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Etre journaliste

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Au moment où le pays va connaître, espérons-le, une deuxième «révolution» médiatique, après celle d'avril 90 qui avait permis , le (seul, hélas) passage à la liberté de la presse écrite, avec la libération du paysage audiovisuel national (gageons que, quelles que soient les entraves juridiques, la musique va aller plus vite que le chef d'orchestre), il serait intéressant, pour chacun d'entre nous, et les journalistes et les décideurs politiques tout particulièrement, de revenir sur les expériences passées, lointaines ou proches ou actuelles, pour rechercher et trouver les causes des réussites ou des échecs. Trois ouvrages. Trois moments forts. Vivement le futur proche pour le quatrième. En espérant que les choses se passent dans la sérénité et la compréhension pour ne pas laisser l' «extérieur» et l' «étranger» nous «envahir» et nous déposséder , peu à peu, de notre liberté de penser, de dire, d'écrire et de faire.

Médias et liberté d'expression en Algérie.

REPERES D'EVOLUTION ET ELEMENTS D'ANALYSE CRITIQUE.

Essai de Belkacem Mostefaoui (préface de Me Abdennour Ali Yahia). El Dar El Othmania, Edition et Distribution, Alger 2013. 241 pages, 600 dinars.

On ne pouvait avoir mieux en «Analyse critique des médias nationaux», une matière enseignée en séminaire à l'Ecole de journalisme d'Alger dès le premier semestre de magister. L'ouvrage conjugue la démarche rigoureuse du chercheur ; les qualités réflexives du chroniqueur spécialisé (qu'il fût et que l'on aimerait tant revoir dans un journal) ; et la curiosité de l'observateur impénitent et du sociologue des médias (ce qu' 'il est dans sa vie professionnelle)

Il a tout examiné, tout «balayé». En se référant à de nombreux exemples, souvent oubliés mais qui constituent des étapes absolument essentielles ( à connaître , tout particulièrement par les nouvelles générations de citoyens et de journalistes) pour savoir que la liberté d''expression a été et est (encore) un combat permanent? bien dangereux souvent. L'auteur fait le «point» (en mettant, au passage, les points sur les i car le chercheur est connu pour sa droiture, mais aussi pour sa sévérité politique et universitaire) sur l'évolution d'un secteur, de plus en plus compliqué, et où la visibilité est de plus en plus réduite, en raison du «brouillard» politicien entretenu par un système qui n'arrive pas à se dépêtrer du poids du passé , qui s'enfonce dans ses contradictions internes, et qui rencontre d'autres nouveaux (et parfois inavouables) intérêts.

Avis : Un ouvrage destiné certes d'abord aux étudiants et aux professionnels de la presse et de la communication, mais tous les autres concernés ont grand intérêt à le lire. Un travail de documentions et de réflexion sur deux modes : celui de l'essai et du manuel à but pédagogique. De l'aveu même de l'auteur. C'est tout dit !

Monsieur l'éditeur ! Attention à la qualité du travail livré. Il y va de votre image de marque.

Extraits : «Il faut savoir ce qu'il faut faire, quand on le sait il faut avoir le courage de le dire, et quand on le dit, il faut avoir le courage de le faire» (Me Ali Yahia Abbdennour, Préface, p 11), «La majorité des patrons de presse sont comme happés par la tentation de faire fabriquer des journaux sans journalistes et, à la limite, sans forcément beaucoup de lecteurs, non plus» (p76)

TEMOIGNAGE. 10 ANS DE PRESSE 1962-1972. Etude de Youcef Ferhi. Editions Dahlab, Alger 2013. 380 pages, 1000 dinars).

C'est vrai. Il est très dur d'avaler les façons de faire de bien de nos décideurs qui, après vous avoir «pressé»» comme un citron et avoir exploité votre soif de bien faire, au service, le croit-on et le dit-on toujours, du citoyen , du pays et de l'intérêt général , vous «vident» comme un malpropre . Méthode toujours de mise, mais pratiquée largement durant les années 60 et 70. Et, gare aux abattis de celui qui osait «l'ouvrir» !

Longtemps directeur d'Algérie Actualités, Youcef Ferhi est une de ces (innombrables) victimes.

Dès 1962 , il est parmi ceux qui, journalistes, permirent à la presse nationale de naître (savez-vous que le 19 septembre 1962, à deux heures du matin, naissait Al Chaâb» le premier quotidien national de l'Algérie indépendante, en langue française ?... avec Mohamed Khider, Salah Louanchi, Serge Michel, Noureddine Tidafi, Arabdiou, Mahiout, Hached, Laribi, Ameur, Hadj Ayad, Djamel Amrani, Khaled Safer? Noel Favrelière, Hafied, les deux frères Allouache, Haroun? dans des locaux situés Rue de la Liberté, juste avant occupés par l'Etat major de l'Armée française. Savez-vous l'histoire du Chameau prolétaire de Kateb Yacine ? ) et de se développer dans un inextricable fouillis de difficultés techniques et matérielles? et, bien sûr, politiques, la moindre erreur étant vite, trop vite sanctionnée. Soit le journal était suspendu (cas d'Alger ce Soir avec toute une histoire, tout du moins celle colportée par la rumeur publique, de photo de la face cachée de la lune et du portrait d'un ministre susceptible), soit le journaliste était écarté? Dans son livre, il raconte tout. Vraiment tout. Des noms (de journalistes, de responsables, de ministres, de? avec des phrases parfois très, trop sévères pour certains et bien, trop bien amicales pour d'autres)? On le sent, il fallait qu'il le fasse, ce bouquin. Pour préciser, pour rectifier, pour dénoncer, pour crier sa révolte et pour, aussi, mettre en exergue tous ceux qui ont contribué positivement et «objectivement» à l'essor de la presse nationale.

Journaliste un jour, journaliste toujours. Il est viré. Ses capacités ont exploitées ailleurs (auprès du colonel Aouchiche, entre autres, dans le secteur de l'Habitat)? et il revient, en 1994, Pdg de l'hebdomadaire sportif El Mountakhab? qui ne tardera pas à «couler»? comme Algérie Actualités et bien d'autres titres.

Avis : Malgré le prix de vente élevé (pour un ouvrage à grande valeur documentaire, mais à faible valeur technique), le livre reste très intéressant pour les étudiants et les chercheurs en communication car il restitue avec force détails (parfois inutiles pour le commun des lecteurs) la réalité du pouvoir politique et médiatique de l'époque. Mais, trop, vraiment trop, de coquilles? et une qualité technique moyenne (avec même une page blanche, la 234. Peut-être les premiers exemplaires ?)? rendant, parfois, sinon impossible du moins très difficile la lecture. Vivement une 2ème édition revue et corrigée.

Extraits : «Dans la course à la lumière, aucune coupure de courant n'est excusable «(citation reprise d'une intervention de Serge Michel) (p 83), «Si Hitler, Staline et Ben Bella ont été possibles, c'est parce qu'aucune opinion publique ne pouvait les critiquer ; le degré de liberté d'un peuple se mesure à celui de sa presse» (p 240).

ALGERIE. Témoignage d'un reporter yougoslave sur la guerre d'Algérie.

Récit historique de Zdavko Pecar... Enag Editions, Alger 2009. 425 pages, 1 000 dinars).

Il a fallu 24 ans pour que l'auteur voie son interdiction d'entrée en territoire français enfin levée. Encore fallut-il l'intervention de Jean Lacouture et la fonction de Dg de Radio Belgrade du concerné. La raison est simple : l'intéressé avait été alors «condamné» «compte tenu de ses activités en Algérie au début des années 60». Un espion ? un insoumis ? un opposant ? un porteur de valise ? Non. Un journaliste, un correspondant de guerre qui, pour le journal Borba avait effectué des reportages parmi et sur les insurgés algériens en été 1958.

On ne pouvait attendre moins d'un ancien partisan de Tito qui avait combattu durant la guerre dans les montagnes yougoslaves.

Après la fin de la guerre d'Algérie, une fin victorieuse de la Révolution algérienne, l'auteur, qui était encore en Tunisie, regagne son pays, et présente une thèse de Doctorat, «l'Algérie jusqu'à l'indépendance»? thèse suivie d'un livre, «le meilleur écrit sur le sujet? et ce, en les huit langues que je comprends» selon Basil Davidson, un homme qui connaissait bien les résistances pour avoir été parachuté, en tant qu'officier britannique, durant la Seconde guerre mondiale, dans les maquis yougoslaves .

Avis : Un livre dédié aux combattants et aux officiers de l'Aln d'Algérie ? ça ne se refuse pas? et ça se lit. Il est complet car il remonte jusqu'aux sources de l'Histoire du pays? et il fourmille d'analyses, de détails sur les combattants, de récits de combats et d'accrochages

Extraits : «Le fait que la violence ait été adoptée comme méthode, ne constituait qu'un «mal inévitable», car tous les autres moyens avaient été vains» (p 9), «La guerre de libération de l'Algérie (?) se voit attribuer (?) l'auréole de cinquième révolution populaire dans le monde, après la révolution française, la révolution d'octobre en Russie, la révolution de libération populaire en Yougoslavie et la révolution chinoise» (p16) , «Les perspectives de toutes les insurrections ont toujours été entre les mains de ceux qui partent en guerre et dans leur peuple «(p 421)