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L'essence de nos problèmes

par Belkaid Tajeddine

L'objet de ce papier qui pourrait être qualifié d'élucubration évoque une situation qui semble si évidente que l'on reste interloqué de ne pas y avoir pensé! Ou que l'on ne peut pas y penser, les voies du pouvoir étant impénétrables !!

Pour exemple et il y en a beaucoup d'autres nous citerons celui de l'anarchie de nos villes notamment dans le domaine de la circulation routière qui nous amène à nous interroger sur les causes et origines de ces situations.Les observations et réflexions nous conduisent dans un premier temps à attribuer cette situation aux défaillances au niveau des structures de l'état parce que le commun des mortels va immédiatement accuser le pouvoir (quand cela l' interpelle, la majorité ne se sentant même pas concernée, habituée à vivre dans le désordre, notamment chez elle). Alors que des investissements judicieux dans les infrastructures principalement dans les routes et autoroutes ont été réalisés et souvent anticipés. Ce qui nous oblige à descendre au niveau des willayas et communes. Là aussi des trémies, rocades et ronds points pour fluidiser la circulation ont été réalisés mais toutes ces œuvres d'art et infrastructures ne sont que des bricolages pour agir sur des effets et non sur les causes profondes.

En premier lieu il y a l'incivisme avec tout ce que cela sous entend, y compris l'éducation, l'école, la mauvaise formation à la conduite et les probables passes droits à l'acquisition des permis de conduire. Il y a aussi le nombre impressionnant de véhicules mis en circulation, rien que pour les années 2011& 2012 l'on peut en dénombrer environ un million d'immatriculations en incluant les véhicules importés par des particuliers. Il reste entendu que les willayas et encore moins les communes ne disposent de structures de prospectives dignes de ce nom pour le long terme. Même pour une croissance normale et régulière de véhicules (de l'ordre de 3% à 4% par an) à fortiori pour les croissances anarchiques que nous connaissons. Pour ne citer en exemple que le cas parkings qui sont inexistants, les stationnements gratuits raquettés par des pseudos gardiens sous contrôle de « mafias », et autres.

Mais en y regardant de plus prés, l'on peut noter que plusieurs autres facteurs contribuent à cette situation d'anarchie parmi lesquelles ont peut citer ce besoin viscéral qu'ont nos compatriotes de reconnaissance. Ils sont amenés à priver leurs enfants, famille, de s'endetter souvent et j'en passe pour acquérir ce symbole de la pseudo réussite, l'automobile, une affaire de culture et d'éducation encore, probablement ??? J'ai connus d'éminents personnages, souvent chercheurs reconnus pour leurs travaux et non pour leur véhicule qui se déplacent par des moyens publiques ou en bicyclette. Ils n'ont tout simplement rien à prouver et surtout pas besoin d'artifices.

Ce qui aggrave la situation, c'est que pour mieux exhiber l'objet de leur réussite, cette population hélas nombreuse passe le plus claire de son temps à se promener et « tuer le temps » comme ils disent !!

Par ailleurs, on peut noter aussi que pour la moindre opportunité de déplacement, le véhicule est sollicité même si le déplacement se limite à quelques dizaines de mètres. Ces comportements développent des flemmardises et fainéantises déjà naturelles chez nous. On retrouve d'ailleurs cette fainéantise chez lez autres membres de la famille qui ne disposent pas du véhicule et qui emprunte les taxis collectifs. La meilleurs preuve est que si par curiosité vous observez le fonctionnement de ces taxis vous pouvez constater qu'ils sont très nombreux, facilement remarquables de par leur couleur, leur conduite indisciplinée et leur va et vient incessant. Les usagés mentionnés plus haut les hèlent à tout moments n'importe où et eux, s'arrêtent au bon milieu de la chaussée entravant la circulation des autres véhicules. Ce qui interpelle le plus, c'est que la plupart de ces usagés (une estimation approximative basée sur une longue observation révèlerait que plus de 50% sollicitent ce type de transport pour des parcours n'excédant pas 500m, ce pourcentage passerait à 70% pour moins d'un kilomètre, à 80% pour moins d'un kilomètre et demie, au de la de cette distance, il serait admis qu'un taxi soit requis).Le plus frappant, c'est que quand vous êtes à observer une station officielle d'arrêt de taxis, vous constatez que certains usagés attendent 20 à 30 minutes alors que ce temps leur permettrait de parcourir largement plus de deux fois la destination ciblée à pieds.

L'ensemble de ces véhicules, personnelles, taxis, bus, mini bus, camions, camionnettes, motos, mobylettes étouffent les villes de par leurs mouvements browniens. Les responsables et agents de la circulation sont dépassés par les évènements. Alors des solutions sont improvisées pour pallier au plus urgent, notamment comme il a été mentionné plus haut, en réalisant des trémies ou autres artifices, probablement requis mais pas suffisants. Dans tous les cas quelle que soit la ou les solutions retenues, elles n'agiront que sur des effets, la cause profonde étant ailleurs.

Si l'on exclut les comportements sociétaux qu'il est difficile de modifier à cours terme, il y a quand même des leviers économiques à la disposition des pouvoirs, notamment en agissant sur les prix des carburants. Autant l'on peut comprendre que dans un élan de populisme, les pouvoirs décident de subventionner les produits de premières nécessités tels que l'huile, la farine, la semoule, les légumes secs et il serait judicieux d'y ajouter les fruits et légumes frais indispensables pour une bonne santé,(encore que ces subventions ne profitent pas qu'aux nécessiteux, les gens aisés en bénéficient largement et cela incite aux gaspillages de tout genre, un coup d'œil aux poubelles serait édifiant, mais cela est une autre sujet) . Autant il est incompréhensible que les carburants de véhicules soient subventionnés à ce point. Et ils le sont et très fortement !

Démonstration

? Le cours du baril de pétrole brut est de l'ordre de 100 US$ sur les marchés, dans un baril il ya 159 litres. Le coût d'un litre de brute serait donc supérieur à 0,69 US$, au cours actuel du dollar à 80 Dinars algériens, ce qui donne un litre de brute à 50 Da, soit deux fois plus cher qu'un litre d'essence raffiné (25 Da environ) et trois fois et demi plus cher que le litre de gas-oil (la majorité des véhicules consomment du gas-oil).

? Le prix d'un véhicule moyen est de 12.000 Euros environ en Europe et 1.5 millions de Da en Algérie. Pour la valeur de ce véhicule, on peut se payer 8.000 litres de carburant en Europe alors qu'en Algérie, c'est 60.000 litres d'essence avec le même type de véhicule et ça passe à 109.000 litres pour le gas-oil, soit 13,5 fois de plus qu'en Europe (les ratios de l'Europe sont à peut de chose prés les mêmes pour l'Afrique, sauf pour la Libye et l'Algérie et de façon moindre pour le Gabon et le Nigéria où les prix sont de l'ordre de 50 Da, soit quand même le double de chez nous).

Justificatifs avoués

A l'origine les pouvoirs justifiaient cette anomalie par le fait (malgré la politique de la vérité des prix menée dans le années 80) que l'augmentation des prix des carburants allait très fortement impacter sur les transports des marchandises et voyageurs, sauf qu'il n'y a plus de SNTR et la SNCF n'a pratiquement plus de micheline diesel. Et même dans ces cas ils auraient pu bénéficier de gas-oil teinté à l'instar de l'agriculture et du chauffage à l'époque.

Conséquences

1 Ces prix attractifs de l'énergie incitent les « tueurs de temps » et promeneurs à passer le plus clair de leurs loisirs dans leur véhicule à exposer l'objet de leur réussite (même s'ils ne prennent que cent ou deux cents dinars de carburant à chaque fois, ce qui encombre les stations par ailleurs).

2 La pollution fatalement inimaginable engendrée par ces embouteillages, même si ce n'est pas le centre d'intérêts essentiel des algériens, il n'en reste pas moins que nous en subissons les effets sur la santé des citoyens et les coûts des soins qui en découlent.

3 Les importations des carburants de plus en plus importantes, notamment pour le gas-oil.

4 Les investissements anarchiques pour tenter de pallier conjoncturellement à l'étouffement des villes.

5 Les pertes de temps de travail et les arrivées en retard (ce domaine et compliqué à aborder car il est difficile de définir qui travaille dans ce pays).

6 Ces prix dérisoires incitent et favorisent les trafiques en tout genre, il m'est arrivé de doubler un camion citerne de 3.000 litres à destination de GAO au Mali (à l'époque déjà, dans les années 80, on parlait de la perméabilité des frontières autour de Bordj Baji Mokhtar et Tessalit). Arrivé à GAO c'était le gouverneur en personne qui définissait les priorités de distribution du fait des pénuries. Nous avions eu droit à ce privilège en tant que touristes et le prix était celui pratiqué en Europe en francs CFA. Il est alors facile d'imaginer la marge bénéficiaire que peut dégager ce trafique qui était conjugué au marché parallèle du dinar. Le même trafique plus important encore avec le Maroc est à signaler. Bien entendu les opérations sont effectuées en plus faibles quantités à chaque fois mais le nombre de rotations est infiniment plus nombreux. Dans le cas du Maroc, la situation est beaucoup plus grave car elle a développé d'autres types de trafiques et notamment des drogues, alors que les frontières terrestre sont supposées être fermées. Que serait ce si l'on ré-ouvrait ces frontières ??

7 Enfin, les transports publics modernes (métros, tramways) supposés réduire la circulation dans les villes et donner un meilleur confort aux citoyens n'ont aucune chance d'être compétitifs et rentables.

Comme il a était signalé, aucune raison ne justifie de telles subventions aux carburants. A contrario, si l'on rétablissait progressivement la réalité des prix d'une part et que l'on organisait les stationnements en les rendant payants d'autre part, il est certain que ceux qui n'ont pas un besoin vital d'utiliser leur véhicule en ville seront fortement dissuadés, avec des résultats probants dans la plupart des domaines. En premier lieu l'on peut assurer qu'avec une réduction très sensible de la circulation de par la dissuasion matérielle des désœuvrés et des riverains, les villes seront décongestionnées. Ce type d'action se traduira par :

8 Une circulation plus fluide, facilitant l'accès aux véhicules indispensables (pompiers, ambulances, services de l'ordre etc.).

9 Réduire la consommation des carburants et donc des importations.

10 Réduire la pollution et donc améliorer la santé des populations.

11 Inciter les citoyens à marcher davantage, indispensable à une bonne santé.

12 Mieux planifier les investissements des villes qui n'obéiront plus à des actions intempestives au coup par coup afin de toujours palier au plus urgent.

13 Les transports publics modernes mis en place par les pouvoirs, deviendraient subitement attractifs et compétitifs.

14 Les taxis clandestins diminueront de façon drastique.

15 Les contres bandes en tous genres verraient leurs sources de financement se tarir, notamment pour les drogues venues du Maroc, ce fléau qui se développe à grande vitesse.

Bien entendu, les mesures préconisées seront impopulaires. Mais il me semble que l'état dispose de plusieurs leviers pour redistribuer la manne recueillie par ces ajustements de prix aux plus nécessiteux.