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De la gerboise bleue à l'épi blanc, au rouge de mai 45

par El Yazid Dib

Drôle de nuance tricolore ! Pourtant les couleurs sont censées égayer l'iris. Sauf si les yeux sont abasourdis par la fumée, le nuage et l'irradiation. Un regard en rétrospective est toujours une halte en ce mai, même sous l'effet d'un retardement d'une bombe atomique Le président François Hollande a promis de « dire la vérité » mais sans « repentir » sur la colonisation française de l'Algérie afin d'ouvrir une nouvelle ère entre les deux pays, à l'occasion de sa première visite d'Etat chez nous « je ne viens pas ici ?ce n'est, ni ce qui m'est demandé, ni ce que je veux faire? faire repentance ou excuses. Je viens dire ce qu'est la vérité, ce qu'est l'Histoire », a-t-il dit dans une conférence de presse à la veille d'un discours très attendu devant les deux chambres du Parlement algérien. Pour dire plus loin et en toute humilité diplomatique « Pendant 132 ans, l'Algérie a été soumise à un système profondément injuste et brutal : la colonisation. Et je reconnais ici les souffrances que la France a infligé au peuple algérien» ceci sans pour autant présenter d'excuses officielles »

Ces mots avec toute l'intensité qu'ils véhiculent sur la teneur des relations algéro-françaises notamment dans leur volet historique n'ont pas laissé inaptes « les gardiens de la mémoire nationale » pour saisir l'opportunité de la célébration du 68 eme anniversaire des massacres du 8 mai 1945 à Sétif, Guelma, Kheratta, Saida , Tigzirt et bien d'autres villes d'Algérie pour organiser, par le biais de la fondation du 08 mai un séminaire sur les explosions nucléaires françaises 1960 1966 au Sud algérien. Cette séminaire à regroupé à la maison de culture Houari Boumediene de Sétif le 1 mai 2013 d'éminents professionnels et associations des victimes des essais nucléaires venues du Sud, d'Alger, d'Oran. Des juristes de renommée internationale y faisaient également partie. C'est dire que la mémoire n'est pas exclusivement une chose de souvenance, mais aussi et surtout de preuves, de constatations et de témoignages. La fondation du 8 mai 1945 en accords avec les associations concernées avait pris en charge ces dossiers pour enregistrer, établir et compléter ce grand chapitre de l'histoire à l'effet d'évaluer les incidences des contaminations et les dégâts néfastes considérables causés par les Irradiations subies par l'homme, la nature et l'environnement. L'association voulait à travers l'élévation au caractère scientifique de ce conclave et son élargissement aux spécialistes algériens et étrangers en nucléaires, aux cancérologues, aux neurologues et surtout aux gynécologues (déformations congénitales) « c'est pour établir avec technicité l'affreuse période vécues par nos compatriotes » tenait à dire M. Salakdji président de la fondation. Il interpelle, pouvoirs et opinion publique « qu'a-ton fait depuis 50 ans ? »

Le 8 mai 2012 le président Bouteflika en déposant la première pierre du projet de construction de l'observatoire du 8 mai 1945 de Sétif avait lancé un message en direction de Mr Hollande invitant la France de cesser cette guerre de mémoire. En réponse à cela affirme M. Salakdji « Mr Hollande lors de sa visite en Algérie au mois de décembre dernier avait prononcé des mots diplomatiquement apaisants. Personnellement je n'y crois pas car la France n'a jamais été sincère et honnête quand il s'agit de l'Algérie.

Droite ou gauche la France d'aujourd'hui dispose d'un puissant lobby néo-colonialiste, électoraliste et qui influe considérablement sur la politique » Il garde cependant un grand espoir dans le devenir des générations futures « nous avons tout les temps pour crier haut et fort la carte économique afin de ramener la France à reconnaitre sa responsabilité dans les massacres du 8 mai 1945 »

Il était ce séminaire très enrichissant au plan de la fourniture des détails sur les motifs génésiaques ayant entrainé de telles péripéties. Un Commissariat à l'énergie atomique a été créé par le général de Gaulle, le 8 mai 1945, qui avait pour mission la conception de la bombe atomique. Le premier site d'essais français au Sahara se trouvait à côté de Reggane, dans le Tanezrouf. La base avancée pour le tir était à Hamoudia La construction du site de Reggane débute dès juillet 1957 dans la vallée du Touat. C'est là qu'ont eu lieu les quatre premiers tirs atmosphériques du 13 février 1960 au 25 avril 1961. Outre dans tout le Sahara algérien, les retombées radioactives ont été enregistrées jusqu'à plus de 3000km du site (Ouagadougou, Bamako, Abidjan, Dakar, Khartoum, etc.). Onze essais se sont ainsi déroulés après l'Indépendance du 5 Juillet 1962 et ce, jusqu'en février 1966. En 1967, « les sites ont été rendus aux autorités algériennes après démontage des installations techniques, nettoyage et obturation des galeries.

Le 7 novembre 1961, la France réalise son premier essai nucléaire souterrain. Mais le 1er mai 1962, lors du deuxième essai souterrain, un nuage radioactif s'est échappé de la galerie de tir à In Ecker, au Sahara. Le tir fut effectué dans une galerie creusée dans une montagne, en forme de spirale, bouchée par du béton armé. Lors de l'explosion, le système d'obturation céda sous la pression. C'est l'accident de Béryl (du nom de code de l'essai). Il y eut rejet de matériaux radioactifs, gaz et des poussières radioactives, à l'extérieur. Les deux ministres présents furent irradiés: Pierre Messmer, ministre des Armées, et Gaston Palewski, ministre de la Recherche, qui mourut d'une leucémie.

L'assistance était saisie d'un sensible sentiment quant au retard sempiternel enregistré jusqu'ici pour réaliser l'ampleur des dégâts et partant s'inscrire dans une approche de revendications sous le sceau officiel. S'il n'y a rien à attendre de ce côté-là, il est du devoir de l'Etat algérien de rappeler, en toutes circonstances à la communauté internationale et à l'opinion française, ce qui s'est réellement passé dans cette partie de l'Algérie pour que le martyr de Reggane soit reconnu comme crime contre l'humanité, à l'instar du génocide de Hiroshima et de Nagasaki. Le 08 mai 45, ses crimes, son génocide et toute sa barbarie restera comme Reganne une honte, sans ce repentir, sur le front de cette république prônant la fraternité, l'égalité et la liberté sur tous les frontons et documents de ses institutions.

A Sétif, en ce moi de mai où le souvenir vous prend par-dessus tout, c'est cet avatar macabre replongeant dans ce jour fatidique, un mardi, un souk, une marche, une fusillade qui vous embarque à jamais sur le récit de cette grande tragédie. Le grand chaos n'est pas prêt d'être oublié. Bouteflika s'en était déjà pris longuement à aborder l'importance de l'histoire, dans son discours de Sétif l'année dernière. En son début, la parole présidentielle était toute dédiée au «courage incessant» des pionniers de toutes les révoltes populaires qui ont émaillé le parcours rédempteur, pour se faire acclamer quand il qualifia Sétif de « symbole et forteresse du combat, des arts et des sports». Le 08 mai 45, dans sa dimension de date-phare dans la galvanisation du sentiment national, a été abordé par un rappel à tous les sacrifices consentis par ceux et celles qui ont eu à mourir pour un idéal d'indépendance.

Une minute de silence a été observée par l'assistance, demandée par le président, en milieu de son propos, à la mémoire des Martyrs du 08-Mai 45 et de Novembre 54. Ce fut un moment plein d'émotion. Fustigeant les méfaits du colonialisme français lequel «s'exerçait avec barbarie et humiliation», dira Bouteflika, «les relations avec la France doivent être édifiées dans une culture de respect mutuel». C'est dans cette optique de lutter contre l'oubli, de pérenniser la souvenance et de sacraliser la méditation qu'un complexe dédié aux massacres du 08 mai fut décidé par le président Bouteflika dont il a lui-même posé la première il y a une année jour pour jour. La communauté investie dans ce créneau entre journalistes, chercheurs, passionnés, historiens et artistes, comme la population ne connaît pas encore l'évolution de ce projet. Toutefois un mérite reste à attribuer au nouveau jeune maire de la ville le Docteur Waharani pour son investissement dans les pans de l'histoire.