Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Le ras-le-bol

par Bachir Ben Nadji

La manifestation de Ouargla a eu lieu et rien ne s'est produit. Tous ceux qui soufflaient sur le feu n'auront rien, même pas pour leur argent. Ils ont exploité toute une semaine sinon plus pour comparer Ouargla à Sidi Bouzid la tunisienne, et les jeunes du Sud à Bouazizi, ce jeune tunisien devenu depuis 2011 une «icône» pour ceux en mal de dignité. Et là ce n'est pas le cas pour rien au monde.

 Enregistrons que rien de tout cela n'a eu lieu, la manifestation devenue un rassemblement devant la mairie de Ouargla, s'est déroulée sans aucun incident. Les jeunes chômeurs ont fait parvenir leur message, ils étaient des dizaines, des centaines et même des milliers, ils n'ont rien cassé, ils ne se sont pas opposés aux forces de police, ils ne se sont pas affrontés. L'espace de quelques heures, ils se sont dispersés dans le calme.

 Hé bien pour celles et ceux qui ont suivis cet évènement dans les jours qui l'ont précédé, les chômeurs du Sud sont tellement remontés qu'ils vont jusqu'à tout casser, ou brûler, c'est cette impression qui se dégageait des écrits des quotidiens de la presse à l'approche du 14 mars.

 Je n'irais pas jusqu'à vous citer toutes les «Unes» des quotidiens de la presse nationale au matin du jeudi de la manifestation, de la marche des chômeurs du Sud. Ils ont parlé du million de marcheurs, les présentant comme l'armée des mongoles qui allait balayer tout sur son chemin, menacer la République.

 Les envoyés spéciaux ont été dépêchés à Ouargla ou ils ont entretenus les organisateurs de la marche, les correspondants ont été mobilisés, les reporters se sont mis de la partie, ainsi que les analystes, les chroniqueurs, les commentateurs, et même les caricaturistes s'en sont donné à cœur joie. Il fallait que les gens du nord fassent attention de cette avancée des sudistes, il fallait que les décideurs retiennent leurs ceintures avant que l'armée des chômeurs n'envahisse la capitale et arrache des emplois à bras de force et qu'ils allaient en découdre avec ceux qui se mettraient en travers de leur chemin. Incroyable mais vrai, chacun y allait avec sa chanson, les uns pensaient avoir à des sécessionnistes, d'autres à une armée de gueux qui allait tout changer dans ce pays, et d'autres à l'armée de Zapata ou à une armée révolutionnaire à même de créer la surprise.

 Hé bien sachez que les jeunes du sud qui ont adhéré à la marche, à la manifestation n'avaient aucun objectif parmi ceux cités par les journaux ou attendus par les ennemis de l'Algérie, au contraire c'est la santé de l'Algérie qui les intéresse. Ils ne veulent que du bien pour leur pays, ils veulent le construire, ils veulent aussi se construire, avoir un présent, avoir un avenir, être stable chez eux, ne pas aller «offrir» son corps aux poissons comme le font les harraga, ou comme le font les jeunes subsahariens qu'ils voient traverser leurs régions à la recherche d'un bout de pain, de n'importe quel boulot.

Les jeunes du sud sont dignes, je le dis pour les avoir fréquentés, pour avoir vécu parmi eux pendant de longues années, d'Adrar à Ouargla, de Laghouat à Tamanrasset, de Biskra et d'El Oued à In Amenas, à Illizi, à Djanet, de Bordj Badji Mokhtar à Reggane, à Timimoun. Les jeunes du sud ne se lient pas facilement avec ceux qui veulent du mal à leur pays, seuls les dévoyés le font et ils sont une minorité à tomber dans le piège des trafics de tous genres, dans le piège du gain facile, eux qui sont croyants et qui font la différence entre le bien et le mal.

 Il n'y a qu'à voir les banderoles arborées ce jeudi 14 mars à Ouargla, exprimant l'amour que vouent les jeunes du sud à leur pays. En cette matinée, ils ont bravés le temps et n'ont pas scandé les mots d'ordre que certains attendaient, ils sont restés eux-mêmes, et tout ça les fera grandir aux yeux de leurs compatriotes du nord, de l'est, de l'ouest et de l'extrême sud.

 Les Forums, les réseaux sociaux ont été leur miroir en cette journée de manifestation, il n'y a qu'à voir les photos postés sur Facebook les montrant fiers et goguenards, et il y avait de quoi puisque les médias de l'Algérie étaient parmi eux pour dire ce qu'ils ressentent et pourquoi ils ont décidé d'agir comme un seul homme.

 Certes, il y a les leaders de cette action, ceux provenant du sud et même ceux des coordinations, nationales ou de certaines wilayas, de chômeurs, il y a aussi les déclarations «politiques», celles «apolitiques» et autres qui parlent de pouvoir, de libération, de tout ce qui entourent la demande de l'emploi pour les enfants du sud. C'est un vrai patchwork, certains viennent demander du travail, et d'autres viennent pour investir les salons et les grandes salles de réunions, à chacun son dada.

 Et si on demandait à un jeune chômeur de Ouargla, d'Illizi, d'El Golea, de Laghouat, de toutes les villes et de tous les villages de cette vaste région de choisir entre un boulot et un salaire, ou de fréquenter les salons et négocier, il optera sans nul doute pour un emploi et un salaire, car il vous dira que les salons sont faits pour les politiciens, et lui il ne l'est pas et il n'en a cure de la politique.

 Les jeunes du sud ont toujours été des débrouillards, ils mangent à partir de rien, ils savent profiter des opportunités pour gagner un peu d'argent, pour faire face aux aléas de la vie, sans exigence aucune, ni exagération. La modération dans la vie est le maître-mot chez les gens du sud, mais la vie, me diriez-vous a changé. La modestie n'est plus de mise, le monde n'est plus ce qu'il était dans les siècles passés. Les TIC ont chamboulé le monde, ce n'est pas l'Algérie qui est devenue un petit village, mais c'est toute la planète terre. Un jeune de n'importe quel petit village ou hameau chez nous, à condition qu'il ait son téléphone portable, sa connexion internet, peut voir se qui se passe à des milliers de kilomètres de chez lui, il verra ce qu'il y a de mieux, normal me diriez-vous car l'être humain de par sa nature n'ira pas voir ce qu'il y a de pire que lui.

Et là, c'est le choc ! Il verra des jeunes comme lui dans un meilleur confort, dans de meilleures situations, toutes les commodités à portée de main, sans chercher comment cela a été réalisé. Il ira dans des pays indépendants depuis plusieurs siècles, qui ont acquis au fil des ans, maitrise de la technologie quand ils ne sont pas à l'origine de ces découvertes, et il ne se souciera pas du fossé qui sépare son pays des autres plus avancés que le sien. Pour lui, il faut qu'il soit lui dans la même situation que le jeune européen, américain ou autre asiatique, sans pour cela n'avoir rien sacrifié, rien avancé ni rien payé comme sueur de son front. Le jeune algérien veut tout prêt, il pense que tout est venu comme ça, balayant du travers d'une main, ce qu'on enduré ses parents, ses aïeux pour qu'il soit lui dans les meilleures conditions. Il vous dira pourquoi les autres et pas moi, il vous citera les pires exemples pour vous pousser devant un mur sans issue. Sait-il que cinquante ans dans la vie d'une nation ne signifient rien, une poussière devant les grandes nations qui ont des siècles de construction, qui sont passées depuis des lustres par la situation que traverse notre pays.

 Et bien le jeune algérien, n'en a cure de ce que vous lui diriez dans ce sens, il veut le prêt à consommer, point barre !

Des gens du sud, des agriculteurs, m'ont raconté qu'ils ne trouvent plus de main-d'œuvre pour travailler leurs terres, pour s'occuper des palmeraies, pour irriguer, et pour toutes les tâches liées à cette noble fonction et activité. Même avec la mécanisation et toute l'armada de moyens, il est difficile de trouver quelqu'un pour s'occuper de la terre, un désastre pour notre société touchée, Dieu soit loué, par le progrès, mais qui récolte toutes les insuffisances liées aux choix de métiers. Il y a risque que certains métiers traditionnels et combien utiles à notre quotidien, disparaissent de notre patrimoine, une catastrophe si on ne se réveille pas dès maintenant pour renouer avec le travail et l'effort, avec nos valeurs.

 Je n'irais pas plus loin pour vous dire que le jeune algérien sans emploi, habillé de vêtements de valeur dont le prix avoisine des milliers de dinars, rechignera devant un poste de travail ou il doit faire un effort physique.

 Devons-nous ou sommes-nous condamnés à avoir une armée d'agents de sécurité, d'agents d'accueil et autres métiers ne nécessitant aucun effort alors que nos villes croulent sous les ordures et la poussière. Quelqu'un m'a dit, sait-tu quel effectif d'agents communaux dispose telle commune alors que moi-même je faisais la remarque sur la saleté d'une rue sise dans un quartier d'une ville huppée. No comment !

 Qui s'occupera de l'hygiène de nos villes ?, des machines ou des citoyens d'autres pays ? Et là resterons-nous les bras croisés en train de voir les autres avancer et nous stagner. Je crois que c'est ce qui nous arrive actuellement. Nous n'arrivons pas, même si c'est exagéré de ma part, de réaliser quoi que ce soit. Nous attendons les navires aux ports pour qu'ils déchargent ce que nous achetons à coups de dollars et d'euros alors qu'on peut faire beaucoup de choses, ce n'est pas le savoir-faire qui nous manque mais beaucoup plus le savoir-entamer. Je pense qu'il est temps de se retrousser les manches, de balayer devant nos portes et de travailler dur afin que nous puissions jouir de notre effort et aussi laisser quelque chose pour les générations qui viennent.

 Tout ce que je viens de dire ne constitue qu'une goutte d'exemples de ce qui nous manque et de ce qu'on doit faire pour éviter que des jeunes ne se regroupent dans une manifestation pour demander leur recrutement dans la vie active. Il faudrait que l'école, le centre de formation, l'université et tous les moyens de dispense des connaissances soient connectés à la vie professionnelle pour que chaque jeune formé puisse trouver son emploi avant même qu'il n'ai eu son diplôme. Ça c'est l'idéal qu'il faut que les décideurs fassent tout pour atteindre, sinon nous resterons à tourner en rond dans un cercle vicieux, et à attendre que d'autres viennent à notre secours à coups de devises sonnantes et trébuchantes que nous n'aurons pas indéfiniment si nous ne faisons aucun effort.

 Alors sommes-nous stériles à ce point, n'avons-nous aucune idée pour avancer, pour créer notre réussite ? Je ne le pense pas car ce que réalisent les algériens dans les pays où ils migrent, est édifiant. Sans exagération, ils sont les meilleurs, ou les plus choyés, là ou la nationalité de l'employé ne veut rien dire devant les compétences de l'individu. Faudrait-il migrer tous et faire les beaux jours des autres pays alors que le notre cumule retard sur retard dans plusieurs domaines à notre portée.

 Hé bien non, songeons à relever le défi et à démontrer que nous pourrons faire ce que les autres font. Il est encore temps de nous réveiller et d'aller de l'avant, nous avons le potentiel et les moyens financiers au moment ou d'autres sont en crise et nous envient de ce dont nous disposons. Beaucoup souhaiteraient que notre pays soit balayé par le vent des faux printemps arabes afin de nous voir détruire ce que nous avons édifié pendant des années, voir notre stabilité menacée ou prise dans un tourbillon comme le sont les pays qui ont préféré ces printemps à une révolution par le travail et l'effort, par la démocratie et la vraie, par le changement en douceur. Je pense que nous sommes assez mûrs pour démontrer que nous ne tomberons pas dans pareils pièges et que nous saurons voguer sur toutes les mers pour arriver à changer en mieux ce qui doit l'être. A bon entendeur salut !

Avant de clore la présente chronique, je vous dirais que quelqu'un m'a affirmé que beaucoup de jeunes du Sud qui vivotaient depuis de longues années du trabendo à travers les frontières, ont vu leur activité «bloquée» par la sécurisation maximale de l'ensemble des points de passage par les forces de sécurité, et devant cette situation se sont retrouvés sans ressources, cherchant par tous les moyens n'importe quel emploi pour survivre. Tout cela a fait que la coupe s'est remplie et a débordé. Mon interlocuteur, lui-même du sud, m'a dit que le trabendo touchait tout le monde du sans niveau aux diplômés de l'université qui préfèrent tous gagner des millions de dinars en un court laps de temps, au lieu d'attendre une mensualité «misérable». Le risque est gros dans le trabendo et il faut qu'il y soit, c'est ça le choix.