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Pétrole : l’exemple brésilien

par Akram Belkaïd, Paris

Toujours plus loin, toujours plus risqué et toujours plus onéreux. C’est la manière lapidaire avec laquelle on pourrait résumer le projet d’exploitation en eaux profondes du plus grand gisement pétrolier du Brésil. Situé à 180 kilomètres des côtes de l’Etat de Rio et à plus de 5.000 mètres de profondeur, le champ de Libra devrait entrer en production en 2020 après un investissement total record de 130 milliards de dollars. Selon les prévisions de Brasilia, cet immense réservoir d’une capacité de 12 milliards de barils devrait alors fournir 1,4 million de barils par jour (mb/j) sur une durée de 5 ans. Pour mémoire, la production brésilienne de brut atteint aujourd’hui 2 mb/j, Libra devrait donc la faire passer à 3,4 mb/j, soit un niveau supérieur à des pays comme le Koweït ou les Emirats arabes unis.
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DEFI TECHNOLOGIQUE ET UNION ENTRE MAJORS
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Pour bon nombre d’observateurs, le projet Libra est un véritable cas d’école. D’abord, parce que l’exploitation offshore en eaux profondes est un immense défi technologique. Mais cela montre aussi que les frontières du possible sont sans cesse repoussées dès lors qu’il s’agit de récupérer de l’or noir. Il y a cinq ans encore, un tel chantier n’aurait pas été considéré comme viable et encore moins rentable et cela même si la compagnie brésilienne Petrobas s’est forgée une réputation d’excellence dans l’exploitation du pétrole sous-marin. Mais avec un baril à plus de 100 dollars, tout devient possible…

 Ensuite, il y a le fait que l’exploitation de Libra se fera par un consortium qui regroupe de grands noms internationaux. Petrobras avec 40% des parts, Shell Brésil (20%), Total (20%) et les deux groupes chinois CNPC (10%) et CNOOC (10%) ont été choisis la semaine dernière au terme d’une mise aux enchères qui n’a duré que 3 minutes, ce consortium étant le seul en lice. Aujourd’hui, le pétrole facile d’accès est de plus en plus rare. Pour trouver du brut, il faut mobiliser beaucoup d’argent et donc les majors sont obligées de s’associer là où, il n’y a pas encore si longtemps, elles préféraient opérer seules.

 Dans le même temps, Libra montre à d’autres pays producteurs, notamment l’Algérie, l’Arabie Saoudite ou même la Libye ou le Mexique, comment on peut ouvrir le secteur amont -c’est-à-dire celui de la production- tout en gardant un certain contrôle. Certes, des Brésiliens ont dénoncé une «privatisation déguisée» du pétrole brésilien et «une perte de souveraineté», mais les termes du contrat régissant le fonctionnement du consortium méritent l’attention. D’abord, Petrobras obtiendra 41,6% du «profit oil», c’est-à-dire les quantités de brut qui resteront après déduction des coûts d’exploitation. Ensuite, ses partenaires lui ont payé une prime de 5 milliards de dollars pour être de l’aventure. Et enfin, le gouvernement brésilien pourra opposer son veto à n’importe quelle décision du consortium comme par exemple le souhait de l’un de ses membres de vendre sa participation à un autre opérateur.
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UN MONOPOLE AMENAGE
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La méthode brésilienne a été critiquée aux Etats-Unis où, cela ne surprendra personne, on aurait préféré que Brasilia accepte une ouverture totale de son secteur pétro-gazier. Or, l’exploitation à venir de Libra démontre qu’un pays peut consentir à alléger son monopole sur les hydrocarbures tout en gardant la main et le contrôle notamment en ce qui concerne ses revenus. Dans un contexte où de nombreux pays africains réfléchissent à de nouvelles législations sur leurs ressources naturelles -et cela souvent sous la pression des partenaires occidentaux et des grandes institutions internationales-, le Brésil, en leader du Sud, semble vouloir montrer la voie.