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La mixité, sésame de la démocratie

par Christian Benammar

Si, une agence d'arbitrage indépendante infligeait, la veille d'une élection, un blâme aux dirigeants d'un pays au vu des conditions de vie imposées aux minorités nationales, aucun candidat-dirigeant ne serait élu, ni par le peuple ni par la nation.

Or, justement, la mixité en Algérie (et même en France) souffre d'un racisme d'exclusion et de purification la ciblant.

Son tort est de confesser volontiers son appartenance aux deux rives de la Méditerranée et de soutenir que la coopération et les échanges sont une condition essentielle de croissance et de sécurité pour les deux pays, ce qui ne lui vaut même pas une reconnaissance tant est grande encore la détestation des uns et la crainte des autres.

Mixité et minorités culturelles font les frais de la ségrégation :

En Algérie : l'étatisme a politisé l'islam ( : pour instaurer et légitimer son pouvoir

par un discours d'apparence) au lieu d'islamiser la politique ( : édifier la société dans l'ordre, la justice, le partage et le mérite.).

L'étatisme a nié et même combattu la sociologie du pays (frontières coloniales, identités régionales, coutumes et traditions locales, langages des villes et des campagnes, bord de mer et sud saharien) dans le but d'uniformiser et de plier les populations et surtout de lisser la diversité originelle (droit et statuts des personnes, accès à la fonction publique et militaire ).

En France, la laïcité souvent évoquée par les thuriféraires de la république, sert plus à souligner la diversité qu'à la valoriser, plus à la filtrer qu'à la promouvoir. L'état de droit contraint les minorités à se dissoudre dans une société codée où le droit entre personnages fictifs figés régente par excès les rapports infiniment plus évolués entre personnes concrètes.

Comment, dans cette discrimination identitaire (juridiquement formatée), les droits de l'homme peuvent-ils garantir l'équilibre d'une société démocratique, alors que les institutions n'ont pour rempart que l'individu robotisé et marchandisé ?

Pour la mixité, l'ignorance de la pluralité est alarmante. Ni les défenseurs en justice ni les militants de partis politiques ne s'en émeuvent. Le temps est pourtant déjà loin où Kroutchev, grisé par le vent de la contestation, annonçait triomphalement à la tribune de l'ONU (chaussure à la main), l'avènement du socialisme étatique libérateur même pas sorti des griffes du KGB, régime policier le plus redouté au monde.

Plus tard, la chute du mur de Berlin, puis l'effondrement du communisme en URSS et en Chine, ont fait espérer vainement la disparition de la dictature soviétique et l'arrivée d'un printemps des libertés pour les minorités. Mais le libéralisme anglo-saxon, dopé par la théorie Keynésienne et par le partage du monde concocté entre anglo-saxons et Staline après 39-45, a fait croire, à son tour, dans les colonies, à l'émancipation des peuples et à leur droit de disposer librement d'eux-mêmes. On voit ce qu'il en est.

La tenaille, malheureusement, était fermée. Entre la promesse d'une voie illusoire de liberté (venue du monde libéral) et celle de la pensée collective (venue du monde soviétique), ne s'est ouvert dans les colonies qu'une voie d'anéantissement des minorités culturelles.

Au Moyen-Orient et en l'AFN, la doctrine des partis baasistes (inspirée par Michel Aflak) s'est répandue et a fait émerger une foule de dictateurs impitoyables... et rêver plus encore d'un printemps arabe.

Pas un seul nationaliste indépendantiste n'avait alors aperçu, caché sous la pierre des mystifications, le serpent des idéologies importées...Le feu des passions et des haines sociales s'est propagé et a radicalisé les conflits sur toute la planète dans une remarquable symétrie des luttes : idéalisme contre matérialisme historique, socialisme contre capitalisme, libéralisme contre étatisme...

Chaque lutte a utilisé les mêmes schémas explicatifs (exploitation-libération) distillés à longueur de journée par radio Moscou, Tirana et La Havane, les mêmes idées pour s'emparer d'un monde qui échappe à tous et creuse les utopies.

Dans la division, l'escalade de violence s'est poursuivie jusqu'à nous, mettant aux prises exploiteurs et exploités, nantis et miséreux, châteaux et chaumières, chaque camp voulant imposer, ses règles à l'autre.

En Algérie, 100.000 pieds-noirs enracinés, pro-algériens ont été rejetés comme des bêtes, sous l'applaudissement de dictatures sanguinaires.

Dans la vanité des résultats obtenus, les gaspillages et les atrocités inutiles, une autre conception du monde et de la vie s'est fait jour: celle de la mixité. Elle fédère les doctrines libérales et collectivistes pour redonner sens et perspective à la politique. En elle, science, foi et institutions cohabitent, se complètent, coopèrent... par détestation de la triche, de la violence et de l'humiliation des gens. Elle prône des évidences simples, faciles : qu'un Traité de Coopération-développement exemplaire soit signé entre la France et l'Algérie. Aussi, que la Province française manquante soit bientôt créée rassemblant en France les populations refoulées d'AFN, qu'enfin une citoyenneté de valeur soit impulsée... Pour autant, si création et conciliation ouvrent un avenir nouveau (qui n'est pas l'esquisse d'une troisième voie), ce combat de la mixité reste menacé par les oligarchies et les monarchies de pouvoir dérangées dans leur rituel de domination... Déjà, un nouvel intellectualisme se glorifie ou se gausse de la mutation chaotique de la formation sociale et feint d'ignorer l'impact de ces chocs contradictoires sur l'élargissement de la citoyenneté réclamé par la mixité.

La double utopie philosophique occidentale, du collectivisme d'État comme de l'individualisme ultralibéral, nourrie de clichés trompeurs, a conduit à la dérive des luttes de libération et de décolonisation et, par ricochet, à la répression de la mixité, taxée de non-conformité identitaire par des mouvements mutants ou déviants pseudo-nationalistes...

Reste ainsi, que l'urgence dans ce monde bipolarisé, en continuelle renaissance est :

1/ de dénoncer la tyrannie étatique d'un socialisme pseudo-marxiste dont l'objectif est toujours de s'emparer du pouvoir et de gérer autoritairement le bien public à son avantage exclusif.

2/ de dénoncer l'individualisme idéaliste lancé à dessein par le néolibéralisme comme un bélier contre les piliers de la pensée libre et de la raison, empêchant la mixité de s'exprimer et la contraignant à jouer les utilités à défaut de représentation authentique.

La mixité n'est ni de droite ni de gauche, elle est totalisante. Mieux, en Algérie comme en France, elle est pour la nation le sésame d'entrée dans la démocratie.

En résumé: la mixité fait partie des minorités culturelles mises à l'index en Algérie et en France, alors que, par nature, elle se définit comme un pont, une union entre cultures et populations qui se sont longtemps côtoyées.

Ses difficultés viennent des appareils d'État édifiés dans le culte d'idéologies opposées dont l'ambition ne s'exerce que pour leur propre finalité (: libéralisme ou collectivisme). Dans le domaine des libertés, la mixité subit le courroux de chaque pouvoir national, abrité derrière des façades de mots aguichants (droits, laïcité, souveraineté...), cependant réducteurs.

La défense des libertés, de la diversité et de la démocratie est une aspiration réactive de la mixité.