Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Chypre : tollé international après les exigences de l'Union européenne

par Pierre Morville

En contrepartie de son aide financière, l'UE a exigé une intrusion dans l'ensemble des comptes bancaires de chaque citoyen chypriote !

Un de ces jours, on apprendra que la Commission européenne aura décidé d'installer des soviets dans le Grand-Duché du Luxembourg, de nationaliser sans indemnités tous les salons de coiffure en France, ou d'envahir militairement l'Estonie pour mieux contrôler l'application de ses directives?

 Hypothèse d'école ? C'est en tous cas, le sentiment que l'on peut ressentir après l'incroyable décision prise récemment par quelques eurocrates obscurs, concernant «le dossier chypriote».

 Chypre, comme de nombreux pays de la zone Euro l'Europe du Sud (Italie, Espagne, Portugal, Grèce?) s'est retrouvé dans la tempête de la crise de la monnaie unique européenne et n'arrive pas résoudre ses taux d'endettement. Bien au contraire, le pays s'enfonce dans le marasme. Ses comptes sont au rouge. Chypre, pour éviter la faillite, a donc été obligée de solliciter la bienveillance des autorités européennes. La «troïka» (Union européenne, Fonds monétaire international et Banque centrale européenne), a donc décidé de prêtre main-forte à l'un des plus petits des 27 pays adhérents de l'Union Européenne. Oui, mais avec de solides garanties, Chypre devra contribuer à hauteur de 5,8 milliards, sous forme de remboursements pour que l'île puisse rester dans l'Union européenne et dans la zone Euro. Le tout assorti d'une bonne leçon de morale et d'une grosse fessée.

 L'économie chypriote est bien évidemment incapable de sortir une telle somme et l'état chypriote, en déficit budgétaire constant ne pouvait que lever les bras au ciel. Ah ! mais, c'est là où nos gentils technocrates de Bruxelles (siège de la Commission européenne) et de Francfort (siège de la Banque Centrale Européenne, BCE) ont trouvé le remède miracle : il suffit de siphonner l'épargne chypriote !

 Tous les comptes bancaires devront être prélevés d'une taxe obligatoire et directement prélevés d'environ 6,75% de la valeur sur les comptes inférieurs à 100 000 euros, d'environ, 9% pour les «grosses fortunes» dont l'épargne est supérieure à la barre des 100 000 euros?

LES CHYPRIOTES DEVRONT PAYER JUSQU'AU DERNIER CENTIME !

Quand on a la curiosité de comprendre comment une décision aussi idiote a pu être prise, on rentre dans un monde obscur et qui défend vigilamment son opacité. Certes, on retrouve les signataires finaux. Mais qui et comment a pu élaborer une telle solution loufoque, dans les entrailles dans la grande machinerie bureaucratique de la Commission européenne ? On a pas à le savoir.

 C'est évidemment une atteinte au droit de propriété? des plus pauvres ! Rappelons que le droit de propriété notamment sous la forme de l'épargne, est garanti par la Constitution et les différents traités qui régissent l'Union européenne. Donc, si toute votre vie, vous êtes fait un petit pécule par épargne, vous devez payer une fiscalité mais, a priori, on ne voit pas pourquoi, on vous en réclamerait davantage a posteriori, au nom de la sauvegarde des intérêts européens. Surtout par prélèvement, direct, donc sans possibilité de contestation, et ce à partir d'un immense magot de 10 000 euros, qui était le 1er niveau retenu par la Commission européenne !

 A notre connaissance, ce ne sont pas les contribuables, salariés et citoyens chypriotes, grecs, italiens, espagnols, portugais, irlandais, français, belges, hongrois, bulgares? (Je m'arrêterai là la liste est trop longue), qui sont responsables de l'effondrement en 2008/2009 du système financier et bancaire international, de la gabegie et de la corruption qui régnait en son sein et qui continue à exister dans les sociétés financières privées. Celles-ci n'ont été sauvées de la faillite que par une intervention massive de capitaux publics, partout dans le monde. Pour payer la note, et notamment la note budgétaire, qui est payée par les impôts des mêmes citoyens, nos merveilleux technocrates européens ont imaginé alors de fermer les dépenses publiques et d'imposer plus de fiscalité. L'austérité s'est donc répandue en Europe, annoncée d'une voix sépulcrale et de façon quasi-religieuse, comme «les sacrifices consentis aujourd'hui amèneront nécessairement le salut et la grâce, demain».

 Constatons tout d'abord que les responsables-irresponsables du plus gros crash de l'économie mondiale, sont toujours en poste : grandes banques privées et sociétés financières internationales, dirigeants des organismes censées organiser la régulation (FMI, Banque Mondiale, OMC?). Le plus souvent, ces mêmes personnes éminentes ont depuis par prudence, fortement élevée leurs rémunérations et se sont dotés de très beau «parachutes dorés» en cas de départ négocié.

 Remarquons ensuite, que les états qui avaient largement mis leur main dans leur poche pour sauver de la faillite le secteur privé financier, avaient tous promis, une fois l'argent donné , le cœur sur la même main, qu'on allait procéder à une grande régulation du système financier international. Cinq ans plus tard, rien n'a été évidemment fait, ne serait-ce même que l'ombre des prémices de l'ébauche d'un projet de réforme?

 Comme on ne veut pas changer le système, et surtout ne pas taxer les plus riches, puisque dans l'absurde discours du libéralisme financier, ils sont «les seuls réels créateurs de richesse», il faut bien que d'autres payent. On se retourne naturellement vers les classes populaires, peu fortunées mais nombreuses, et les classes moyennes, tout aussi nombreuses au moins en Europe, et plus taxables.

 Dans le cas précis de l'Union européenne, l'affaire se complique encore par trois phénomènes structurant l'ensemble de façon négative.

- L'Union européenne n'est ni une fédération (à l'image des Etats-Unis), ni une confédération d'états-nation, ni même une fédération d'états partageant régionalement des intérêts communs.

- L'ensemble du fonctionnement est peu ou pas démocratique : personne n'a élu la Commission européenne, quels organismes la contrôlent ? Mystère et boulle de gomme, quand au moins deux-tiers des décisions législatives nationales sont strictement encadrés par les directives européennes. Qui contrôle la Banque Centrale européenne, qui a un seul credo, sa propre absolue indépendance, et une seule mission divine, une lutte impitoyable contre l'inflation ? Notons que celle-ci est marginale dans l'ensemble de l'UE et parfois négative dans certains pays.

- Les relations interétatiques européennes, entre les principales puissances du continent, sont depuis quelques années très fortement encadrées par la puissance allemande. C'est évidemment visible sur la question de l'évaluation de l'Euro. Cette monnaie, contrairement aux autres grandes monnaies internationales est notoirement surévaluée. Une grande partie des problèmes des dettes, des déficits budgétaires et commerciaux seraient rapidement solubles par une dévaluation de l'Euro qui serait bénéfique à peu près à tous les pays de la zone Euro, sauf peut-être l'Allemagne, et encore? Dévaluation ! Terme impie, crime absolu : Vade rétro Satanas !

LE BAL DES FAUX-CULS

Bien évidemment, après les populations grecques, italiennes, espagnoles, portugaises, la population chypriote a découvert lundi les recommandations sous forme de diktat, comme une simple injure et l'annonce d'une grande misère.

 Immédiatement, des manifestations se sont organisées, notamment devant le parlement qui devait ratifier les impératifs bruxellois. Prudent, celui-ci a opéré une grande marche arrière : Le Parlement chypriote a rejeté mardi soir, par 36 voix contre et 19 abstentions le plan d'aide de 10 milliards d'euros de la zone euro et du Fonds monétaire international qui prévoyait une taxe sans précédent allant jusqu'à 9,9 % sur les dépôts bancaires.

 Fait amusant, la nouvelle inventivité fiscale va même jusqu'à inquiéter les milieux financiers internationaux : «Le regard des investisseurs cette semaine se tourne avec attention sur l'île de Chypre, alors que celle-ci ne représente environ que 0.3% du PIB mondial. Plus que son importance économique, toute relative, c'est plutôt la création d'un précédent, justement sans précédent, qui inquiète la communauté financière. En effet, la proposition de l'UE de taxer les dépôts d'épargne pour permettre aux chypriotes de sauver leurs banques constitue, au regard du principe fondamental de liberté et de propriété individuelle, un précédent incroyablement dangereux.», note le site suisse Tradition SA de Lausanne.

 Ayant pris conscience tardivement du faux-pas, les autorités européennes ont en début de semaine tenté d'opérer une très maladroite sortie du jeu, grand rétropédalage, sur deux thèmes musicaux, le premier «Pas nous, pas nous !», vite recouvert par le «pas moi, pas moi !».

Quelques exemples amusants :

Le ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, a déclaré lundi que la Banque centrale européenne (BCE) et la Commission européenne avaient assuré aux ministres des Finances européens qu'imposer une taxe sur les dépôts des banques chypriotes n'enfreindrait pas les règles européennes de garantie des dépôts. S'exprimant devant la presse, Wolfgang Schäuble a déclaré avoir "urgemment demandé" si les règles européennes de garantie des dépôts poseraient un quelconque problème. Selon lui, la Commission européenne et la BCE ont confirmé qu'une telle taxe n'enfreindrait pas les règles car il s'agit d'une taxe et la garantie des dépôts ne fait pas référence aux taxes. Evoquant sa "compréhension" pour les manifestations à Chypre, il a cependant souligné que "cela ne peut pas conduire à ce que nous prenions des décisions irrationnelles, irresponsables".

 Jörg Asmussen, membre allemand du directoire de la Banque centrale européenne (BCE), a ouvert la porte lundi à des amendements au plan d'aide à Chypre décidé samedi à Bruxelles, tant que son financement était assuré. «C'est le programme d'ajustement du gouvernement chypriote, pas celui de la Troïka ou d'un autre gouvernement, a déclaré M. Asmussen lors d'une conférence à Berlin tandis qu'une source européenne à Bruxelles affirmait que des négociations étaient déjà en cours pour réviser ce plan, annonçant quasiment l'abandon des taxations concernant les comptes personnels en-dessous de 100 000 euros. «Si le président chypriote veut changer quelque chose à la taxe sur les dépôts, c'est entre ses mains, a-t-il ajouté, il devra juste s'assurer que le financement est intact, c'est-à-dire que Chypre apporte sa propre contribution d'environ 6 milliards d'euros».

 Le gouvernement grec, lui-même visé par un plan d'aide, a été le premier gouvernement de l'Union européenne à réagir en demandant que la zone euro "corrige" le plan d'aide. Il a fallu attendre de nombreuses heures, pour que le président de l'Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem, s'exprime. Jugeant "profondément regrettable" le refus du Parlement chypriote, il a néanmoins réitéré "la proposition de l'Eurogroupe présentée lundi", qui consiste à ne plus taxer les dépôts inférieurs à 100 000 euros, précisant que c'était à Nicosie de déterminer comment financer le reste. "Les plus gros volumes de richesses à Chypre se trouvent dans les banques, et ce sont les banques qui ont des problèmes, il est donc inévitable que nous nous penchions dessus", a poursuivi celui qui est aussi ministre des finances néerlandais.

INCOHERENCES EUROPEENNES

La bêtise européenne risque de faire cas d'école sur le dossier chypriote. Quelques remarques :

- quand on s'unit, on doit être solidaire, surtout avec les membres de sa famille les plus en difficulté. Dans l'Union européenne, qui prend les décisions, qui interroge démocratiquement et qui rend compte aux populations concernées ?

- Chypre est peuplée d'environ 1 300 000 habitants, majoritairement grecs, avec une minorité turque ainsi que britannique installée dans des enclaves militaires sous contrôle de la Couronne britannique. Le territoire de l'île est aujourd'hui divisé entre trois souverainetés de facto : celle de la République de Chypre, la seule internationalement reconnue. Elle dispose d'un siège à l'ONU et est membre de l'Union européenne (UE). Elle ne contrôle en pratique que la partie méridionale (environ 50 % du territoire ; la partie nord (40 % du territoire occupés par l'armée turque depuis 1974, y compris une partie de sa capitale Nicosie) s'est proclamée République turque de Chypre du Nord (RTCN) le 13 novembre 1983 ; 10% du territoire sont les enclaves britanniques d'Akrotiri et Dhekelia, au sud de l'île, deux bases militaires britanniques conservées par l'ancienne puissance coloniale.

-      l'une des principales ressources de cette petite île méditerranéenne en face de la Syrie, est d'être l'une principale résidence des banques off-shore du Moyen-Orient, et dans une date plus récente, de la Russie. Difficile aujourd'hui de les taxer, au risque de priver l'île de l'une de ses principales ressources. Les grands technocrates de Bruxelles ne devaient pas l'ignorer lorsqu'ils ont accepté, le 25 avril 2004, la candidature de Chypre dans l'UE.