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Tabous, interdits... et crime banalisé

par Belkacem AHCENE-DJABALLAH

2012 : 8748 cas de violence contre les femmes dont 294 cas de harcèlement sexuel et 5 cas d'inceste (DGSN) / 6039 femmes violentées (GN)...

2012 : 37 cas d'enlèvement de mineurs dont plus d'une vingtaine avérés de «détournements de mineurs» (GN)... 2013 : Deux enfants constantinois de neuf et dix ans enlevés et tués, étranglés, après avoir, souffert le martyre? On se souvient, aussi, encore avec douleur, des cinq petits «explorateurs» algérois, alors en vacances en août 1998 (Djamil, Yassine, Lyiès, Hicham et Mehdi), qui avaient été tués, après avoir souffert le martyre, par des terroristes «cachés» dans une grotte... juste au-dessous de Djenane El Mithaq (Forêt d'El Biar)... On se souvient de Aghilès, de Sana... Et d'autres, et d'autres...

Il s'agit moins, pour nous, d'être pour ou contre les façons de lutter contre un fléau ou de traiter un mal que de s'interroger sur les raisons qui ont amené à un tel niveau de dégradation et de dépravation. Car, il arrive souvent, sinon fréquemment, en stratégie, qu'il faille rechercher les solutions dans la cause même des problèmes. Bien sûr, on a déjà la misère sociale, le chômage, le manque de logements, le coût élevé du mariage, l'invasion télévisuelle par satellites interposés,... Les experts en criminalistique l'ont déjà expliqué, plus qu?il n'en faut. Les psy', aussi. Mais, pour le commun des citoyens, un vol est un vol de trop. Un crime est un crime de trop. Une violence est une violence de trop. Un viol est un viol de trop... et il n'en a rien «à foutre» des statistiques... qui «montrent tout, mais cachent l'essentiel» et de ratiocinations qui n'intéressent qu'une élite bien «au chaud» et «sécurisée».

 Mais, il y a sûrement une des causes que l'on évite, à chaque fois, et à chaque problème sociétal, d'évoquer, par pudeur et/ou surtout par calcul ou par lâcheté? tout en nous réfugiant derrière les préceptes sacrés de l'Islam, oublieux du fossé abyssal séparant le texte (et , surtout, son interprétation) de la pratique effective sur le terrain : l'intolérance administrative excessive et mal à propos.

 Une dérive comportementale au niveau de nos administrateurs qui a, peu à peu, transformé la «réalité visible» de nos villes et nos villages, en «monastères» et en «cloîtres». Presque partout, il est...Interdit de... Interdit de... Interdit de... Hram? Hram... Hram... Et, il pleut des... Fermeture... Fermeture... Fermeture.

 Cela a commencé, avec Ben Bella, par l'arrachage des vignes et par l'interdiction (sous peine d'emprisonnement) de «boire», par un décret de décembre 1962 (n°147). Juste avant le «réveillon» de fin d'année ! C'est vous dire ce qui nous attendait. Puis, on a eu des walis, qui ont décidé (et certains décident encore) par ci, par là, de «fermer» des endroits où l'alcool était consommé, dont de grands hôtels touristiques? juste avant les grandes vacances.

 Cela a continué avec l'élimination des grands lieux de loisirs et de jeux (casinos), et s'est terminé par l'élimination des «maisons de tolérance»... Puis, les stades n'ont pas tardé à suivre avec les huis-clos. On «contrôle», paraît-il, les rares salles de cinéma qui existent encore dans le pays. On «ramasse» comme de vulgaires délinquants les couples d'amoureux qui ne faisaient que se regarder sur un banc public?et on aurait même obligé certaines demoiselles ou dames à subir l'épreuve humiliante du contrôle de virginité. Que reste-t-il donc aux jeunes et aux «encore verts» (relativement démunis) qui n'ont pas les moyens de s'offrir, en toute sécurité, certains plaisirs désormais surveillés, diabolisés, interdits, sanctionnés? La réalité de la «réalité» : le «café-maure», les dominos et la «chicha», cette nouvelle «mode» importée du monde oriental (à défaut des touristes du Golfe), la drague et les agressions , quand ce ne sont pas les enlèvements, aux alentours des Cités U et à la sortie des lycées et des grandes entreprises, la «zetla» bon marché, l'amour «vite fait» et sans précaution dans un couloir, dans une cave ou derrière des buissons, les enlèvements et les viols d'enfants, la prostitution clandestine, l'homosexualité rampante, un gros lot de dérives qui font l'affaire des nouveaux «proxos» et des «dealers»... et , bien sûr, de quelques gros «parrains». Le tout sans contrôle, sans régulation, dans l'anarchie la plus complète. Avec tout ce que cela induit comme dégâts moraux, matériels, sanitaires?

 La dérive administrative, qui s'est aggravée ces dernières années avec une religiosité re-découverte et re-visitée à l'aune de l'air du temps et du poids des ans, est accompagnée par une autre dérive, celle-ci politique, faite de tabous à ne pas déranger. Que dis-je, à ne pas aborder. La drogue, jusqu'à ces dernières années, ça n'existait pas chez nous ! Aujourd'hui, on en est à la cocaïne. La prostitution et l'homosexualité, ça n'existe pas (encore) chez nous ! Le sida, ça n'existait pas chez nous et personne n'osait parler de «capote» ! On se retrouve, aujourd'hui, avec plusieurs milliers de cas de séropositifs! La corruption, ça n'existait pas chez nous !

 L'alcoolisme, ça n'existe pas chez nous! Les SDF, makench ! Des vieux dans des asiles, impensable! Des imams déviants, ya latif ! Des milliers d'enfants naturels, makench ! On a même entendu, selon la presse, un imam faire tout un prêche du Vendredi sur un gosse qui s'était dit, à la radio, «amoureux»? et, il paraît que nos sénateurs en ont fait tout un «plat-débat». Comme s'il n'y avait que ça comme problèmes dans le pays. Incroyable! Il est vrai que nous avons, sinon les «meilleurs»... menteurs et les plus «gros»...hypocrites du monde, du moins les meilleurs spécialistes de la «langue de bois» et de l'évitement.

 Toutes les solutions sont possibles et envisageables. Mais, il faut d'abord et avant tout reconnaître, une bonne fois pour toutes, que nous sommes, bien souvent, en tant qu'individus, et dans nos comportements quotidiens, des citoyens parmi les plus «pourris» et les plus égoïstes du monde, ceci n'empêchant pas d'avoir bien des qualités, surtout de solidarité, formidables, tout particulièrement en temps de crise, ce dont profitent les politiciens démagogues. Ensuite, écarter les solutions «idéales», celles de laboratoire et de «cafés de commerce», déversoirs de nos frustrations et de nos manques, de nos envies ou de nos jalousies et adopter les solutions pratiques les plus profitables à la société : Rouvrir les «maisons de tolérance» en les confinant dans des endroits spécifiques mais contrôlables, retirés, avec leurs bars et leurs lieux de loisirs et de jeux, pourquoi pas ? Multiplier les centres de cure de désintoxication, certes... sans oublier que le toxicomane est, aussi, un délinquant? A.p.p.l.i.q.u.e.r la «perpète» aux violeurs d'enfants, et la peine capitale aux assassins d'enfants.

Faire prendre en charge par l'Etat et la société civile sans punir et sans aller jusqu'au bout des sanctions, en raison des largesses de la «rahma», relève d'un populisme que l'on commence à payer bien cher, et n'empêche pas la multirécidive... et plus.

 Mais, pour cela, il faut accepter d'être comme «tout le monde», avec nos qualités mais aussi et surtout reconnaître nos défauts et nos déviances... avec des textes respectueux des libertés et des besoins naturels individuels, avec des textes régulateurs ou contrôleurs ou qui sanctionnent, et avec des textes à appliquer avec équité, très strictement, et sans parti-pris.