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Le service public de santé, entre désinvolture et désertion

par Farouk Zahi

Les intentions, évidemment, généreuses de M. Abdelmalek Boudiaf, ministre de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière ne suffiront certainement pas à redresser la barre du navire «santé» pris dans la tourmente depuis près de deux décennies de gabegie, de populisme et d'incurie.

Jeté l'anathème sur le seul gestionnaire, participe du raccourci que d'aucuns, par le passé, en ont fait leur cheval de bataille. Ceci nous renvoie à la fin des années 80, quand le défunt Kasdi Merbah a été chargé des destinées du secteur, où lors d'un conclave des cadres du secteur, un directeur des personnels déroulait les effectifs et les niveaux intellectuels des gestionnaires dont la majorité ne pouvait se prévaloir que d'un modeste niveau scolaire moyen. On semblait découvrir, ce jour là, la pierre philosophale. Inspiré par les textes régissant les entreprises économiques et dont l'Assemblée générales des travailleurs (ATU) en était le vérin, le département ministériel créait coup sur coup, le Conseil médical et le Conseil de direction devenu plus tard Conseil d'Administration. Et c'est à partir de là que le navire prenait l'eau. Ce n'est pas tant, la qualité de leurs membres qui en était la cause, mais la méconnaissance de l'acte de gestion qui devenait la pierre d'achoppement à toute velléitaire tentative de mise à flot. Le gestionnaire nouveau, académiquement formé le plus souvent, devenait l'otage d'un organe consultatif qui ne rendait compte à personne.

Délesté de ses prérogatives institutionnelles, le dirigeant administratif se confinait, peu à peu, dans le rôle d'ordonnateur budgétaire justiciable d'audition de compte. Placé face à une institution qui gère près d'une quinzaine de corps professionnels subdivisés en 82 profils, tous, structurés dans des syndicats corporatifs, il lui est difficilement possible de sortir la tête hors de l'eau. Ces outils, nomenclature budgétaire, tableau des effectifs entrés en obsolescence depuis de nombreuses années, ne lui permettent aucune prise d'initiative à même d'améliorer ses performances. A l'instar de l'oisillon, il gardera le bec ouvert dans l'attente de la pitance que sa mère nourricière lui ramènera. En dépit de corps de métiers chevronnés, il ne pourra proposer ses services à aucune autre structure pour générer des revenus qui peuvent être substantiels pour l'établissement.

La politique d'humanisation des structures sanitaires, galvaudée depuis quelque temps déjà, a oublié l'essentiel. On se focalise sur le lustre des bâtiments, le confort et autres petites choses alors que le plateau technique est épisodiquement soumis aux aléas du dysfonctionnement. Le recours à celui du secteur privé est passé à la normalité. La structure publique, devient par la force de l'inertie et de la désinvolture, l'antichambre d'un secteur libéral pour le moins vorace. L'étrangété est poussée parfois jusqu'au kafkaïen ; on peut pratiquer sur vous une coronarographie mais, il vous faut ramener une disquette d'enregistrement ou cette attitude procédurière qui dans un grand service de radiologie de la place d'Alger, vous fait signer une décharge sur laquelle les risques de l'acte sont consignés mais, où l'on exige la légalisation de votre propre signature. Imaginons un peu, la galère de l'attente dans un service d'état civil bondé avec le plus souvent un handicap physique à la clé. La désertion des services hospitaliers dès la mi journée est devenue un fait irréversible et normalement rémunérée. Diffuse au début, elle est affirmée par l'exercice du temps dit complémentaire. Même le corps paramédical, non concerné par le dispositif, s'y adonne en toute « légitimité », notamment les corps à haute technicité ( Agents anesthésistes, manipulateurs de radiologie, laborantins). Il va sans dire, que sans qu'elle soit générale, la règle veut qu'on rapporte dans sa gibecière quelques produits consommables subtilisés à l'hôpital de la charité.

Quant à la ponctualité et l'assiduité, il faut malheureusement repasser. Le gestionnaire qui se permettrait un questionnaire ou une ponction sur salaire à un membre du corps médical, notamment spécialiste, subira durablement les retombées de son effronterie. Il sera livré aux gémonies de la désapprobation ou du désaveu tutélaire. Des deals tacites, permettent à beaucoup de spécialistes de vaquer à leurs occupations quotidiennes pendant que l'un de leurs confrères assure une astreinte. On ne pratiquera que l'urgence, le froid est laissé au bon vouloir du praticien qui trouvera, nécessairement des motifs techniques pour pratiquer l'acte ailleurs qu'à l'hôpital contre rétribution bien entendu. Pour recueillir le pactole exigé par le praticien à des malades démunis, des quêtes sont fréquemment organisées en toute bonne foi dans les mosquées.

En dépit du nombre impressionnant de spécialistes, la concentration de la décision fait que ce corps professionnel continue à être géré au niveau central. D'innombrables inspections punitives ont été diligentées suite au mécontentement d'un ou de plusieurs praticiens. D'ailleurs ce terme inapproprié du reste, devrait s'astreindre au constat matériel des faits et non pas aux états d'âmes des uns et des autres où l'esprit de clocher n'est pas sans conséquence sur les conclusions finales. Et s'il fallait revoir le concept d'inspection, le mieux serait de parler d'animation, car l'on ne peut honnêtement inspecter un objet que lorsque nous avons activement participé à sa mise sur pied et sa validation. Il n'est, nullement, dans l'intention du chroniqueur de plaider la cause des uns au détriment des autres, mais de ramener la raison à de justes proportions de jugement. La problématique qui est d'abord structurelle, ne trouvera son épilogue que dans la concertation et la hiérarchisation des responsabilités.

Tant que le côté médico-technique n'est pas confié à la responsabilité pyramidale, il se trouvera toujours des principautés sous la coupe d'un mandarinat vieillissant qui considère la chose publique comme un droit héréditaire et la discipline générale comme une hérésie bureaucratique. L'aura dont jouissent les médecins, notamment, les chefs de services hospitalo- universitaires auprès de hauts responsables de l'Etat, fera toujours le lit de préjugés défavorables à l'orthodoxie de la gouvernance. Faisant l'impasse, sur les voies de sortie salvatrices, on se contentera d'un grand mouvement dans le corps des gestionnaires, chose qui ne fera que transposer les tares décriées ailleurs. Quant tout monde sait que même la prière se fait dans la discipline de l'alignement et du silence, d'aucuns ne veulent pas se plier à celle-ci considérant que leur savoir les place au dessus des règles. M.Abdelaziz Ziari, encore ministre de la santé, a eu, à l'occasion lors de son ultime visite à Constantine, constaté de lui-même la différence sidérale entre les services de santé publique et les services de santé militaire de la ville des ponts. Le secret ne peut être que d'ordre disciplinaire.