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La mondialisation heureuse et le drame de Rana Plaza

par Akram Belkaïd, Paris

Heureuse, la mondialisation ? Cela dépend pour qui comme en témoigne la tragédie qui vient de se dérouler au Bangladesh avec l’effondrement d’un bâtiment de neuf étages abritant une usine textile à Savar, près de la capitale Dacca. Le bilan de cette catastrophe est lourd : au moins 1.127 morts sur les 3.500 employés de ce complexe appelé Rana Plaza. On sait que de nombreux travailleurs ont alerté leurs supérieurs sur l’apparition de fissures dans le bâtiment mais que ces derniers leur ont imposé de continuer leur labeur.
 
LES PROFITS CONTRE LA SECURITE
 
Bien entendu, la responsabilité directe de ce drame incombe aux propriétaires de cette usine, des Bangladais qui se sont enrichis grâce à la sueur de leurs compatriotes, payés une misère et obligés de travailler dans des conditions pires que ce que décrivait Dickens dans ses romans à propos de l’Angleterre industrielle du XIXe siècle. La règle d’or de ces esclavagistes est simple : la réduction maximale des coûts garantit les plus gros bénéfices. Du coup, ils rognent sur les dépenses de sécurité, de formation et d’hygiène. Et cette situation n’est pas propre au Bangladesh, pays qui est le deuxième exportateur mondial de textile avec des recettes annuelles de près de 30 milliards de dollars (80% des exportations du Bengladesh). En Chine comme dans n’importe quel pays du sud-est asiatique mais aussi en Afrique subsaharienne, il existe des millions d’usines dangereuses pour leurs propres employés.
Dans le cas du textile, les donneurs d’ordre se trouvent essentiellement en Occident. Depuis la catastrophe de Dacca, c’est à qui rivalisera en déclaration de bonnes intentions. Ainsi, la société suédoise H&M a-t-elle promis de revoir les conditions de sécurité de ses fournisseurs en ayant recours à des inspections indépendantes. Que ne l’a-t-elle fait avant ! Il faut savoir aussi que tous les grands noms du textile mais aussi les chaînes de distribution comme Wal Mart ou Carrefour sont présents au Bengladesh. La question est simple : à qui ces symboles de la mondialisation vont-ils faire croire qu’ils ignoraient les conditions de travail dans ces usines ? Cela fait plusieurs décennies que les syndicats et les ONG tirent la sonnette d’alarme à propos de cette question. En vain. A ce sujet, on peut revenir en arrière à la fin des années 1990 quand se négociait la libéralisation totale du commerce mondial du textile. A l’époque, le discours des grands donneurs d’ordre était que cette ouverture allait profiter aux pays pauvres car cela allait leur offrir des revenus supplémentaires. Ces mêmes acteurs s’étaient alors engagés à prévenir tout dumping social et à faire en sorte que les conditions minimales d’hygiène et de sécurité soient respectées chez leurs fournisseurs. De belles promesses…
 
DES SALAIRES DERISOIRES
 
La question de la responsabilité des donneurs d’ordre se pose aussi quant aux salaires de misère payés par l’industrie textile du Bangladesh. Trente euros, c’est le salaire mensuel moyen versé dans les quelque 4.500 usines dans les alentours de Dacca. C’est-à-dire le prix de vente d’un tee-shirt dans un magasin en Europe ou en Amérique du Nord… Cela donne une indication sur les marges réalisées par les grandes marques de vêtements et de distribution. Pour elles, la mondialisation est bien plus heureuse qu’elle ne l’a été pour les victimes de la catastrophe de Rana Plaza… Pourtant une chose certaine : une revalorisation des salaires ainsi qu’une amélioration des conditions de travail des employés du textile au Bangladesh ne pénaliseront guère les profits de l’industrie textile mondiale pas plus qu’elles n’entameront les dividendes de ses actionnaires.