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De l'abus du droit d'informer

par Abdelkader Leklek

J'ai beaucoup de respect pour la presse et pour les gens de presse, car j'ai connu l'époque où, en accomplissant leur travail, ils respectaient et se faisaient respecter, me répondait chaque fois Hama El Fahem, quand je ronchonnais sur les contenus, quand je pestais sur le style ou bien j'épiloguais sur la sémantique, qui ont intempestivement envahi l'espace médiatique, depuis sa démocratisation en Algérie.

Aidé par les nouvelles technologies de l'information et de la communication, cette massification des outils de transmission, parce que très mal utilisée a carrément désœuvré et avili le noble métier d'informer. Le droit de l'information, devenu le droit de la communication, concerne le contenu de ce qui est diffusé, et qui évoque directement l'objet de l'information.

Chez nous, cette évolution des techniques et des supports, au lieu de valoriser les contenus de l'information, les ont au contraire dévoyés en ne contrôlant pas ce que véhiculent les contenants. Et, souvent en autorisant des contenus qui agressent, volontairement sinon par omission, la sensibilité de l'actualité et qui provoquent des crises, à lourdes conséquences, pour des victimes qui n'ont rien à voir avec ces contenus divulgués.

Qu'il s'agisse de diffusion sur support papier, audiovisuel ou bien numérique. Ainsi, et pour ne prendre qu'un exemple récent ; si pour le moment, des parents ont décidé, sous toute réserve, puisqu'aucune donnée sur le nombre n'est disponible, que leurs filles n'aillent plus à l'université, depuis la diffusion d'un reportage par la chaine télé En-Nahar, présentant les cités universitaires pour filles, sans distinction aucune, comme étant des lieux de débauches. Il est légitime de se demander, quel en est le tort de toutes ces jeunes filles qui seraient ainsi privées d'études supérieures, parce que des journalistes de cette chaine auront décidé qu'il en soit ainsi, bien évidemment avec l'aval formulé ou bien implicite, de la direction de ce média ?

Souvent également des journaux arabophones particulièrement, sur support papier, font dans le mélange, les amalgames et les confusions attentatoires. Par deux fois, avait noté Hama El Fahem, dans les rubriques boulevardières de ces journaux, il est accolé à des informations, supposées exclusives, des photos des personnes autres que celles dont il s'agit, et parfois accusé de quelques forfaits réels ou bien virtuels. Comme parfois aussi, osé bidouiller une image, parce que la technologie le permet, et montrer des gens qui ont la tête baissée, ou clignent des yeux, comme dormant profondément, au cours de réunions ou de meetings, pour leur porter préjudice. Les professionnels de la communication disent tout le temps que l'information doit être complète, impartiale exacte et pratique.

Elle doit aussi être mise à jour et actualisée en permanence. En conséquence donc, où se situe le reportage sur les cités universitaires par rapport à ces conditions, j'allais dire, par rapport à ces principes ? Monsieur le ministre en charge du secteur de l'enseignement supérieur avait réagi au tollé qu'avait soulevé cette diffusion, en disant :'' cette chaîne a fait dans l'approximation et le manque de professionnalisme, le fait que le reportage condamne, sans exception, toutes les filles qui vont à l'université. Au delà de la polémique engendrée, la chaîne En-Nahar TV, n'a même pas pris en compte les dégâts qu'elle peut engendrer, particulièrement aux étudiantes''. Pour ce qui concerne les visées politiques et idéologiques qui étançonnent cette soit disant enquête exclusive, le ministre ajouta, en pourfendant cette chaine, que : ?' il y a manifestement dans cette action, une volonté de saborder l'effort mené par l'État et surtout les efforts entrepris par la société toute entière''. Effectivement, dans toute entreprise il y un soutènement idéologique. Et cette émission n'en échappe pas. Les promoteurs de cette façon de communiquer, sans le dire, s'attribuent un rôle, un office voire un sacerdoce, dont ils ignorent tout, exception faite des battages militantistes et de la propagande activiste, primaires et simplistes, convaincus de défendre des valeurs, qui se perdent selon leurs propres canons et qui en conclusion, font la perte du pays.

Et pourquoi pas, tant qu'on y est, provoquer des catastrophes, des séismes, des tremblements de terres, des inondations et autres calamités naturelles, comme ils semblent l'insinuer.

Quand la communication devient congréganiste, entre les mains de moines déguisés et de nonnes grimées en journalistes, la liberté des gens et celle du pays tout en entier est en danger.

C'est le philosophe français, Luc Ferry, qui en exposant son idée sur liberté, convoquait le 26 mai 2013, lors du 7ème festival de Philosophia de Saint Emilion, les philosophes, Pic de la Mirandole et Jean Paul Sartre, et disait : ?'pour l'humaniste, la splendeur de l'homme repose sur sa capacité à s'arracher à tous les codes pour construire son destin. Cette conception de la liberté est liée à une définition du propre de l'homme comme néant que développe Sartre''. Alors pour ceux qui sont convaincus de détenir la vérité et qui aspirent à régenter les libertés dans le pays en pervertissant l'utilisation de cette technologie libératrice, qui donne à l'être humain la possibilité d'être informé, ce droit de l'homme. Il y a tromperie sur les buts et sur les finalités de ce droit fondamental.

Les gardiens de la morale et du pur puritanisme et leur extrême pudibonderie, détournent des moyens et des outils de la démocratie pour imposer leurs dictats. Notre ami Kamel Daoud le criait en direction de monsieur le président de la république, dans une lettre ouverte le jeudi 19/12/2013, dans les colonnes du quotidien d'Oran. Comme un écorché vif Kamel, interroge le président en lui disant pourquoi laissait-il ces gens là, maquer le pays et ses libertés au nom de la croyance ? Oui, car malgré les contours imprécis de loi organique n° 12/05, du 12 janvier 2012 relative à l'information, l'autorisation administrative de créer des télés privées et aussi des journaux ne donne pas licence et, n'affranchit pas également pour autant, les patrons de presse et les journalistes, de toutes retenues pour commettre des jusqu'au-boutismes forcément calamiteux dévastateurs et à plus d'un titre dommageables ? C'est Pierre Bourdieu qui disait en 1996 ceci :''un groupe dont les responsabilités sont aussi importantes que celui des journalistes, se pose explicitement le problème de l'éthique et s'efforce d'élaborer sa propre déontologie''. La nouvelle loi consacre, pas moins de 27 articles, sur ses 133, à la profession de journaliste, à l'éthique et à la déontologie. Que dire alors de ces nouvelles de télé, qui croyant passer un scoop à leurs téléspectateurs, en leur exposant le corps de deux jeunes gens, fracassés et désarticulés, gisant dans leur sang les yeux écarquillés, ayant chuté des tribunes du stade du 5 juillet, sans aucun respect pour les victimes et pour tout un chacun des hommes et des femmes d'Algérie et d'ailleurs. Cette loi fait expressément interdiction aux professionnels et aux pigistes de violer la vie privée, l'honneur et la réputation des personnes.

Elle leur prohibe aussi de violer même partiellement, directement ou indirectement, la vie privée des personnalités publiques. Ceci étant, une bonne parti de cette corporation fait fi de ces dispositions légales et s'érige en justicier défenseur d'un moralisme prosélyte et d'une incorruptibilité militante qui se trompe de siècle. Au lieu de cibler une population définie, en l'informant, certains, ciblent et attaquent les faits et gestes de personnes précises pour défendre une idéologie, accentuant le trait, à la façon du vengeur et à la manière du redresseur de torts, commanditaire d'anathème. Et malgré ce que prévoit la loi sur l'information comme sanctions, beaucoup d'écrivassiers continuent de fouiller sur des affaires qui une fois publiées, au-delà du sensationnel qui dure l'espace d'un matin, font beaucoup de dégâts, comme les désordres au sein de toutes les cités universitaires, ainsi que les troubles et les bouleversements des centaines de milliers de familles algériennes, qui désormais doutent, se méfient et soupçonnent leurs filles et tout le système universitaire. Alors que la famille de la presse avait en Algérie, durant la décennie noire, cher payé cette liberté d'informer, comme condition vitale à la pratique démocratique, pour rapporter ce qui se passe, et faire profiter de ce droit le nombre le plus large de personnes. Cette corporation offrit pour arracher ce droit, beaucoup plus au profit des autres, qu'au sien ; pas moins de 100 journalistes hommes et femmes, toutes et tous à la fleur de l'âge. Mais pour les plus jeunes, ceux qui aujourd'hui s'érigent en censeurs des consciences et des façons de vivre que chacun aura choisi, sans l'imposer aux autres, ils auront failli en bazardant et en liquidant cet héritage acquis au prix du sang, du veuvage des centaines de dames et de condamnation de milliers d'enfants à l'orphelinat, parce que leurs parents avaient choisi de diffuser des contenus informatifs au pris de leur vie, et s'étaient interdits de commenter la vie des autres. Est-on en Algérie condamner de dilapider tout ce que les sacrifices des ainés, nous ont légué ? Ce n'est ici, ni de la nostalgie, ni de la mélancolie d'une époque finie. Ces symboles, ces modèles que véhiculent le dévouement, le désintéressement, et la générosité allant jusqu'à offrir sa vie dans une société, comme dans une profession, sont faits pour imprimer et transmettre un cadre de références pour ceux qui arrivent, afin de s'en inspirer, pour ne pas gaspiller et gâcher des acquis chèrement payés.

Doit-on faire faire table rase de ce don, oh, combien rarissime par les temps qui courent, qui consiste en un renoncement complet de soi, mais en causant moult peines, chagrins, voire châtiments aux siens, pour qu'autrui en bénéficie ? Il y a beaucoup de valeurs humaines, non négociables et non monnayables. Quel gout aura la célébrité journalistique achetée en bazardant le râle de jeunes agonisants écrasés sur le froid béton d'un stade ? Quelle saveur aura une notoriété, éphémère du reste, procurée sur l'atteinte à la dignité, à l'honneur et l'avenir des filles des cités universitaires, qui n'avaient que cette soupape pour respirer la liberté qu'assurent les études ? Cela sent l'intention pernicieuse. C'est le philosophe Michel Onfray qui disait :'' nous sommes ce que nous faisons de nous'', sous entendu quand nous mettons en pratique ce que nous avons appris, lu, écrit et médité, pour vivre notre pensée. Ces jeunes journalistes, captant à l'aide de leur appareil numérique la station d'un responsable, sois disant assoupi et lui faire porter la responsabilité de tous les malheurs des algériens. Ou diffusant des images de jeunes supporters dépérissant, le souffle de la mort sur le visage, en arguant de l'exclusivité professionnelle. Sinon filmer, en abusant de la confiance des autres, les escapades de trois jeunes filles résidentes en cité universitaire, combien même arrosée et les présenter comme étant la source de toutes les débauches, de toutes les dépravations et de toutes les impudicités. Cependant, et ceci étant, qu'elles en sont au final les véritables victimes ?

Ceux et celles qui sans posséder les outils du discernement, déterminant dans la profession de journaliste, faute de compétence, entendue comme étant les capacités et les aptitudes de faire quelque chose convenablement, s'y croient, parce que porteurs d'une carte professionnelle. Ou bien, sont-ce, ces quelques jeunes filles en mal de défoulement légitime, dans un désert qui n'offre à travers ses 2 400 000 kilomètres carrées, aucun espace de distraction et de délassement, aux jeunes, filles et garçons ? S'il est reconnu, même théoriquement, à tout le monde le droit de s'exprimer, parce que ce principe participe à l'implémentation de la démocratie et à sa pleine réalisation. Démocratiquement aussi, tout un chacun doit paradoxalement respecter certaines restrictions. En l'occurrence, cette liberté d'expression par la diffusion est soumise aux conditions qui interdisent l'incitation à la violence morale ou physique contres les individus, la diffamation et la calomnie. Le droit d'informer, la liberté de communiquer est connexe à la liberté d'expression. C'est ce crédo que nombreux communicants pris en faute, présentent comme moyen de défense imparable puisque contenu dans la déclaration universelle des droits de l'homme en son article 17, et aussi dans la constitution algérienne. Néanmoins faudrait-il leur expliquer que ce qui est contesté, ce n'est pas ce droit en lui-même, mais les façons dont on use et en abuse. Point de bien dans l'excès dit un adage. Et là, la boucle est bouclée, puisque la démocratie, le moins mauvais des systèmes d'organisation sociétale, disent les spécialistes, est justement celui qui est né pour modérer tous les autres extrémismes. Comme nul n'a le droit en démocratie d'empêcher les journalistes d'exercer leur métier, par l'intimidation, et par toutes les sortes et les formes de violences; la quantification et la mesure de cette référence est un indicateur fiable du respect de toutes les autres libertés fondamentales, dans l'espace où elle se déroule.

Il également exigé aux journalistes pour l'équilibre démocratique, qu'ils respectent à leur tour, certains principes aussi anciens que l'avènement de la presse, mais qui tardent à se généraliser. Je rappelais donc à ce sujet, à Hama El-Fahem, ce que des journalistes avaient sans interférences extérieures, décidé pour que leur profession soit celle d'informer en rapportant ce qui se passe, pour éclairer l'opinion publique dans toutes ses sensibilités. Ils se sont pour ce faire, astreints à l'esprit critique, à la véracité, à l'exactitude, à l'intégrité, à l'équité, à l'impartialité, comme piliers de l'action journalistique. Comme ils se sont inversement astreints à prendre l'accusation sans preuve, l'intention de nuire, l'altération des documents, la déformation des faits, le détournement d'images, le mensonge, la manipulation, la censure et l'autocensure, la non vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles. Dans la majorité des chartes élaborées par des journalistes, ceux-ci s'obligent à ne jamais confondre aussi, leur rôle avec celui de policier ou bien de juge. Et bien entendu, jamais à cours de réparties, et en sentinelle avertie, Hama ne jugeant en aucun cas, préférant la métaphore comme réponse à nos problèmes quotidiens, me rapporta pour la ixième fois cette anecdote sur les relations entre Sartre, philosophe et journaliste, et de Gaulle président. L'ami des transporteurs de valises du FLN historique, et signataire du manifeste des 121,ou de la déclaration sur le droit à l'insoumission dans la guerre d'Algérie, du 06 septembre 1960,en réalité, une remise en cause de toute la politique de Gaulle, attaquait tous les jours dans ses écrits journalistiques, sans répit le général et n'en démordait pas. Alors pour contrer ces virulents détracteurs, son ministre de l'intérieur, proposa alors à de Gaulle de mettre Sartre, leur chef de file, en prison. Ce à quoi le président français rétorqua par cette formule demeurée célèbre depuis : ?' On n'emprisonne pas Voltaire''. Et toujours égal à lui-même, Hama acheva sa tirade, en me disant que n'est pas Voltaire, ni Sartre, qui voudrait aussi. Sacré Hama, toujours le dernier mot, éclairé.