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Sauve qui peut

par Remmas Baghdad *

«Chaque époque et chaque société recrée ses propres Autres» Edward W. Said

Le président français s'est félicité du retour «sain et sauf» de son ministre Manuel Valls d'Algérie en ajoutant sur un ton ironique «c'est déjà beaucoup». Boutade lancée sur un humour vraiment raté ne se rendant même pas compte de ses propos lourds de sens. Déclaration faite à l'emporte-pièce devant un parterre de journalistes venus couvrir le 70eme anniversaire du Conseil représentatif des institutions juives de France(Crif).

«Sain et sauf» signifie d'après le dictionnaire : «qui est sorti indemne d'une situation périlleuse» Cette expression aurait peut-être été moins offensante si elle n'était pas suivi de l'adverbe «beaucoup» qui signifie en grand nombre ou en grande quantité ; car c'est ce terme qui, d'une part amplifie sa charge sémantique et d'autre part approfondit la pensée du président français.

En analysant l'expression «sain et sauf... c'est déjà beaucoup» on est confronté à moult interprétations. La première est la plus extrême, suppose de facto que ce ministre n'aurait été ni sain ni sauf donc mort. Et là cela signifie indéniablement que le pays visé c'est à dire l'Algérie, est un pays instable et à risques rappelant ainsi indirectement la décennie noire ; une maladresse qui remue encore une fois le couteau dans la plaie. Un pays à risques mais pas pour les affaires car en concomitance son premier ministre finalisait la signature de vingt gros contrats. Oubliant aussi que ce pays l'avait chaleureusement accueilli le même jour en 2012. Un air de copinage et de partage avec l'assistance semblait se dessiner de cette bourde insensée comme si le pays visé ne suivait pas l'actualité internationale. Plus grave encore cette phrase ironique faisait fi du respect à toute une communauté vivant sur le sol français.

La deuxième interprétation, moins radicale, qui se dégage de cette remarque déroutante est que le ministre de l'Intérieur pouvait être sain mais pas sauf ce qui veut dire qu'il serait prisonnier, enlevé ; kidnappé, retenu?» confondant l'Algérie avec les troubles du Sahel réconfortant ainsi la première visée d'un pays où tout peut arriver. On est constamment dans le registre du terrorisme ou l'on rançonne à tout va. Insinuation pathétique qui n'est pas tombé dans l'oreille d'un sourd. A force de se prendre pour un va-t'en guerre, on finit par se tromper de pays et de contexte.

Le troisième sous-entendu de cette expression est que ce ministre pouvait être sauf mais pas sain c'est-à-dire estropié, handicapé, torturé, endoctriné, islamisé, déséquilibré mentalement? Cette interprétation nous renvoie aux stéréotypes sans autre forme de procès à la condition d'indigène, de sauvage à civiliser, de colonisé, d'individu sans scrupules ;violent aux instincts bas. Un complexe ethnocentriste latent qui rejaillit dans les moments d'euphorie ou d'extase dans ce genre de retrouvailles pour se réconforter car on est entre pairs civilisés et supérieurs.

Quels que soient les formes d'excuses qui vont suivre, elles ne seront que des réactions de balbutiement et de détours à des propos mal interprétés et non fondés car c'est la seule réponse qui viendrait, tentant de colmater un préjudice qui ne date pas d'hier mais depuis des décennies.

* universitaire