et comment le faire.

Des quotidiens ? il faut leur rendre justice - se distinguent dans cette galaxie en invitant des compétences reconnues pour aborder des sujets et proposer, souvent, des visions, des alternatives et des solutions. Il suffit de suivre, directement ou, à travers l'écran vidéo incorporé en leur site, ou par des articles, les rencontres qu'ils organisent, pour se dire que, finalement, les idées existent, elles sont là, à portée de neurones, Dieu merci, pour fouiller l'Algérie et les Algériens, et que des solutions, au terme de démonstrations souvent remarquables, sont proposées.

En dehors de cela, les dénonciations peu ou prou argumentées n'incitent souvent pas l'exécutif... à exécuter ou à corriger les distorsions. Pourquoi faut-il attendre, faute de transparence, que les scandales atteignent des sommets himalayesques - et soient dénoncés de l'étranger, le plus souvent, cas de l'ENI, de SONATRCH, de Lavallin, pour ne citer que ceux-là - pour que, pour une fois, la presse et l'exécutif, à l'unisson, interpellent les coupables ?

Pour ne pas se gargariser de dénonciations des torts de ceux-ci et de ceux-là, pour dresser le bilan de ces années de liberté, et ce qu'elles ont apporté, peut-être faut-il recourir à «la boite à bonheur» et «la boite à malheur». A nous interroger, quotidiennement, des actions entreprises, des défauts et diversions notés, et en tirer, tous les jours, les conclusions. Et veiller, dans la poursuite du bien commun, à l'intervention des autorités, le troisième pouvoir, comme on dit.

Une version de ce que le Prince enseigna à son enfant pour bien gouverner. Un Prince éclairé qui concentrait tous les pouvoirs.

Il fixa, sur un mur de sa chambre, une planche sur laquelle il traça, en son milieu, une ligne, un coté, dit positif, un second négatif, à coté desquels il posa une boite de clous, des tenailles et un marteau. Il dit à son enfant ceci : «chaque fois que tu seras responsable d'une mauvaise conduite, je viendrai enfoncer un clou dans la partie négative. Pour chaque action positive, j'arracherai le clou avec les tenailles pour le planter du coté positif avec ce marteau».

L'héritier, insouciant, continua de commettre des impairs jusqu'au jour où il se rendit compte que la partie négative n'était plus que têtes de clous visibles. Il prit donc la résolution de changer d'attitude. Et ainsi, chaque jour, un clou changeait d'endroit jusqu'au dernier.

Fièrement, il alla voir son souverain et père pour lui faire remarquer le renversement de situation. Il attendait des félicitations. Le vieux sage lui dit, «c'est bien. Mais regarde bien la planche. Dans la partie gauche, la partie négative, les traces des clous sont encore visibles».

IL Y A UNE VARIANTE MODERNE DE CE CONTE

Sur l'écran de nos ordinateurs, citoyens, tracez un tableau excell ou word composé de trois colonnes. Sur la colonne de gauche, relevez les brillants articles, incisifs, des confrères dénonçant, avec fougue et patriotisme, ce qui ne tourne pas rond dans un système qui se dit démocratique. Sur la colonne à coté, insérez les décisions prises par l'exécutif pour mettre un terme à la gabegie dénoncée. Enfin, dans une troisième et dernière colonne, indiquez les outils mis en place pour que ces fautes ne se répètent pas. En indiquant les moyens de contrôle mis en place. Observez les résultats.

Ne voyez vous pas trop de blanc sur les deux colonnes de droite ?

Que les dénonciations ont été dument relevées sans qu'aucune décision ne soit prise pour y mettre un terme. Qu'aucun outil juridique et législatif ne les a accompagné pour les éviter plus tard ?

Troublant, non ?

Essayer donc. Ca vous aidera à mieux voter la prochaine fois.