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An 14, 1014, 2014, 3014?

par Pierre Morville

Petite circulation temporelle et l'occasion de souhaiter une très bonne année aux lecteurs du Quotidien d'Oran et à ce journal.

On décompte les années sur une hypothèse, la naissance de Jésus Christ en l'an 0. Que ce prophète ou fils de Dieu ait existé, débat qui a animé de très nombreuses polémiques notamment dans les religions du Livre, c'est fort probable bien qu'il n'en existe aucune preuve matérielle. Qu'il soit né un 25 décembre de l'année qui correspondrait aujourd'hui à l'an 0, c'est très fortement improbable.

Mais il fallait bien décompter les années. Comme nous rentrons dans l'année 2014, je propose aux lecteurs et lectrices du Quotidien d'Oran de remonter le temps. De millénaire en millénaire. Comme dans les films d'anticipation d'Hollywood.

Tiens, tiens, Hollywood, le « bois de houx ». Dans les années 1880, un couple originaire du Kansas, Harvey et Daeida Wilcox Beveridge, décidèrent de déménager depuis Topeka jusqu'à Los Angeles. En 1886, Wilcox acheta 0,6 km2 de terre dans la campagne à l'ouest de la ville, sur les contreforts du col de Cahuenga. C'est Daeida Wilcox qui choisit le nom « Hollywood » pour la propriété. Hollywood, le bois de Houx. Pour les Grecs, le houx conférait la prévoyance. Chez les Romains, des couronnes de houx étaient offertes aux jeunes mariés en signe de bons vœux et de félicitations. Les habitants de Rome célébraient allègrement les Saturnales à la fin du calendrier romain, soit aujourd'hui, le mois de décembre. En l'honneur de Saturne, dieu des semailles et de la culture de la vigne, ces festivités coïncidaient avec la fin des activités agricoles et le solstice d'hiver, moment de l'année où les jours commencent à rallonger. Il était alors de bon ton d'envoyer des présents garnis de houx à ses amis.

Le houx était depuis fort longtemps un symbole sacré. Les druides, ces prêtres des Celtes et des Gaulois, croyaient que le soleil ne quittait jamais les plants de houx (le houx d'Europe ne perd pas ses feuilles en hiver comme la majorité des plantes). En décorant les habitations de branches de houx, les esprits de la forêt pouvaient y trouver refuge pendant les rigueurs de l'hiver. Dans la langue anglaise, le houx se dit «holly» et l'on croit que ce mot résulterait de la déformation du mot « holy » (saint).

Hollywood, le « bois saint » est devenu depuis, la capitale mondiale du cinéma et l'une des très fortes représentations symboliques des Etats-Unis.

Mais revenons à notre exploration temporelle

An 14, l'empereur, c'est Auguste

A cette époque, l'estimation de la population mondiale est estimée à 170 millions d'habitants. 5000 avant, entre 5 millions et 2O millions d'humains peuplaient la terre. Hier, le 31 décembre 2013, nous étions 7, 091 milliards de « terrestres », 79 millions de plus qu'en 2012, avec une espérance de vie moyenne de 63,4 ans.

Dans l'an 14, l'empire romain qui dirigeait alors le monde, était dirigé par de gars vachement sérieux et précis. Ils inventent ainsi le recensement où l'on compte tête par tête, le nombre d'individus qui composent la nation. Le 11 mai 14, le 1errecensement dénombre ainsi l'existence de 4 937 000 citoyens romains. Si Rome a fait le décompte de ses citoyens, ce n'est pas pour étancher une soif de connaissance universaliste et culturelle. Mais pour des raisons beaucoup plus prosaïquement fiscales. Le pognon, le pognon?

Cinq millions de romains dominent donc en l'an 2014, le «monde connu». Le monde connu des seuls Romains, ce qui excluait à l'époque ce qui constitue aujourd'hui la Russie, l'Inde, la Chine et le reste de l'Asie. Et l'Amérique bien sûr. Mais enfin, l'empire romain couvrait quand même du sud de l'Ecosse à la Perse, de la Germanie au Maghreb.

Dans l'an 14, l'empire romain est dirigé par Auguste. C'est le premier empereur. Il a 75 ans et il règne depuis 44 ans. Dans l'été, il visite son pays, aujourd'hui l'Italie. Il se rend à Astura, sur la côte du Latium, pour s'embarquer pour la Campanie. Il assiste àCapri aux jeux traditionnels des éphèbes, à Naples aux jeux gymniques ou quinquennaux. À Nole, il se trouve subitement indisposé. Il rappelle Tibère en toute hâte. Tibère, un vague cousin, le trouve fort malade, mais peut avoir avec lui un entretien secret. Tibère devient le nouvel empereur. Il régnera jusqu'à l'an 37. Entre-temps, Auguste qui fut un bon empereur est divinisé. Ce qui est un peu excessif. Auguste et Tibère font partie du même clan, les famille des Claude et des Jullii. Deux des trois ou quatre clans qui tiennent l'empire romain. Tibère va d'ailleurs réduire tout ce qui fut l'héritage républicain en renforçant fortement le pouvoir à Rome des « sénateurs consultes ».

Coté géopolitique ? En septembre, les légions romaines du Rhin se révoltent après la mort de l'empereur Auguste Un certain Germanicus, neveu de Tibère, réprime la rébellion. Dans la foulée, le jeune excité va porter la guerre partout dans les peuples germaniques : Il passe le Rhin et ravage le territoire des Marses, des Tubantes, des Bructères et des Usipètes. Bon, on ne sait pas très bien qui s'est mais globalement ce sont les ancêtres de nos Allemands actuels.

Et l'Algérie, alors, à l'époque ? Elle est en train d'être occupée par les Romains ! Citons le site « Algérie-Monde.com » : « L'occupation romaine de l'Afrique du Nord, à partir de Carthage, se fit par trois axes principaux :

- Le premier, suit la côte de la Tunisie du nord au sud, puis il se dirige vers l'est et passe par la Libye.

- Le second, qui va d'est en ouest, suit la ligne du plateau intérieur, nettement en arrière des massifs côtiers.

- Le troisième, en diagonale nord-est et sud-ouest, représente la voie de pénétration vers la frontière sud et vers l'Aurès par Ammaedara (Haïdra, Tunisie), Thevesti (Tebessa), Thamugadi (Timgad), et enfin Lambaesis (Lambèse).

Trois de ces villes furent les bases de la légion romaine, qui occupa Ammaedara sous le règne d'Auguste. En l'année 75, elle s'installa à Thevesti, en 81 à Lambaesis, qui devint par la suite son siège définitif avant d'être la capitale de la Numidie.

La Numidie n'est pas une province côtière comme l'Ifriqiya avec Carthage et la Maurétanie avec Césarea, mais une province intérieure, face au désert, soucieuse de défendre les provinces africaines contre les dangers qui viendraient du sud ».

La Numidie est alors un territoire militaire, dont le commandement est installé à Lambèse. elle deviendra province indépendante en 198. La côte de Numidie a deux ports : Rusicade (Skikda) et Chullu (Collo). Le reste de l'Algérie forme la Maurétanie Césarienne. Au-delà de cette bande côtière, les populations numides continuent à suivre leur mode de vie et à se battre contre l'occupation romaine.

Les cités romaines dans la Numidie et la Maurétanie s'érigèrent et certaines connurent un grand essor et jouirent d'une grande renommée dans ces anciennes contrées : Hippone, Cuicul, Tiddis, Thevesli, Madouros, Tipaza, Siga, Ténès , villes numides d'origine elles-mêmes, fondées le long de la côte, sur l'emplacement d'anciens comptoirs phéniciens?

En 14, à Rome, 153 846 personnes bénéficient de distribution gratuite de céréales. Chiffre précis. La bureaucratie romaine, c'était quelque chose. Dans la même année, une famine s'étend en Chine, on dit que les paysans deviennent anthropophages.

En 14, enfin, nait à Marseille un grand auteur latin, Pétrone, auteur du sulfureux « Satyricon ». Passons mille ans?

1014, ça rigole pas

Revenons à nos moutons, les futures Algérie et France : on ne va pas tout le temps s'occuper la tête avec des étrangers ! AuMaghreb, laissons parler les experts (Wikipedia) : Hammad Ibn Bologhine, fonde la dynastie des Hammadides en 1014, en se déclarant indépendant des Zirides (c'est qui les Zirides ? Des gars du coin, des cousins de Bologhine), et en reconnaissant la légitimité des califes Abbassides de Bagdad, contre les Fatimides. En 1016, après un peu moins de deux années de conflit, un accord est conclu, mais ce n'est qu'en 1018, que les Zirides reconnaissent l'autorité des Hammadides. La capitale de ces derniers est dans un premier temps Al-Qalaâ (Kalâa des Béni Hammad), puis, lorsqu'elle est menacée par les Hilaliens, ils la déplacent à Bejaïa (Ah ! ça, je connais, c'est Bougie !)[].

Les Hammadides feront de Bejaïa l'une des cités les plus prospères qu'ai connu le Maghreb et la Méditerranée. Ses palais inspireront l'Alhambra de Grenade.

Les Fatimides tracent leurs origines de Fatima, fille du prophète Mahomet, et sont supportés par des tribus berbères Kutamad'Algérie. La dynastie a été fondée en 909 par Ubayd Allah al-Mahdi, chérif alaouite fatimide, qui a lancé son mouvement en s'appuyant sur ces tribus Kutamas de Kabylie[][], converties par lui à l'islam chiite.

Et en France, à cette époque ? La situation est beaucoup plus confuse. Les premiers capétiens étaient, parmi les grands féodaux, les moins bien lotis en territoires. En 1014, le « domaine royal » de France n'était pas plus grand que deux départements de la France actuelle. Patiemment, en usant du droit féodal (en particulier la confiscation d'un fief à un vassal« félon »), mais aussi par d'habiles mariages avec les héritières des grands fiefs, voire l'achat de terres, souvent dans des conditions très arnaqueuses, les rois de France agrandissent le domaine royal qui finira par se confondre au XVIe siècle avec le royaume. En 1016, un bon coup ! C'est l'acquisition de la Bourgogne, quatre à cinq fois plus grande que la France. Le roi de France, Robert le Pieux est le neveu du duc de Bourgogne, Henri, mort sans héritier.

Côté social, la société est dominée par le servage, version « moderne » de l'esclavage. Le serf contre l'esclave, n'est plus un simple bien de son propriétaire : on lui reconnait une âme et une sorte de statut juridique. Il existe également, notamment dans les villes qui commencent à prospérer, des « hommes libres ». Au XIème siècle, certes, la différence entre l'homme libre et le serf est assez floue. On relève néanmoins que l'hérédité de la condition juridique du second est plus contraignante, les taxes qu'il verse au seigneur du coin le frappent davantage et les corvées qui lui sont imposées sont plus contraignantes. Mais les différences tiennent davantage aux situations concrètes qu'à des concepts juridiques que les hommes du XI° siècle avaient beaucoup de peine à élaborer.

2 janvier 1914, il fait vachement froid !

Il fait très froid partout. Il neige sur Marseille et Montpellier. Il fait ? 5° à Alger ! Tout le monde peste contre ce foutu climat. Mais ce n'est hélas, rien à coté de la grande boucherie qui se prépare et qui ne s'achèvera qu'en 1945, sans compter les guerres coloniales et les luttes d'indépendance.

2 janvier 2014, plus prospères, plus inégaux

Le monde a beaucoup progressé. Il n'y a plus de serfs. On les a remplacé par les « salariés ». Ces derniers sont libres, surtout libres d'aller travailler ou de se rendre librement à l'Agence pour l'emploi.

La société française est-elle plus égalitaire que celle de 1014 ? Certainement, mais 10 % des Français les plus riches possèdent en biens privés, la moitié de la fortune nationale? Sur le reste de la planète, c'est pire ! 1% des humains les plus riches sont propriétaires de 44% de la richesse mondiale ! Ce qui vaut pour les individus, vaut pour les nations.

Il n'existait pas de différences importantes entre les niveaux de revenu des diverses civilisations au moment où elles atteignent leur apogée: Rome au Ier siècle, les Califats arabes au Xe siècle, la Chine au XIe siècle, l'Inde au XVIIe siècle, et l'Europe au XVIIIe siècle . Ainsi à l'aube de la première révolution industrielle, l'écart de revenu par habitant entre l'Europe Occidentale, l'Inde, l'Afrique ou la Chine est probablement inférieur à 30 % seulement.[] Tout est bouleversé avec la révolution industrielle qui creuse brutalement un écart entre les nations. En 1870, le revenu par tête des nations les plus riches est déjà 11 fois plus élevé que le revenu par tête des nations les plus pauvres. En 1995, ce chiffre est multiplié par 5 : Les plus riches sont 50 fois plus riches que les plus pauvres. Le phénomène inégalitaire entre nations, qui s'accentue chaque année de façon abyssale, est donc récent, produit des deux derniers siècles où l'on s'est félicité à jet continu des progrès de la démocratie universelle..].

Restons optimistes en parions qu'en 3014, tout le monde sera riche, en bonne santé, très bien éduqué, libre et surtout jeune et beau (belle, c'est déjà le cas). Dans l'attente, je vous souhaite, cher lectrice, cher lecteur une excellente année 2014.