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Mandela : prière de l'absent

par M'hammedi Bouzina Med

«Une vie de sacrifice est le sommet suprême de l'art, Elle est pleine d'une véritable joie.» (Gandhi)

Lorsque Gandhi est assassinée en 1948, Mandela avait 30 ans. Pourquoi ce parallèle ? Parce que Nelson Mandela, surnommé affectueusement par son peuple «Madiba», est par bien de qualités morales et humaines le digne héritier de Gandhi : une générosité immense, un sens de la liberté intense, une intelligence éblouissante, une ouverture d'esprit sans égal, une connaissance de la nature profonde de l'homme. Une âme de prophète. Chaque siècle enfante le sien, dit-on, pour distinguer des hommes exceptionnels par leurs charismes, leurs actes et le «pas de géant» qu'ils font faire à l'humanité vers plus de liberté, de justice, de fraternité et d'humanisme. Le 21ème siècle, le nôtre, va devoir se résigner à voir partir, très tôt, un éclaireur de consciences, un homme exceptionnel. Madiba ! Ton grand départ vers les cieux cléments nous laissera orphelin d'avenir du possible, mais surtout forcera notre regard sur les «autres», ceux qui gouvernent leurs peuples avec le bâton, la violence, le mensonge, le déni de liberté et d'humanisme. A quoi pensent les dictateurs et bourreaux de leurs peuples en apprenant ton proche départ ? Toi qui as su te délivrer des tentations diaboliques du pouvoir après avoir réconcilié ton peuple dans sa diversité en lui apprenant à associer les vertus du pardon avec le courage de la vérité. La vérité sur la longue nuit de l'apartheid qui violenta ton pays. Comment 27 années de dure détention et de travaux forcés peuvent ?elles ne pas générer de ressentiments de vengeance alors que tu avait tous les pouvoirs ? Les cinq années durant lesquelles tu a présidé aux destinées de ton pays, tu les a consacrées à construire la paix chez toi et ailleurs dans le monde, à ancrer le prix et le sens de la liberté dans la conscience des hommes, puis tu as rejoints ta condition de simple citoyen, sans cesser de répondre à tous ceux qui te sollicitaient pour un conseil, un avis, un soutien, une aide. «En nous libérant de notre propre peur, notre présence libère automatiquement les autres» écris-tu au seuil de ta retraite, longtemps après avoir déclaré à tes juges qui t'on condamné aux travaux forcés à perpétuité que tu «étais prêt à mourir pour l'idéal de la liberté et de la justice». Tu as raison : la peur est le pire ennemi de la liberté et c'est pourquoi elle est le mode de gouvernance des dictateurs et inquisiteurs. Puissent t'entendre et en faire foi tous ceux qui souffrent des despotes et inquisiteurs. Puissent-ils se libérer de leur peur. Tu avais mille façons d'expliquer les vertus du pardon, y compris par un sourire permanant et charmeur. Comme Gandhi. Lui aussi était exceptionnel et avait réponse à toutes les tristesses. A un indou sikh qui se torturait en pleurs en avouant avoir tué un enfant musulman pour venger l'assassinat de son propre fils par des musulmans et qui voulait délivrer sa conscience, Gandhi conseilla : «prends un enfants orphelin musulman et adopte-le». L'homme sourit, délivré comme par un miracle du poids qui encombrait sa conscience.

C'est cela aussi la magie du sage. Bien de peuples seront orphelin de Madiba, tant ils vivent les guerres, violences, intolérance, haine par la faute de gouvernants égoïstes, calculateurs, despotiques s'accrochant au pouvoir jusqu'au dernier souffle de leurs vies. Le pouvoir est ensorceleur, corrupteur pour beaucoup d'hommes dits puissants. Comment alors, toi au sommet de la gloire et de la renommée qui plus est supplié par ton peuple de rester encore leur chef légitime as-tu pu te délivrer du vertige du pouvoir ? Car c'est bien le pouvoir que tu as méprisé, pas la responsabilité que le peuple a investit en toi : tu as répondu toujours à son appel pour lui ouvrir de nouveaux chemins d'espérance. Tu le sert encore au seuil du grand départ : il prie ensemble pour que tu restes encore avec lui. Tu réunis ton peuple encore une fois. Le reste du monde écoute tes dernières pulsations, espérant un miracle pour que la lumière avec laquelle tu éclaires le chemin de la liberté ne s'éteigne pas brusquement.

Le monde de la liberté et de la tolérance a peur de te perdre. Les despotes, eux, se sentent nus, humiliés par la solidarité que te manifeste à toi, ton peuple et le monde libre. «C'est notre lueur, pas notre ombre, qui nous effraie le plus» disais-tu. Parce que tu n'avais rien à cacher et assumais tes propres défauts humains. C'est énorme pour un homme adulé partout dans le monde. Encore une fois, une seule de tes qualités efface tout le reste de tes défauts, comme le dit l'adage populaire. Ton nom restera à jamais dans le cœur des hommes. Madiba !