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Le crépuscule des certitudes

par Salim Metref

Terre chaleureuse, hospitalière et aux couleurs de l'arc en ciel, l'Al-gérie n'en finit pas de gémir et de subir de plein fouet le prix de l'incurie générale et de la désinvolture qui attisent la désespérance et provoquent les situations les plus dramatiques. Le recours au suicide, pourtant étranger à notre culture, comme ultime geste de protestation est annonciateur des dérives les plus dangereuses qui sont à craindre et à venir. Et la situation malheureuse que vivent les populations de Ghardaïa nous interpelle désormais plus que toute autre chose. Mais elle n'est pas spécifique à cette sublime contrée. Aucune région du pays n'est épargnée. D'est en ouest, du nord au sud, la mal-vie et la pauvreté s'installent et l'espoir s'amenuise. Qui des tailleurs de pierres de T'Kout, dans le pays des Aurès et qui continuent de mourir de maladies d'un autre âge, où des habitants du Sud qui ne veulent plus attendre car les torches pétrolières n'éclairent plus leur horizon pourra encore dire l'espérance. Les Ouleds Sidi Cheikh voient leurs Ksour's s'effondrer et ne restent plus que la poussière et le vent du Sud. Mais le danger n'est même plus dans la haine de soi qui reste somme toute une humeur qui peut être passagère.

Il est dans ce sentiment d'appartenance à un peuple et à une nation, qu'il faut consolider et nourrir par une gouvernance intelligente qui se fonde sur le respect des libertés fondamentales, la justice et un développement harmonieux équitablement réparti, qui peut s'effriter et qui en s'estompant ouvre une brèche à la décrépitude, pire au démembrement.

Souvenons-nous de la grande Yougoslavie dont la puissance et la force de feu étaient redoutées en Europe. A force de désinvolture, d'injustice et de fuite en avant, elle fut dévorée par l'émiettement et même le Monténégro décida de la snober et de faire bande à part. Notre pays est un immense territoire, parfois encore sous-administré, qui subit tant les turbulences internes, engendrées par la bêtise de la cooptation, l'incompétence et l'appétit des prédateurs, que les incertitudes et convoitises externes.

Il faut vite nous ressaisir et apprécier à leur juste valeur les erreurs qui continuent d'être les nôtres.

Elles sont nombreuses et nous continuons à ce jour d'en payer le prix. S'il faut continuer de revisiter notre histoire et apprécier les effets et les séquelles de la période coloniale, il ne faut cependant pas oublier d'assumer la part de responsabilité qui est la nôtre dans la situation actuelle de notre pays. En 2092, quand nous aurons 132 ans d'indépendance, sans pétrole, avec peut-être cent millions de bouches à nourrir, quand nous n'aurons plus ou pas assez de terres fertiles à cultiver, pas assez d'eau, que la fin de la récréation aura sonné et que nous aurons vécu 132 années d'indépendance et 132 autres de colonialisme, quel bilan devrions-nous faire ? Notre égoïsme et notre aveuglement ne doivent plus nous voiler la face. De nombreuses incertitudes nous guettent et assombrissent l'horizon. Des questions demeurent encore sans réponses. Nous devons dès maintenant y réfléchir et nous résoudre à les prendre en charge et à construire des réponses. Partout dans le monde, l'intelligence est au service de la prospective et des modèles prédictifs de développement sont conçus. Les projections et perspectives se font désormais sur cinquante ans, voire un siècle. Et ce n'est que sur ces bases que doit se projeter l'avenir.

L'arrogance ne nous sied plus. La prédation ne nous sauvera pas des dangers qui nous guettent. Nous devons à tout prix éviter de devenir un jour un pays seul, sans richesse, sans jeunesse et sans alternative. Nous deviendrons alors une proie facile et les hyènes rodent déjà aux alentours. Que Dieu nous préserve de ces sombres perspectives.