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Candidats à l'élection présidentielle, pour quoi faire ?

par Abed Charef

Le changement, un beau projet. Mais le changement avec, ou contre la principale force du pays, l'appareil militaire et sécuritaire ?

L'élection présidentielle de 2014 peut être abordée sous différents angles. Elle sera appréciée à travers sa crédibilité, son degré de conformité aux canons démocratiques tels que connus en Occident, à travers le nombre et la qualité des candidats, leur poids politique, ou encore à travers le rôle qu'y jouera l'armée et le résultat obtenu par les partis islamistes. Les spécialistes de la sécurité tenteront de voir dans quelle mesure elle peut déstabiliser l'Algérie ou, au contraire, contribuer à y ramener la stabilité, et les grandes puissances essaieront de voir si elle va préserver ou renforcer leurs intérêts.

Côté algérien, la perception de l'élection est également très diverse. Sur quoi elle va déboucher, permettra-t-elle au pays d'amorcer le virage pour remonter la pente, ou au contraire, va-t-elle conforter la dérive actuelle? Va-t-elle sonner le point de départ pour réhabiliter les institutions, ou au contraire, va-t-elle consacrer le fonctionnement actuel du pays comme seul mode de gouvernance possible? Va-t-elle pousser l'Algérie à suivre le mouvement régional, en permettant à des islamistes d'accéder au pouvoir, au bien va-t-elle confirmer l'exception algérienne, qui voudrait que l'Algérie ait dépassé ce stade historique ? Il y a même des prismes très étroits à travers lesquels une frange d'Algériens va juger l'élection. Ainsi, nombre d'Algériens se contenteront, par exemple, de voir si l'élection permettra l'accès au pouvoir d'une personnalité trop jeune pour avoir participé à la guerre de libération ou si, au contraire, la génération de Novembre restera encore aux commandes.

Mais s'il fallait un seul repère pour juger l'élection présidentielle de 2014, ce serait celui-là : rien ne peut se faire sans l'armée, ni contre elle. Les candidats qui ont l'intention de se présenter à cette élection prennent-ils cette réalité en compte ? Ont-ils conscience des enjeux? Mesurent-ils réellement l'ampleur des défis que le pays doit affronter ? Savent-il où ils vont ?

Que les candidats le veuillent ou non, l'Algérie de 2014 présente une géographie politique très simple. Il sera impossible d'y mener une politique contre l'avis de l'armée et des services de sécurité. Ce qui suppose que tout projet politique affiché doit avoir l'aval de ces corps. Ainsi, il ne sera pas possible d'organiser des élections législatives crédibles, plus tard, si ces institutions ne sont pas prêtes à accompagner le mouvement. De même, il n'est pas possible de lutter contre la corruption, ni de vouloir imposer la transparence économique contre l'avis de ces institutions. Il ne suffit pas que l'armée et les services de sécurité soient neutres, il faudrait qu'ils soient favorables au projet. Car en cas de coup dur, la neutralité peut rapidement se muer en hostilité.

D'autre part, en l'état actuel des choses, vouloir imposer un changement contre l'avis de l'armée et de son " cœur atomique ", le DRS, peut se révéler dangereux. Cela peut même se transformer en une aventure pure et simple. On sait ce qu'il est advenu de la tentative du FIS de passer en force. Peut-être que la situation politique changera un jour. Mais en juin 2013, la situation est ainsi, et rien ne permet d'envisager une évolution significative d'ici avril 2014.

De plus, il n'y a, aujourd'hui, aucune force politique capable de s'engager dans une grande aventure politique. Les islamistes, au sein de l'alliance verte ou en dehors, n'ont pas le moyen d'y aller. Les forces qui souhaitent le changement, mouvements politiques et sociaux plus ou moins autonomes, n'en ont pas l'envergure non plus. Le FFS garde le cap, mais il est éreinté, et la société ne compte pas de mouvements capables de réaliser de grandes mobilisations. FLN, RND et autres partis de la cour sont, quant à eux, exclus d'une alternative pour le changement, car ce sont précisément des forces qui militent pour la préservation du statuquo actuel.

Affirmer, dans de telles conditions, qu'il faut imposer le changement relève d'un rêve un peu farfelu. S'il n'a pas la garantie que l'armée est disposée à jouer le jeu du changement, un candidat qui se lancerait dans cette aventure n'a aucune conscience de la situation politique, ou bien il tient un discours de circonstance, en sachant parfaitement qu'une fois élu, il fera exactement ce qui lui sera dicté.

Serait-on alors dans une situation bloquée, une impasse totale ? Peut-être. C'est ce qui explique ce sentiment de désarroi. A moins d'une année de la présidentielle, personne ne donne l'impression de savoir ce qui va se passer. Pourtant, Chafik Mesbah, ancien officier supérieur du DRS, reconverti dans l'analyse politique, avance une issue possible. Parlant de son ancien patron, Toufik Mediène, le puissant patron du DRS, il lui suggère de devenir une sorte d'Andropov pour l'Algérie. D'être l'homme des services spéciaux qui permettrait de débloquer la situation, pour précisément aller vers une transition négociée et contrôlée.

Il est difficile de dire si cette hypothèse peut, ou va se réaliser, si c'est une éventualité sérieuse ou s'il s'agit d'une manière d'appâter des candidats. Mais la situation du pays parait mûre pour une telle initiative. L'islamisme politique est en régression, le pays dispose d'une manne financière pour amortir le choc d'une transition, et un consensus est en train d'émerger pour dire que le statuquo serait le pire des choix. Et puis, ultime argument, cette élection est l'ultime chance pour cette génération de sortir par le haut.