Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

L'Algérie expliquée aux nuls

par Abdelkader Abderrahmane*

Suite aux dramatiques évènements survenus sur le complexe gazier d'In Amenas en janvier dernier, les algériens se sont retrouvés sous les projecteurs des médias du monde entier ainsi que sous une avalanche d'analyses et commentaires à leur sujet. Commentant la prise d'otages d'In Amenas et la liant à la crise malienne, les qualificatifs tels que mollesse, laxisme et nonchalance déferlaient à l'encontre d'Alger. Même plus, sur le Mali, beaucoup d'analystes et autre ?experts', français mais aussi britannique tel que Jeremy Keenan ou marocain, comme le prolifique Anouar Boukhras, mettent aussi en doute la sincérité et la bonne volonté des algériens de combattre le terrorisme, les suspectant de machiavéliques et paranoïaques engagés dans une partie ambigüe avec les terroristes, voire même de les sponsoriser. Par la même, ils dressent un parallèle entre la politique d'Alger et celle d'Islamabad vis-à-vis des Talibans. Lors d'un séminaire tenu dans une capitale européenne l'automne dernier, et employant un vocabulaire similaire, un certain David Zounmenou se prétendant expert du continent africain (!) a même reproché à Alger d'utiliser le nord du Mali comme sa décharge publique. Dans un autre registre, suite aux élections législatives de mai 2012, d'amples commentaires et doutes sur la validité des résultats eurent lieu. Ceux-ci s'expliquent beaucoup et surtout par le fait que ces mêmes observateurs s'attendaient à une victoire des islamistes qui aurait compléter le paysage politique vert de la région en vogue depuis l'avènement du ?printemps arabe'. Cependant, la cuisante défaite de l'Alliance Verte des islamistes n'était nullement une surprise pour les rares témoins et fins connaisseurs des dynamiques socio-politiques internes de l'Algérie.

COMMUNICATION

Dans les années 1990, lorsque l'Algérie était en proie aux pires atrocités et attaques terroristes, j'assistais à une conférence tenue à Londres. Lors des débats, un diplomate britannique, expliquait plutôt candidement à l'audience que pendant très longtemps, lorsque son pays avait besoin d'être informé sur l'Algérie, la capitale anglaise passait par les canaux du Quai d'Orsay. Malgré cette carence, et comme l'a démontré la visite précipitée du britannique David Cameron à Alger dix jours après l'attaque d'In Amenas, cela n'a pas empêché les anglais d'attendre près de vingt ans depuis cette date et cinquante ans depuis l'indépendance de l'Algérie avant qu'un premier ministre britannique ne se rende en visite officielle dans le plus grand pays d'Afrique. Autre ville, autre anecdote. En août 1995, lors d'une discussion à Paris avec une amie française, cette dernière me confessait qu'elle ne s'était jamais intéressée à l'Algérie ?le pays faisait la une des journaux à ce moment là- mais que l'horrible attentat de Saint-Michel qui eut lieu le mois précédent l'avait poussé à s'y intéresser un peu.

 Ces deux exemples ne sont nullement isolés mais soulignent voire confirment que le monde en général, mais aussi celui des politiques, de la presse et autres experts ne connait, in fine, que très peu, voire pas du tout l'Algérie et les algériens. Un problème majeur se pose donc car trop souvent, les analyses et commentaires sur l'Algérie sont profondément incomplets, sinon biaisés. En effet, de nos jours, beaucoup trop d'analystes manquant de réelle expertise devant la complexité du dossier, présentent leurs arguments de façon superficielle, ignorant [délibérément ?] les racines profondes du sujet traité. Comme l'a très bien dit le sociologue et philosophe français, Pierre Bourdieu, la recherche du scoop poussent aussi les journalistes ?mais pas seulement- à faire simple et court adoptant par la même le « critère audimat ». Cependant, cette politique de l'audimat ne laisse que très peu de place pour l'investigation à même d'informer sérieusement les populations. Dans une excellente analyse ?d'experts' sur l'Afrique, Duncan Clarke résumait magistralement bien l'équation soulignant qu'il est primordial pour ces ?experts' de demeurer idéologiquement fashionable, d'éviter la complexité mais surtout, de ne jamais consulter l'immense littérature et documentation disponible sur le continent, et pour ce qui nous concerne, sur l'Algérie. Du côté d'Alger, la médiocre communication des autorités algériennes n'est pas en reste. Le cas d'In Amenas a clairement souligné que les officiels algériens ne maitrisent guère les nouvelles technologies et moyens de communications nécessaires au monde moderne. Aussi, cette carence profite à d'autres qui, utilisant la tradition goebbelsienne purement cynique du mensonge perpétuel, finissent par transformer leurs mensonges et propagandes en vérité. Cette culture algérienne du silence permet par ailleurs d'écrire tout mais surtout n'importe quoi sur l'Algérie et les algériens, ce qui avec le temps est aujourd'hui devenu la norme, pour ne pas dire la ?vérité'.

IMAGE VEHICULEE

Malgré une longue histoire commune, il ne fait aucun doute que cinquante et un an après la signature des accords d'Evian, l'Algérie et les algériens demeurent considérablement méconnus en France et plus largement à travers le monde. Ce qui me fait dire que l'Algérie est probablement l'un des rares pays au monde dont on parle énormément sans pour autant le connaitre ou l'avoir visité. Car il est indéniable aussi que dans les milieux journalistiques, intellectuels et autres ?experts' ?en particulier télévisé- rare sont ceux qui connaissent sérieusement et réellement l'Algérie, sa sociologie et son histoire. Comme l'avait admis en direct un correspondant de la BBC lors de la prise d'otages d'In Amenas, « pour être franc, nous parlons d'un pays que personne, il y a quelques jours, n'aurait pu placer sur la carte ». Cela ne justifie cependant pas les suppositions et autres suspicions ainsi que les analyses incomplètes, alarmistes et superficielles émanant de l'extérieur. Cette vision négative avait déjà été très bien souligné il y a quarante ans par Jean-Claude Vatin et Philippe Lucas pour qui ?il n'est pas vain de dire que l'image véhiculée de l'algérien et de l'Algérie trouve sa source à l'ère du colonialisme français'. Car s'il est une régularité du regard porté sur l'Algérie et les algériens, c'est bien celle de la récurrence de fantasmes, que l'on retrouve dès l'époque coloniale, et qui irriguent encore nos représentations de ce pays, de ses habitants et de ses gouvernants. Ces images qui étaient initialement véhiculées par Paris depuis la période coloniale ont depuis largement dépassé les frontières de l'Hexagone. En outre, ces fantasmes sont continuellement nourris à ce jour par un efficace lobby anti-Algérien émanant de Paris toujours nostalgique de la période coloniale et de l'Algérie française. L'Histoire façonne énormément le devenir d'une nation, sa doctrine et ses principes. L'Algérie et les algériens n'y échappent pas. Aussi, il n'est pas inutile de rappeler à ces nombreux analystes et ?experts' que sans être atypiques mais plutôt cohérents, les algériens sont par-dessus tout, jaloux de la souveraineté et stabilité de leur pays. Pour conclure, il serait sans doute utile de se remémorer ici les paroles de Claude Cheysson, ancien ministre des affaires étrangères de François Mitterrand, qui s'adressant aux diplomates français en poste en Algérie, leur dit ainsi : ?après plusieurs années en Algérie, vous croirez comprendre ce pays [et son peuple] mais il vous réservera toujours des surprises?. A méditer.

*Chercheur au sein de la division de Prévention des Conflits et Analyses des Risques (CPRA) de l'Institut d'études de sécurité (ISS), Addis Abéba, Ethiopie