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Cénacles, conclaves et institutions

par Abed Charef

A la veille de la convocation du corps électoral pour la présidentielle d'avril 2014, l'Algérie ne sait toujours pas si elle va réviser la Constitution, et qui sera candidat. Vrai mystère ou faux suspense ?

Dans les grands moments, le système politique algérien fait preuve d'une maitrise insoupçonnée. Il l'a montré il y a un an dans l'affaire Tiguentourine : le noyau dur du pouvoir s'était refermé sur lui-même, traitant cette affaire à huis-clos. Pas d'ingérence, pas d'interférence dans la décision. La ligne de conduite définie était simple : aucune négociation n'était possible, aucun compromis n'était envisageable. Aucun terroriste ne devait s'en sortir, sous quelque forme que ce soit. Quitte à raser le site de Tiguentourine.

Il y avait un prix à payer, le pouvoir algérien a accepté de le payer. Froidement. Un choix assumé. Les ambassades du Japon et de Grande-Bretagne, dont des ressortissants étaient menacés, ne trouvaient même pas à qui parler. Un fonctionnaire de seconde zone était chargé de les faire patienter, sans plus. Les membres du gouvernement algérien n'étaient visiblement pas au courant de ce qui se passait. Quelques uns, comme l'ancien ministre de l'Intérieur Daho Ould Kablia, étaient chargés du service après-vente. Ils s'acquittaient de la tâche sans état d'âme, et remplissaient correctement leur rôle.

Cette capacité à gérer des décisions importantes en vase-clos est un vieil héritage. Le groupe des six, qui a préparé le 1er novembre, les fameux « trois B », Ben Tobbal, Boussof, Belkacem, qui ont dirigé de fait la guerre de libération, le groupe d'Oujda, qui a pris le pouvoir ensuite, et le groupe des « janviéristes », qui a mis fin aux élections en 1992, ont tous procédé de la même logique. Un groupe d'hommes, agissant dans un cadre informel, fait un choix décisif, et le fait assumer par les appareils politiques, administratifs et militaires, qui lui donnent l'habillage formel. Que la décision soit de portée historique, comme le 1er novembre, ou plus contestable, comme ce fut le cas en d'autres circonstances, ne change pas la nature de ces décisions, prises en dehors du circuit institutionnel en vigueur. Et la promesse de Houari Boumediene de bâtir un Etat qui survivrait aux hommes n'a guère changé la donne : la décision politique la plus importante concernant l'avenir du pays est encore prise dans un cadre officieux.

La succession du président Abdelaziz Bouteflika fait partie de ce type de décision. A trois mois de l'élection d'avril prochain, il est possible d'avancer quelques hypothèses, sans grand risque de se tromper. Qu'il fasse un quatrième mandat, ou qu'un successeur soit désigné en avril prochain, il est évident que la décision ne viendra pas du congrès du FLN ou du vote des électeurs de Aïn-Defla. Le choix est fait dans un conclave, comme celui qui a abouti au choix de Chadli Bendjedid en 1979, ou, plus probablement, dans une réunion restreinte. L'urne d'avril validera formellement ce choix. Seule l'élection de 1999 a failli échapper à ce scénario, mais au bout du compte, le choix libre par les urnes a été écarté au profit de la cooptation.

Suspense

En ce début janvier 2014, alors que le président Bouteflika s'apprête à convoquer le corps électoral, il est tout aussi évident que le choix d'avril prochain a été déjà fait. Il est inconcevable, au vu de la nature du système politique algérien, que ceux qu'on appelle communément « les décideurs », en soient encore à palabrer. Mais visiblement, seul un cercle extrêmement restreint a été implique dans la décision. Pour les autres, le suspense reste entier. Et toute l'Algérie est ainsi maintenue en haleine, ce qui est indéniablement à mettre à l'actif du pouvoir, lequel fait preuve d'une maitrise certaine. C'est lui qui garde l'initiative, maitrise l'agenda, distribue les cartes et donne le tempo.

Si M. Bouteflika devait partir, garder le silence sur ce choix permet au pouvoir de garder la main jusqu'à la dernière minute, et de maintenir la discipline dans la multitude de réseaux qui forment la clientèle du pouvoir. A l'inverse, si M. Bouteflika est reconduit, sous une forme ou une autre, ce qui parait plus probable, cela permet de maintenir un minimum d'intérêt à l'élection présidentielle. Y compris en poussant à la candidature des personnalités susceptibles de lui donner un peu de crédibilité.

A ce jeu, le système algérien a toujours fait preuve d'une dextérité exceptionnelle. Un peu trop, peut-être, cette fois-ci. A un point qu'aucun candidat crédible n'ose s'avancer publiquement, tant que le choix des « grands électeurs » n'est pas encore affiché.

Les secret est-il pour autant aussi bien gardé ? On peut parier un baril de pétrole sur le fait que certaines parties, qui ne participent pas à la décision, la connaissent. La France et les Etats-Unis, qui connaissent l'état de santé du président Bouteflika mieux que ses propres médecins, savent à quoi s'en tenir. Ils ont tiré les conclusions. Leur attitude, très zen, montre qu'ils savent à quoi s'en tenir. On ne peut pas en dire de même des directions du FLN et du RND.