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Les deux faces d'une même crise

par Slemnia Bendaoud

Entre ce pays du Nil dont les eaux roulent furieuses, houleuses et à grands flots et celui où coule le Chélif en discontinuité ou par intermittence, à l'image de leur mouvement politique et social du moment, il existe ces autres parfaites similitudes qui auront souvent fait changer d'attitude à leurs gouvernants, tout au long de l'histoire rocambolesque de ces deux nations.

Ainsi donc, Oum Dounia, était durant la guerre de libération de l'Algérie, ce haut fief qui rassemblait autrefois tout l'état-major politique exilé de la future république algérienne, symbolisé par cet ex GPRA*.

Cette dernière nation était donc en guerre contre le colon français, et sa sœur ainée, l'Egypte, en l'occurrence, dont le Cœur du Caire était cette œuvre grandiose et majestueuse, brillamment réalisée auparavant grâce au savoir-faire et à la sueur des bâtisseurs algériens, se devait donc de l'aider à reconquérir complètement sa liberté et de recouvrer à jamais son espace territorial intime. Ce fut donc l'époque où les officiers libres égyptiens, menés par leur chef inamovible, Djamel Abdennacer, venaient donc de déchoir le Roi Farouk avant de s'emparer eux-mêmes du pouvoir. Ils y installèrent à sa tête, juste pour un moment d'ailleurs, le président Mohamed Naguib, avant de le remercier ou de le renverser, à son tour.

Il leur fallait donc obligatoirement passer par ce petit raccourci ou éphémère parenthèse et de présenter au peuple égyptien cette autre vitrine politique afin de ne pas paraitre au sein du paysage politique tels de simples novices ou des intrus nouveaux, peaufinant à l'ombre de ce jeune pouvoir leur aura et carrure politique en devenir.

Cela se passait en 1952. Treize ans plus tard, ce fut le colonel Houari Boumediene qui accédait au pouvoir dans un scénario similaire, presque identique au premier, celui égyptien, au travers de la même échelle, empruntant ce même escalier égyptien qui allait envoyer aux gémonies de l'enfer celui coopté deux années auparavant, pour servir uniquement de vitrine politique ou simple marchepied au pouvoir algérien, et qui avait pour nom Ahmed Ben Bella.

Faut-il par ailleurs rappeler que ces deux ex présidents algériens avait fourbi leurs armes et autre savoir-faire au pays des grandes pyramides pharaoniennes ? Et qu'entre Djamel Abdennacer et Ahmed Ben Bella, il y eut cette longue et terrible lune de miel qui faisait dire à certains observateurs politiques algériens que le Rais égyptien avait toujours un pied à terre en territoire algérien. Sinon un œil scrutateur et grand observateur sur tout ce qui se passait dans ce pays de la Méditerranée!

Tant son poulain lui restait encore très fidèle pour lui servir -en retour- de modèle d'exemple du genre sur lequel il allait s'appuyer afin de conquérir tout le reste des pays arabes et de rallier tous les pays arabes à sa cause. Sinon, du moins, à partager avec lui les grandes lignes de sa politique extérieure hégémoniste. La grande influence qu'exerçait Fethi Eddib, le patron du renseignement égyptien sur le président algérien Ahmed Ben Bella, ainsi que la présence avérée de nombreux cadres dirigeants égyptiens au sein des rouages supérieurs de la toute jeune administration algérienne en étaient donc la principale cause. De 1965 à 1970, année où mourut subitement Djamel Abdennacer, le monde arabe disposait déjà de deux leaders, en fait : l'un au Machrek, l'autre au Maghreb arabe. Et aller en guerre contre Israël dès 1967 n'était alors qu'une simple évidence. Tant l'élève avait hâte de bien copier ou de disposer de son maitre sur ce terrain de vérité, ayant au passage déjà conquis de nombreux galons qui lui faisaient tourner la tête. A la mort du Rais d'Oum Dounia, Houari Boumediene se voulait être la seule alternative possible ou celle qui restait encore probable du ''nationalisme arabe'' (El Kaoumia El Arabia).

Tandis que ce pays du Nil, encore préoccupé par sa revanche à prendre sur l'Histoire et sur son ennemi juré en terre palestinienne, poussa donc son nouveau Rais Anouar El Sadat à s'appuyer sur l'Algérie afin de disposer de suffisamment d'armes russes et d'hommes algériens de combat lors de son intervention de 1973.

L'Algérie de Boumediene y sera encore une fois bien présente sur ces mêmes lieux, forte de ses hommes de combat, de ses armes de guerre et de son gros pognon. Houari Boumediene, sans même broncher ou réfléchir une seule fois, payera rubis sur ongle la grosse facture d'armement brande par l'ex URSS.

La défaite de 1967 ne put alors malheureusement être transformée en cette espérée grande réussite de 1973. Cependant, l'échec cuisant de la deuxième moitié de la décennie soixante du siècle dernier ne devenait plutôt plus qu'un mauvais ou vague souvenir. Mais Anouar El Sadat n'ayant plus le même poids ni même l'envergure et la carrure de son prédécesseur, c'était plutôt l'Egypte qui reculait d'un cran dans le concert du nationalisme arabe ; chose dont profitera à bon escient Houari Boumediene, son successeur naturel, afin de suppléer l'absence du grand chef, emporté alors par cette mort subite, juste quelques années plutôt.

A la manière d'un Grand Nacer pour ce qui concerne les eaux de Suez, le futé, redouté et encore tout petit Boumediene prit alors en 1971 cette historique décision de nationaliser les hydrocarbures algériennes. Les deux chefs d'états devaient donc prononcer le mot imparable : ''Quararna? !'' (Nous avons décidé? !).

L'homme au cigare de La Havane et au burnous Tussor de premier choix ou de poil fin chamelon pur algérien enfilait donc l'élégant costume de son grand mentor. Et même si tout le monde s'accorde à dire que le véritable poulain de Nacer était, en fait, Ahmed Ben Bella, il reste que Houari Boumediene le singeait à la perfection à distance, le copiant bien intelligemment, en toute circonstance.

Ainsi donc, le cas de Ahmed Ben Bella ressemble à s'y méprendre à celui de Mohamed Naguib. Tandis que celui de Houari Boumediene colle davantage -sinon le mieux possible- à celui de Djamel Abdennacer.

Nacer et Boumediene vivaient donc finalement pour leurs idées géniales et narcissiques, et surtout pour la postérité de l'histoire. Tandis que les deux autres présidents (leurs prédécesseurs respectifs) le faisaient juste dans le faire-valoir ou le prestige, si ce n'est dans de la pure ou obscure figuration. Le virus de ce brin de folie des grandeurs des tout prestigieux hommes d'état africains ne tardera pas à s'emparer même du colonel grincheux Maâmar Kadhafi, le poussant, lui aussi, à reverser, à son tour, le Roi Senouci. A défaut du barrage vert si cher à Houari Boumediene et de la nationalisation des eaux du Canal de Suez dont Abdennacer avait fait son cheval de bataille, le colonel Kadhafi, lui, se lancera, bien plus tard, dans la construction de ce gigantesque fleuve artificiel, pompant tout seul au cœur même de cette immense nappe phréatique commune, opération dont il ramènera comme équipent hydraulique de base assez conséquent ces pivots d'irrigation des Etats-Unis d'Amérique.

L'idée sera plus tard captée au vol et bon escient par ces jeunes agriculteurs de la région de Oued Souf, travaillant alors sur le sol libyen, afin d'en concevoir localement tous ces pivots en miniature qui irrigueront bien plus tard ces nombreux champs de pomme de terre, fleurissant deux fois dans l'année, aujourd'hui très florissants et bien visibles sur le territoire de cette wilaya limitrophe avec la Lybie. Rachid Benaissa se devait donc, avant de s'enorgueillir ou de s'égosiller des chiffres réalisés par la filière, dire aussi merci à ce tyran d'El Kadhafi, et surtout encourager davantage ce génie des fellahs de la région, en partie transfuges de cette contrebande des produits alimentaires qui aura cessé d'exister depuis la disparition du soutien de l'état à ces denrées alimentaires de base au stade final de leur consommation.

Les coups d'état militaires étaient alors une mode en Afrique, raison pour laquelle, la Mauritanie, à elle seule, en collectionnait déjà toute une interminable série ou chiée de putschs, réussissant par moment à renverser le régime en place à plusieurs reprises.

Il en résultera finalement la prolifération sur ce continent -à l'image de ce qui se passait d'ailleurs en Amérique du Sud- de tous ces tyrans qui ne reculaient devant rien, faisant à chaque fois reculer ou différer d'un cran ce violent vent de la démocratie qui soufflait pourtant sur leur territoire à pleins poumons.

Ils sauront tous se placer dans ce juste milieu qui concilie l'Islam avec la démocratie, ménageant à dessein, quand il le fallait, autant la chèvre que le choux, ne voulant, sans nul doute, ni affamer le loup vorace et bien tenace ni même indisposer et davantage énerver les nombreux bergers et chefs de bergeries de ce grand troupeau humain. Sur ce plan-là, c'était l'Egypte qui était en avance sur l'Algérie. Elle la devançait de loin. Le pouvoir algérien suivait donc la voie(ou la voix) de son maitre absolu, celle qui coulait de source dans ces eaux troubles du Nil et dont l'écho était répercuté à grande résonance par ces hautes pyramides pharaoniennes.

Mais l'Egypte, ce don du Nil, pouvait-elle donc indéfiniment rester en tête du peloton ou en pôle position ? Et même si le Nil coule à longueur de temps et sans discontinuité, il ne peut tout de même ignorer totalement ce que charrient occasionnellement, ou d'un moment à l'autre, ces eaux plutôt difficiles du Chélif, ce fleuve jumeau, moins dense certes, à la faveur de sa crue, dans ce vaste pays du Maghreb arabe. Autant le Nil affichait ses grands mystères et indéniables repères, autant le Chélif exhibait, lui aussi, très timidement donc ses interminables misères et grandes chevauchées de très longues galères. La donne allait donc être inversée en ce chaud été de l'année 2013. Et c'est donc la grande Egypte qui singera, à son tour, cette fois-ci, l'Algérie. A l'inverse de ce qui s'y passait au milieu des années soixante du siècle dernier. La page devait être juste tournée, les rôles et les rangs totalement permutés, la pyramide plutôt renversée !

De fait donc, c'est ainsi que Morsi fut renversé par Al Sissi tout comme l'aura fait bien avant lui en 1992 le président algérien Chadli Bendjedid, déposé par ou poussé finalement vers cette porte de sortie à un moment plutôt inattendu par un quatuor nommé le HCE**.

Chose bien curieuse tout de même : les hauts gradés militaires, ayant pris par au putsch, avaient été tous auparavant promus et nommés à des postes névralgiques à leur ministre respectifs de la défense par ces mêmes présidents de la république qu'ils venaient pourtant de renverser. De fait, à son tour, Al Sissi devenait de facto pour la si Grande Egypte tout juste ce que fut, bien avant lui, Khaled Nezzar pour le compte de sa sœur cadette l'Algérie. L'Algérie, en cet été 2013, prenait alors la tète du peloton arabe ; arborant ce mauvais exemple à suivre !

La cause était la même : barrer la route à la montée en puissance et sur le podium du pouvoir à la mouvance islamiste (intégriste !) ; même si le verdict des urnes lui est pourtant très avantageux ou si favorable.

Ainsi, au CNSA (Comité National de Sauvegarde de l'Algérie), créé pour cette même raison, avait correspondu l'érection instantanée de l'Assemblée du Salut de l'Egypte (ASE), montée rapidement sur pied, au HCE (Haut Comité de l'Etat) du premier pays devait succéder cette présidence toute provisoire du second pays, à la dissolution du parti islamiste sorti vainqueur des urnes de celui-ci devrait inévitablement ou inéluctablement aboutir l'autre parti islamiste de cet autre pays arabe qui avait pourtant porté son leader au poste de commandement suprême de ce pays du Nil?

La liste des similitudes est trop longue à pouvoir être intégralement dressée, tant le cheminement est pratiquement le même et la pratique ou conduite à l'égard des événements sur le terrain des opérations plutôt presque identique, en tous points de vue bien semblable.

Ce qu'aura miraculeusement réussi à vendre l'Algérie au monde entier, et à l'occident tout particulièrement, est en passe de devenir (ou tend finalement à l'être) comme une réalité tangible pour l'Egypte envers ces mêmes grandes nations et pays très puissants.

Seulement, pour arriver à convaincre tout ce beau monde-là, une deuxième fois à propos de ce même phénomène et scénario identique, l'Egypte devrait faire face à deux épineux problèmes que sont : sa pauvreté endémique et un développement exceptionnel des techniques et supports de communication, rendant impossible l'instrumentalisation à dessein de l'information, sinon presque caduque sa probable tentative de manipulation de l'information, pas tout à fait réalisable en faveur du pouvoir comme autrefois. L'image est donc devenue, grâce à la science, bel et bien instantanée. Le son n'est, lui aussi, pas en reste : il part, lui également, fusant, à toute vitesse dans cette course contre la montre, défiant par moment le trop rapide rai de la lumière qui tranche comme le coup de feu à l'horizon. Mais à force de suivre le quotidien des égyptiens, on est parfois tenté de croire qu'on revit à postériori et à une bonne distance dans le temps ce différé algérien. Ces autres séquences bien familières d'un film ou une pièce théâtrale dans leur fond très algérien. Tant les scènes de ménage ou théâtrales se ressemblent parfaitement et les tragédies se confondent totalement l'une l'autre.

La raison ? Elle tient d'abord à ce scénario si savamment orchestré avec doigté et précision dans ces deux pays arabes, à deux époques pourtant très différentes l'une de l'autre.

On a comme cette impression de revoir encore ce qui est considéré pour nous tous comme du déjà vu. Le film, au regard de sa terrible tragédie et intrigues connues, n'incite pourtant guère à être de nouveau revu. Il y va de la vie deux peuples et de la pérennité des deux nations. Tout concourt, en fait, à dire que la crise est la même. Et là où l'on se trouve, sur ce territoire ou sur cet autre, c'est juste, en fait, du pareil au même. Les méthodes comme les pratiques, reflexes et appréhensions, eux également, n'ont pas changé du tout. Et déjà à ce rythme-là, l'Egypte aura à se débrouiller ou même inventer de toutes pièces rapidement et sans jamais tarder son parti de l'administration, ses délégations exécutives communales (DEC), sa commission de dialogue (CE), son conseil national transitoire (CNT), bien avant même de penser à ses camps de concentration du sud, à la loi anti-terroriste et à ses tribunaux spéciaux?

Toute une chapelle de procédures l'attend en bout de chaine et de pied ferme afin de vivre, à sa façon ou à sa guise, cette autre démocratie parallèle à celle qui n'est autre que le produit de l'urne dont elle se détourne volontairement à présent. Parce que boudant ses résultats jugés paradoxalement comme inconvenants et incommodants !

A charge pour elle de faire rapidement appel à ces grands spécialistes de la fraude électorale, ceux ayant déjà pris leur retraite ou tout simplement ceux depuis peu écartés du système politique égyptien pour ''services rendus à la nation'' !

Sa novelle gouvernance, faisant incidemment dans cette démocratie de façade, devenue à la mode, afin de ne pas rater le train privilégié et surtout le lien obligatoire avec l'occident, vivra longtemps ce cauchemar de la hantise d'une élection libre et transparente, à l'mage de celle ayant produit cet islamisme des pays arabes.

Néanmoins, il subsiste encore une toute petite différence entre l'Egypte et l'Algérie : le Parti National Egyptien a depuis déjà deux ans tiré sa révérence de la scène politique pharaonienne alors que le Front de libération nationale (FLN) refuse encore une place honorable ou de choix au grand musée de l'histoire algérienne !

Le pays du Nil sombrera, sans nul doute, dans le chaos. A moins d'un véritable ou probable miracle ! La réelle cause ? C'est l'ancien système de Hosni Moubarek requinqué ou remodelé et remaquillé qui revient donc au galop. A la charge !

L'argent de l'Arabie Saoudite, du Koweït, des Emirats arabes Unis, pays arabes craignant pour la contagion de leurs royaumes et surtout l'intrusion d'une véritable démocratie parmi leurs rangs qui aura à terme raison de leurs trônes, restera, tout de même, très insuffisant pour sauver le régime en place et son hégémonie spatiale I

Mieux encore, ni Khaled Nezzar n'aura réussi le coup tragi-comique et terrible mais néanmoins exploit magique, tout de même, de Houari Boumediene, ce maitre des grandes décisions, lesquelles auront su lui assurer sa postérité à travers l'histoire, ni même Al Sissi ne pourra, à coup sûr, faire oublier ce grand Djamel Abdennacer, nationaliste à souhait, vénéré par tous les arabes, pour avoir tenté en vain de libérer le territoire palestinien. Les deux anciens dictateurs s'étaient transformés depuis lors -au bonheur de leur peuple !- en deux vrais leaders des pays arabes et du tiers-monde. Par contre, ceux qui leur auront succédé, des décennies plus tard, à un échelon bien inférieur qui était le leur, n'auront fait qu'interrompre le processus électoral pour l'un, et avorter la mise en œuvre ou place d'une réelle démocratie pour cet autre.

Etrangement donc, ces deux là se ressemblent aussi, et s'assemblent de par le rôle qu'ils auront joué dans leurs pays respectifs ! Mais que d'étranges ressemblances ! Et que de rusées manigances !

Au final : ni la République n'a pour autant été complètement sauvée de son continu et durable naufrage et nombreux clivages. Ni même la cohésion sociale ne s'était depuis, pour autant, à jamais raffermie et fortement intensifiée. Le comble des combles est que, tout comme le Front Islamique du Salut (le FIS algérien), l'organisation des Frères musulmans Egyptiens vient d'être, à son tour, elle aussi, interdite de toute activité politique par un arrêt rendu par la cour du Caire !

A force de tenter de prouver à dessein à l'occident que notre mal provient justement de notre religion, ne finit-on pas par nous prosterner à l'ennemi de la nation plutôt que de le faire pour le Bon Dieu seulement?

Notre véritable mal est dans notre refus catégorique d'accepter cette alternance sur la plus haute marche du pouvoir dont le verdict est pourtant dicté de droit par le résultat des urnes. Notre religion en est finalement bel et bien innocente. A présent, le Nil est bel et bien en réel danger ! Le Chélif est, lui, par contre, à sec depuis la saison de l'été déjà ! L'eau trouble du premier risque de propulser à tout moment la tempête du second.

Le tout donc est une question de ce mauvais temps qui sévit dans la région.

(*) Gouvernement Provisoire de la Révolution Algérienne

(**) - Haut Comité d'Etat.