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Pour une commune entreprise prestataire de services

par Abdelkader KHELIL*

La réflexion développée dans mon ouvrage sur: «la commune dans le défi du management et de l'ingénierie territoriale» paru aux éditions Casbah, ambitionne de mettre en œuvre de nouveaux rapports entre le citoyen et les collectivités locales, dans le cadre d'une gouvernance rénovée.

Cet essai vient dire, tout l'intérêt d'une approche nouvelle des questions habituellement gérées par les administrations et les assemblées communales, en invitant à rompre avec la démarche empirique qui a prévalu jusqu'ici, pour aller vers la convergence et la synergie des actions autour de mêmes objectifs. Cela veut dire, que tous les acteurs de la vie économique, sociale et culturelle, doivent être impliqués sans exclusive, dans le processus décisionnel qui engage la configuration à venir de notre pays, qui n'a pour seul choix, que de s'éloigner du spectre de l'exclusion, de la marginalisation et de toutes les attitudes négatives, qui hypothèquent la cohésion de notre société et menace durablement l'unité nationale. C'est par rapport à cet enjeu, que la collectivité se doit de marquer sa disponibilité d'écoute au niveau même, des quartiers en difficultés et des centres ruraux dévitalisés, où se cristallise le mal-vivre de la population, donnant ainsi, une perception et une lisibilité à ses actions. Elle devra donc assurer sa mutation profonde, pour devenir un espace de convivialité, à partir de l'intégration correcte de l'action citoyenne, en application des principes de bonne gouvernance. C'est là un impératif, dès lors que la gestion moderne des collectivités fait aujourd'hui appel, au partenariat entre les différents acteurs, à la transparence dans la programmation, à la solidarité intercommunale et à l'ingénierie territoriale ! C'est dans ce contexte fait de relations saines et de civilité, que la commune doit apparaître comme un élément fédérateur de toutes les bonnes volontés et les initiatives qui participent à l'amélioration du cadre de vie du citoyen, à la valorisation et au marketing des espaces communs de la vie courante. Mais il est vrai que cette évolution attendue et exprimée comme une des principales aspirations citoyennes, ne peut s'accommoder de cet excès de dirigisme au niveau central et de cette tendance à vouloir tout normaliser par le haut, laissant ainsi, peu de place à l'initiative locale! Il faut se rendre à l'évidence, que par rapport à la nécessité d'un traitement adéquat des questions évoquées par les citoyens, dans la conformité de leurs aspirations, des réalités de leur vécu et de la diversité territoriale, la «frilosité» manifestée à l'égard de la question latente de la décentralisation, n'a aujourd'hui, aucun fondement et ne saurait être, différée indéfiniment. Au-delà de ce contexte de gouvernance contraignante, la commune n'a de raison d'être, que si elle fonctionne comme une entreprise prestataire de services et de création de richesses au bénéfice des citoyens. Elle doit par conséquent, disposer d'une autonomie d'action qui puisse lui permettre de faire face aux situations d'urgences les plus extrêmes. Il est vrai aussi, que la qualité de service rendu, dépendra des capacités managériales des uns et du degré d'implication des autres, dans la vie économique, sociale et culturelle de la collectivité. En somme, cette image de la « commune entreprise» reste intimement liée au savoir-faire que doivent acquérir les élus, généralement peu familiarisés avec la gestion des affaires publiques, aux moyens d'intervention dont ils doivent disposer, à la compétence des personnels technico-administratifs et à l'implication d'une authentique société civile, animée par le seul souci de l'intérêt général. C'est donc là, une affaire d'émancipation de notre société, qui doit se traduire dans la situation présente, par la mise à niveau de la ressource humaine à tous les échelons de l'administration locale.

Encore faut-il préciser, que cette formation ne saurait se réaliser selon la formule habituelle de regroupements épisodiques des personnels administratifs, sans suivi ni évaluation ! Bien au contraire, cette action de longue haleine est à inscrire dans la continuité et dans la durabilité, si l'on veut donner un sens réel aux réformes attendues par les citoyens, par rapport à la question de la modernisation de l'administration locale dans ses volets : actions de proximité et qualité du service public. Mais alors, que faire pour la réalisation de cet objectif, par rapport au niveau actuel de l'encadrement de nos collectivités locales ! Faut-il attendre que toutes les conditions soient réunies pour accéder à ce niveau qualitatif, en prenant le risque d'une lassitude de nos concitoyens, avec pour conséquence, des réactions négatives à répétition, au demeurant difficilement gérables ! Il faut plutôt se dire : «qu'à la guerre comme à la guerre», Il n'y a point de place pour l'attitude défaitiste et pour le laxisme ! Pour peu que nous soyons animés par cette volonté forte à vouloir changer l'ordre des choses, sans calcul ni arrière pensée, tout en sachant que les citoyens ne sont pas dupes, au point d'être bernés à tous les coups ! L'heure est alors à l'action totalement inscrite dans la loyauté, dans l'esprit d'adhésion, dans le partenariat, dans la transparence et dans la communication. Ce n'est là, ni un effet de mode, ni un caprice citoyen ! C'est tout simple, un style d'action qui se veut être, plus conforme à l'évolution de notre société à l'instar de bien d'autres ! Il faut alors agir dès à présent avec lucidité, détermination et abnégation afin de donner une lisibilité aux efforts de l'Etat pour ce qui concerne tout au moins, le traitement des problèmes liés à l'accueil du public et à l'expression de la demande sociale, à savoir ces deux questions, autour desquelles s'articulent les revendications récurrentes des citoyens, les plus essentielles ! C'est là, un signal fort à émettre en direction de nos concitoyens qui aspirent à un changement profond et non à des promesses électorales sans suite, dans leur quête d'un bien être tout au moins égal, à celui dont dispose les citoyens de pays à produit intérieur brut similaire au notre !

AMÉLIORATION DES CONDITIONS D'ACCUEIL DU PUBLIC

Il est vrai que tout ce qui a trait au siège de la commune et de ses annexes, est le premier repère pour le citoyen dans son jugement sur la gestion de la chose publique et le degré de considération qui lui est accordé. Il est bien évident, que l'état de délabrement de la bâtisse, l'absence d'entretien des espaces ouverts, la tenue des fonctionnaires et le mauvais accueil comme c'est souvent le cas, ne peuvent que renvoyer à une image négative de la perception du service public. Dans la pratique au quotidien, le citoyen mal renseigné dès le premier contact, est livré à lui-même dans le labyrinthe de l'administration, de par le fait, qu'il soit balloté de service en service. Excédé par le comportement des fonctionnaires, il finit par mettre en doute, la capacité des commis de l'Etat, à être à son service. S'il faut trouver une explication à cet état de fait préjudiciable au moral de nos concitoyens et à l'image de l'Etat, l'on dira pour faire court, que si la classe moyenne, laminée dans son pouvoir d'achat, fonctionne à rythme réduit, c'est qu'elle n'a pas été reconnue par un statut conforme à son utilité ! Alors, pas du tout pressés, les préposés aux guichets font trainer le traitement des dossiers, négligent le public, prennent tout leur temps à téléphoner, à faire la causette au su et au vu de tout le monde, comme par provocation, et au mépris de l'attente des gens qui encombrent les guichets ! Est-ce là, une manière pour ce corps administratif, d'attirer l'attention sur sa condition ! En tout état de cause, le stress auquel les uns et les autres sont soumis, finit par éclipser le sourire et l'on devient collectivement grognon, au point de négliger les règles de bienséance.

Dans cette cupidité qui ne distingue plus l'acteur du figurant, il est à craindre une généralisation de cette gangrène à l'ensemble du tissu social et une démobilisation des forces de progrès, à un moment crucial où nous sommes interpelés, non seulement par rapport aux défis de la mondialisation, mais aussi et surtout, par rapport aux turbulences induites par les tentatives de remodelage géostratégique, selon les intérêts de ceux qui régentent le monde d'aujourd'hui et à un degré moindre, de leurs sous-traitants, d'où cette menace permanente qui pèse sur l'existence des Etats Nations ! Ceci pour dire, qu'il faut être vigilent, sans pour autant verser dans cette phobie de l'ennemi extérieur, chaque fois qu'on cherche une explication à nos difficultés internes ! Il faut se rendre à l'évidence en considérant de façon définitive, que le mal est en nous ! Nous sommes seuls responsables de notre condition, parce que nous prêtons le flanc à ceux disposés à exploiter chacune de nos faiblesses, pour chercher à nous diviser ! Oui, que ce soit pour un simple retrait d'extrait de naissance, pour un permis de conduire, pour une carte grise ou pour tout autre document administratif, c'est le parcours du combattant ! Les citoyens sont soumis à un véritable marathon, pour peu qu'ils ne soient pas disposés à «graisser la patte» à des fonctionnaires ripoux, comme il en existe partout, habitués au «bakchich» et aux arrondis de salaires ! Alors que faire, face à ceux décidés à faire commerce du service public, sans honte bue, parce que rarement contrôlés et jamais correctement sanctionnés, par crainte d'une paralysie de ces services d'utilité publique ! Ces fonctionnaires indolents, imposent leur diktat lorsqu'ils prennent tout leur temps à reprendre le «travail» après la pause déjeuné, lorsqu'ils simulent des pannes d'ordinateurs et des pénuries de formulaires ! Ils développent en quelque sorte, toute leur ingéniosité dans des pratiques de natures à exacerber la colère des citoyens, favorisant ainsi la grogne populaire, source de discrédit à l'égard des institutions, chaque fois mises en difficulté, et de tentatives de manipulation de citoyens excédés par le comportement de ces commis de l'Etat, peu soucieux de la chose publique et de l'intérêt général. Cette attitude devenue répétitive, génère une forme de divorce entre les citoyens et leur administration, une perte de confiance et une indifférence à l'égard des réformes annoncées par les pouvoirs publics. Face au cauchemar du quotidien de nos concitoyens, la réhabilitation du service public prend alors, valeur d'un acte majeur de salubrité publique de première importance. Pour l'atteinte de cet objectif, l'action devra porter sur les trois éléments essentiels, que sont : l'homme, les moyens de fonctionnement des services administratifs et le cadre d'accueil. Pour ce qui concerne le premier élément, les préposés aux guichets d'accueil du public, doivent être sélectionnés sur la base de critères rigoureux qui font référence, à la loyauté, à la disponibilité d'écoute, à la qualité et à la célérité dans l'exécution des tâches administratives. Mais comment serait-il possible que ces conditions soient réunies, lorsque l'essentiel de l'encadrement de nos communes est recruté sur le filet social, autrement dit, un personnel sans expérience et de surcroît sous payé, alors que généralement versé au niveau du service sensible de l'état civil ! Il n'est pas étonnant que les erreurs fréquentes de transcription des noms de familles et de sexe sur les actes de naissance, soient devenues une hantise pour nos concitoyens, dans la mesure où la correction des erreurs commises sur ces documents officiels, ne peut se faire que par jugement ! Alors, bonjour la galère pour ces nombreux citoyens qui encombrent les tribunaux, de par la faute de fonctionnaires incompétents ! Comment serait-ce possible qu'un tel personnel, puisse faire aboutir les réformes que l'Etat aura à engager pour réhabiliter le service public de proximité ! La disponibilité et la courtoisie n'étant pas forcément des qualités innées chez tout individu, il y a donc là, nécessité d'une formation spécifique de ce personnel, qui doit être reconsidéré dans son statut une fois formé, afin qu'il puisse apprendre à écouter, à communiquer, à convaincre et à considérer le citoyen avec respect ! Cela pose avec pertinence, la question de la réhabilitation des centres de formation administrative, cette expérience réussie, abandonnée à tord et qui peut être encore aujourd'hui, d'une grande utilité, particulièrement pour les collectivités locales les plus sous encadrées, à savoir, celles des régions du Sud et des Hauts-Plateaux ! Ne faut-il pas aussi, recruter à titre de consultants des administrateurs et des cadres des services déconcentrés de l'Etat, à la retraite, pour pallier dans un premier temps au manque de professionnalisme observé à tous les niveaux ! C'est là certainement, une action tout bénéfice pour la collectivité locale et pour les jeunes recrues, qui doivent être correctement encadrées, parce que ne disposant pas encore de suffisamment d'expériences ! L'on pourrait également songer à la mise en place de conseils consultatifs, tout au moins au niveau de nos grandes communes, en associant les cadres supérieurs, retraités ou en exercice, comme je l'ai déjà suggéré dans un de mes articles précédents ! C'est là aussi, une manière de restaurer la dignité de ces nombreux cadres oisifs, qui pourraient mettre au service des jeunes administrateurs, leur capital savoir-faire, tout en ayant le sentiment de se sentir toujours utiles pour la collectivité ! Pour peu que l'on soit plus imaginatif pour trouver la forme adéquate à l'implication de cette ressource humaine gaspillée, désoeuvrée, voire déprimée face à la situation dans la gestion des collectivités locales, mais pas seulement, l'on peut dire, que le changement dans les mœurs administratives, est tout à fait à notre portée ! Oui, nous pouvons nous en sortir, grâce à la conjugaison de nos forces dans un même élan et surtout, grâce à l'apport de ces «cheveux blancs», jadis formés à l'école du mérite et du respect de la chose publique, qui disposent de l'expérience et du tact nécessaires dans les relations humaines, ainsi que du recul par rapport à l'évolution de notre société ! Le deuxième aspect a trait aux conditions de fonctionnement, à la pénibilité du travail manuel de transcription, à son caractère routinier, à la lassitude qui prend forme au fil de l'exercice de cette fonction de guichetier et à la pression du public, qui lui aussi, fait perdre au personnel, le sens des relations humaines. Dans ce cas, la généralisation des techniques modernes de traitement des documents administratifs, comme cela existe partout ailleurs, ainsi que l'amélioration du confort des deux côtés du guichet, prend le caractère d'une opération prioritaire de première importance, dont la finalité serait, l'émergence d'un cadre convivial d'accueil, propice à la sérénité dans les relations humaines, qui se doivent d'être apaisées.

Le troisième élément relève du souci de transmission d'une image positive d'une administration rigoureuse dans la gestion de la chose publique, respectueuse des citoyens et disposée à mieux les servir. Cette image doit trouver sa traduction dans l'état des lieux, le traitement des espaces extérieurs, l'information et l'orientation du public, la tenue correcte du personnel et dans tous les éléments qui permettent au citoyen de mesurer le degré de considération qu'on lui porte. Cette émergence d'un cadre convivial, qui inspire la sérénité et la civilité, doit constituer une des préoccupations majeures de toute administration soucieuse de l'image d'un Etat au service de sa population. C'est de la sorte, qu'on pourra estomper progressivement cette atmosphère de cohue, qui renvoie l'image déplorable d'un pays sous développé, alors que disposant de moyens pour assainir cette situation préjudiciable à son image ! Ceci pour dire, que si nous n'avons pas été capables de régler les questions classiques et routinières de gestion de la vie courante, après un demi siècle d'indépendance, comment serait-il alors possible, d'assurer l'arrimage de notre pays, dans le concert des nations civilisées de ce monde, à travers la maîtrise des process technologiques, la capitalisation des savoirs-faires et l'innovation ! Nous sommes donc tous interpellés, par rapport à ce que nous voulons faire de notre pays, et par rapport à ce que nous voulons léguer aux générations futures, c'est de cela que dépendra la survie de notre Nation !

*Professeur

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