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Après la brume, l'incertitude

par El Yazid Dib

Rolihlahla « Nelson» Mandela est mort jeudi 05 décembre 2013. Ce grand homme a réussi à mettre l'Afrique au cœur du monde. Annoncée peu vers 23 heures, sa mort a donné lieu à une avalanche de réactions à commencer par le président des Etats-Unis d'Amérique, du SG de l'ONU, du président français, de la chancelière allemande, du Premier ministre anglais, des responsables chinois, des différentes personnalités du monde entier.

Les élections auront lieu à l'échéance prévue. Les électeurs sont convoqués à cet effet. Mais ce n'est pas en fait une fin en soi. Le jeu est dans le temps. Peu importe la candidature ; l'essentiel étant dans l'avenir postélectoral.

L'année 2013 ne s'est pas finie sans laisser de traces. La plus importante demeure ce brouillard qui campe au sommet de la hiérarchie. L'on ne sait plus à quelle doctrine se vouer.

Les présidentielles sont à la porte, comme le serait le ramadhan au seuil de chaabane. Le qui-vive fait tracer de nombreux contours aux visages les plus rapprochés. Plusieurs candidats d'une part et un énorme silence d'autre part sont les indicateurs permanents d'une échéance qui n'arrive pas bien à faire situer les uns et les autres. Pourtant l'on doit se dire que pour un Etat qui affirme avancer vers la dextérité du droit, rien ne devra empêcher ses acteurs à être plus évidents et moins opaques. La société nationale dans sa globalité n'a d'œil en cette péroraison annuelle que vers une incertitude d'un lendemain aussi incertain que la nouvelle année en cours. Des grèves sont annoncées dans les lycées, des valorisations salariales attendent le moment propice pour s'exprimer et le tout reste suspendu à l'angoisse d'un dinar qui ne peut résoudre le dernier des soucis dépensiers d'un quelconque ménage. La déflation érode les menus ultimes espoirs.

En fait ce ne sont pas exclusivement les prochaines joutes qui dérangent outre mesure l'esprit citoyen. C'est tout un ensemble bizarroïde de conflits institutionnels, de choix conjoncturels et de politiques factuelles qui émaillent la réflexion, si elle subsiste de chaque individu. Car la réflexion en question, tient à s'articuler sur deux essieux différents. L'un banal et usuel, mais profond et philosophique consiste à voir l'état de nos routes, l'insécurité, le viol et le rapt des enfants, le partage du logement, la profusion de documents administratifs, la maladie de la santé et l'inhospitalité des hôpitaux, le coût de la vie, la rareté de l'eau, l'obscurité des quartiers secondaires. Ce plan de vue est le constat de tout un chacun. La liste est éternellement élastique. On peut y rajouter à satiété la mal vie, la drogue, la saleté des villes, l'encombrement des trottoirs et la précarité des jours qui se suivent et se ressemblent. L'autre essieu de la réflexion, plus exercé va se fixer sur l'incompétence de la gouvernance. Là, en ce discours l'on n'est plus au constat simplement citoyen mais l'on avance, tant mieux vers un domaine qui fonctionne en finalité grâce à ce même citoyen. Ainsi, ici on analyse les causes tout en passant sur les effets. Tous les griefs retenus dans le premier sont la mauvaise production du second. C'est à peu prés le monde des anges et des démons. La sphère des contradictions, voire l'avis donné à partir d'une position. La guerre des tranchées. Opposer à tout argument ou action un argument ou une action de force égale paraît engendrer inévitablement un paradoxe. Faire une contre-politique vis à vis d'une politique de même nature, dont seuls les moyens ou les auteurs divergent ; peut constituer, par réflexion un paradoxe.

Le monde des gens à esprit simple n'est plus paradoxal que celui des gens à simple esprit. L'expression intimiste sur des faits et des réalités procure le soin curatif quand Satan désire faire taire la parole séraphique. Sinon comment explique-t-on le discours tenu jusqu'à présent par les leaders politiques nationaux ? Je mange ou je critique, je siège ou je dénonce, je gère ou je blâme, je m'avantage ou je reprouve enfin je gouverne ou je m'oppose, telle est la devise en cours d'usage. Elle a fait beaucoup d'émules et crée toute une école de contagion et de transmission génétique que tentent encore de fréquenter les élèves exclus et se fait davantage désirer par les nouvelles recrues. Voir les parlementaires encore demander, et ils les auront ; de nouvelles dispositions soldatesques et honorifiques, ouvrir un temps ses tympans à d'anciens ministres non reconduits fustigeant le pouvoir, s'étourdir à écouter les gémissements élogieux d'autres à l'envie toujours éveillée de gagner prochainement une place au soleil ; n'a pas besoin d'une réflexion à double essieu. Le pire des insanités politiques c'est de revoir encore ces visages émaciés qui renaissent au bout de chaque quinquennat et viennent, chaines privées à l'appui, remplir les plateaux. Que de promesses ne furent lancées des années durant !

Le " tchittine " est devenu à longueur d'année la meilleure politique à prodiguer envers les masses.

La contradiction polymorphe se confirme de jour en jour, s'accumule et devient d'année en année un fardeau que l'on se rappelle dès que la fatigue vous terrasse.

L'oubli de promesses faites aux masses relève d'une stratégie diabolique. La diablerie chez nous se veut fatalisme dans la mesure où c'est le citoyen qui doit rendre des comptes de son hygiène par devant son gouverneur de cité, l'administré qui suit, s'incurve et glorifie l'administrateur. Pour essayer de comprendre la contradiction, l'on s'épuise à revendiquer, en vain les débats contradictoires.

Le sens unique nous épuise davantage. Antagonisme d'un coté, contradiction du même coté ; une logique certaine doit se faire sur une affirmation scientifique. Soit deux plus deux ne font pas quatre, mais font la résultante de huit moins quatre.

Nos dirigeants et leaders successifs craignent le kif-kif. Pour le même sens, la même amplitude dans les définitions ; ils préfèrent en toute jouissance maso-sadique, la différence des adjectifs qualificatifs. Sauf que pour " démocratie " la formule labiale reste partagée par tous, mais tous ne l'exercent pas uniformément, si ce n'est que tous ne l'ont jamais exercée. Rester plus de vingt ans à la tête de son parti c'est loin de s'inscrire dans l'alternance au pouvoir tant réclamée.

Tout semble nous inciter à ne plus croire en des idéaux émérites et nobles soient-ils car ; malmenés et bafoués par la pourriture et la souillure de certaines personnes de partis qui persistent à croire quand bien même à la crédulité citoyenne et à la naïveté populaire. Par essence et par tradition le parti se définit comme étant un appareil légal d'obtention et d'accaparement du pouvoir d'une façon légitime et qui ne prête à aucune confusion. Ses militants sont les gouvernants en cas de victoire. Le cas contraire, l'opposition active et légitime aussi en est leur citadelle. Or par médiocrité et par sournoiserie, ce n'est pas de la sorte que fonctionnent nos partis. Un président consensuel, des ministres sans idéal, un parlement décrié, un premier ministre sans parti, des chefs de partis automates ministrés etc. khalouta. Tchektchouka.

Chacun par son programme compte trouver des correctifs aux contradictions flagrantes de son prédécesseur. Ainsi à une finalité politique, les appellations sont imprécises, et la dextérité sémantique est dans les détails du plan. Trouvez-vous une différence linguistique ou sémiotique substantielle aux vocables suivants : rahma, houdna, ouiam et moussalaha ? ne cherchez pas trop ; la différence est ailleurs ; existante, sensible et visible autant que les concepteurs de ce que dissimule cette terminologie sont différents l'un par rapport aux autres ou l'un par rapport à lui même ! Dieu fasse régner en temps réel, loin des maux et des mots ta miséricorde ainsi que ta clémence, car comme disait Ibn Nubâta orateur célèbre à la cour de sayf al dawla vers le x siècle: " si les épées tranchent les nuques, elles échouent à faire ce que peuvent les aiguilles ".

Le brouillard qui depuis la maladie du président ne cesse de s'accroitre quant à l'avenir immédiat du pays n'est pas l'unique raison pour que l'espoir ne puisse renaitre en nos parois. J'ai vu des nations dont l'histoire raconte les pires atrocités subies ; vaincre par l'obstination citoyenne et d'hommes déterminés leur sort maléfique pour s'inscrire depuis dans le registre des nations civilisées ou en voie de se construire. Istanbul, en Turquie est un espace de haute tolérance. Les centaines de mosquées indiquées de loin par leurs longs minarets n'éclipsent pas toutefois les milles et un bar installés dans les deux milles hôtels de la ville. Une société qui est fière de son ancrage historique.

Elle ne s'arrête pas tout juste à l'empire ottoman, elle prend aussi en charge le legs des autres civilisations et religions qui s'y sont établies.

Or chez nous, l'Etat semble officiellement commencer de l'Emir Abdelkader pour finir à nos jours. Quand les turcs parlent de l'un des leurs et le fixent dans la profondeur du temps, nous on se limite à 1883 date du décès du grand Emir, omettant au passage ; l'inter-présence de grands chefs amazighs que furent Massinissa, Imadghacen, Tacfarinas, Jugurtha... Si eux vous font visiter la mosquée bleue, le grand bazar, le palais royal Topkapi ou la plaine des mariées, nous, nous devons s'approprier tout le patrimoine fixé sur notre terre, sans distinction ni de religion, ni d'ethnie. Sinon qu'aurions-nous à leur faire visiter à notre tour ? La mosquée Ketchaoua ? Makam Echahid ? Les ruines de Cherchell ?.. Nous leur dirions, avec fierté que nous sommes un Etat jeune et nous leur narrions la révolution de novembre. La nation que j'ai visitée, sa population servait des siècles durant des sultans tour à tour et mourait pour eux jusqu'à l'arrivée d'un homme en 1923 qui allait changer carrément de cap. Atatürk créa la nouvelle turque moderne et l'installa dans la voie du progrès républicain.

L'autre mal endémique qui altère la société en dehors de l'aspect politique c'est la logique du fonctionnement de cette même société. Finies les bonnes habitudes d'antan pourtant entretenues sans forte référence religieuse, comme la pardon, la solidarité, la confiance, la sécurité et l'assurance en soi et en autrui. Maintenant le barreaudage s'installe entre un voisin et son voisin, et se fortifie entre un frère et son frère. L'héritage divise plus qu'il ne rassemble. L'administration continue de bouffer à volonté de la paperasse et malgré le rajeunissement des cadres qui s'opère timidement, ceux-ci se flanquent derrière des ombres parraineuses au lieu de l'être face à un mérite ou une excellence.

L'investissement n'est vu que dans son volet de remplir des assiettes foncières grignotées malheureusement sur des terres agricoles laissées expressément en désuétude. Dans mon pays j'ai vu des produits manufacturés dans la nation que j'ai visitée.

J'ai vu aussi des entreprises étrangères au labeur chez nous. Par contre je n'ai pas vu dans la nation que j'ai visitée un produit algérien ou une œuvre d'origine entrepreneuriale algérienne. En guise de consolation j'ai eu recours à la jeunesse de mon Etat. Mais c'est cet état de l'Etat qu'il se faut de reconnaître et non verser dans l'euphémisme criard du gigantisme pour mourir dans la queue des classements mondiaux. Les potentialités existent, les fonds aussi que reste-t-il pour amorcer encore une étape dans le parachèvement de la construction nationale. L'assurance et la certitude.

Donc cette incertitude n'est pas directement liée au brouillard qui jonche le sommet des hiérarchies. Elle ne se relativise pas dans la chronologie d'un homme, mais se miroite dans la prospective d'une politique à long terme. Absente, car événementielle cette politique ne fait que rapiécer au jour le jour des profils et distribue la rente éphémère.

Enfin la convocation du corps électoral ce jour ou demain ne lèvera pas de si tôt le voile qui obstrue la vision des lendemains casuels sur pas mal de plans.