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Miloud Brahimi lave plus blanc: La corruption ?

par Abed Charef

Un phénomène ordinaire. Il ne faut pas s'en offusquer, mais le combattre. Miloud Brahimi, un des avocats les plus en vue de la place d'Alger, tient un discours ambigu, pour amortir le choc créé par l'affaire Chakib Khelil.

Miloud Brahimi lave plus blanc. Le célèbre avocat, ancien président de la Ligue Algérienne des droits de l'Homme (LADH), a trouvé la parade face à cette déferlante de la corruption qui menace l'Algérie. La corruption ? Il n'y a pas lieu de s'en offusquer. Là où il y a des humains, il y a de la corruption, dit-il. Il n'y a pas plus de corruption ici qu'ailleurs. Mais, attention, nous prévient l'avocat, les campagnes anti-corruption sont dangereuses et malsaines. Et, assène-t-il comme verdict final, l'indépendance de la justice « n'est ni possible ni souhaitable ».

 L'argumentaire de Miloud Brahimi repose sur plusieurs points, qu'il énumère tranquillement. Fort de sa longue expérience du barreau, il veut d'abord prouver que la corruption est un phénomène banal, naturel. A l'entendre, on aurait presque tort de s'en alarmer. C'est en braquant les projecteurs sur le phénomène qu'on se donne l'illusion qu'il a soudainement pris de l'ampleur, dit-il. A ses yeux, la corruption n'atteint pas, en Algérie, un seuil si différent par rapport aux pays voisins. Seule la liberté d'expression, en vigueur en Algérie mais pas ailleurs, amplifie les affaires évoquées, pour donner cette illusion que le phénomène a atteint un seuil si dangereux. Petit détail tout de même : Miloud Brahimi se trompe.

 L'Algérie est plus corrompue que les pays voisins. Tous les instruments de mesure disponibles le prouvent, en premier lieu les rapports de différentes organisations internationales de lutte contre la corruption, qui classent l'Algérie comme l'un des pays les plus corrompus du monde arabe. Les classements les plus récents plaçaient l'Algérie au-delà de la 110ème place, loin derrière la Tunisie et le Maroc, très loin derrière les Emirats Arabes Unis et certains pays du Golfe.

 En fait, l'Algérie se situe dans le groupe des pays africains les moins performants, jusque devant les pays en guerre. Pire encore, le pays recule d'une année sur l'autre, perdant sept places en 2011, et s'enfonçant encore plus, avec les nouvelles affaires qui viennent d'être révélées.

 Certes, Miloud Brahimi affirme que la lutte contre la corruption est un tout, et qu'elle doit être menée tous les jours. Mais par glissement successifs, il en arrive à jeter le doute sur la mise à l'index de M. Chakib Khelil, en affirmant que la campagne actuelle vise en réalité à mettre hors-jeu l'ancien ministre de l'énergie. Miloud Brahimi rappelle certains épisodes du passé. Il affirme qu'une campagne menée dans les années 1980 visait en fait une « déboumédiénisation », une sorte de chasse aux sorcières pour éliminer les proches de Houari Boumediene, alors que celle des années 1990 visait à mettre en accusation les gestionnaires des entreprises publiques, pour faciliter l'opération de privatisation lancée alors dans la foulée des accords signés avec le FMI.

L'avocat laisse entendre que ce qui se passe aujourd'hui est une campagne liée à une conjoncture politique bien précise. Méfiez-nous donc de l'utilisation de la justice pour des règlements de comptes politiques. Du reste, affirme-t-il avec beaucoup d'aplomb, il serait erroné de dire que l'affaire Khelil a été révélée par la justice italienne.

 C'est à partir d'une commission rogatoire émise à partir d'Alger que le pot aux roses aurait été découvert. Ce serait donc la justice algérienne qui aurait révélé le scandale. Ce serait bien pour l'Algérie, pour sa justice, pour l'honneur de ses magistrats et la crédibilité de ses institutions. Mais la vérité est un peu différente. Non seulement dans la chronologie des faits, mais aussi dans l'ampleur que le scandale a pris. Miloud Brahimi, engagé dans l'affaire Sonatrach comme dans l'affaire Khalifa, sait que des fautes avouées dans le procès Khalifa n'ont pas été sanctionnés par la justice algérienne.

 Il sait que Chakib Khelil n'a pas été publiquement mis en cause par la justice algérienne avant que le scandale ne soit révélé à l'étranger. Aucun mandat d'amener n'a été lancé, jusqu'à présent, contre M. Chakib Khelil. On ne sait pas s'il a été interrogé par la justice ou non.

NOUVEAU PALIER

Le célèbre avocat d'Alger franchit un autre pas quand il affirme que l'indépendance de la justice n'est « ni possible ni souhaitable ». Qu'il reconnaisse que le gouvernement tente toujours d'influer sur les procès importants peut paraitre normal. Mais quand il affirme que l'indépendance de la justice ne serait pas souhaitable parce que les magistrats en feraient ce qu'ils veulent traduit une autre vision de la justice : le linge sale ne doit pas être lavé en public, il peut même ne pas être lavé du tout. La théorie de Miloud Brahimi lave plus blanc : le verdict se discute entre amis, entre gens bien élevés, dans des cercles et des bureaux auxquels seuls ont accès les initiés.

 Peut-être est-ce cette vision qui empêche Miloud Brahimi de prendre la dimension de l'affaire Chakib Khelil : pour la première fois de l'histoire de l'Algérie, un ministre en fonction est accusé d'avoir touché des commissions. C'est le patron de la plus grande compagnie du pays, Sonatrach, qui est en détention, et un autre responsable, ayant occupé les postes prestigieux de ministre des Affaires étrangères et de la Justice, est également mis en cause.

 Certes, la corruption a existé, en Algérie comme ailleurs. Mais il y a des paliers qui sont franchis, pour en faire une norme de gestion. La dernière preuve en est fournie par une autre affaire sans rapport avec Sonatrach : M. Amar Saïdani est en course pour être élu secrétaire général du FLN. Un homme poursuivi dans une affaire de 32 milliards de dinars est le favori pour devenir le dirigeant du principal parti du pays. Cela équivaut à placer Bernard Madoff au ministère des Finances, Ben Laden aux libertés et Abdelmoumène Khalifa aux transports.