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Mali : débats sur la durée de l'intervention française

par Pierre Morville

Les succès sur le terrain de la Misma pourraient laisser croire à un départ rapide des troupes françaises mais la France est investie pour longtemps au Mali.

L'enlèvement cette semaine de sept touristes français (dont quatre enfants en bas âge) et la mort d'un second soldat français a relancé un débat sur la durée de la présence des forces françaises sur une ancienne terre coloniale et la stratégie à terme de la Misma. Celle-ci regroupe plus de 5.000 soldats des forces africaines (dont 1800 Tchadiens) déployés sur le sol malien dans le cadre de l'opération Serval menée par les Français et les Maliens afin de "sécuriser" le nord-est du pays et de "désorganiser" les groupes terroristes, a annoncé mardi le ministère français de la Défense. Les contingents togolais, sénégalais, béninois, ghanéen et tchadien ont vu leurs effectifs accroître ces derniers jours et devraient poursuivre leur déploiement sur le terrain".

Au total, près de 8.000 soldats africains sont attendus au Mali pour épauler les forces maliennes et prendre le relais de l'armée française lorsqu'elle se sera retirée, écrit l'état-major.

TROUPES FRANÇAISES : DEBUT DU DEPART DES MARS ?

Sur le terrain, la «sécurisation» du nord-est du pays, le massif montagneux des Ifoghas, et plus largement des zones isolées du vaste Nord-Mali s'avère plus difficile que la reconquête des agglomérations du Nord-Mali. La coordination des troupes des différents pays ne fait que commencer et l'état-major militaire français s'inquiète d'exactions qui auraient été commises par l'armée malienne. Le ministre français délégué en charge du Développement, Pascal Canfin, a affirmé mercredi lors d'une visite au Mali, que la France est très attentive face aux accusations d'exactions visant l'armée malienne. «Il ne peut pas y avoir de dialogue politique dans la durée, s'il y a des exactions sur le terrain. Et donc, nous sommes extrêmement attentifs à ce que ça se passe le mieux possible», a-t-il déclaré sans pour autant confirmer ces accusations d'exactions.

L'aide militaire internationale hors Afrique reste toujours aussi tenue. Seul signal positif nouveau : Le gouvernement allemand a annoncé qu'il pourrait envoyer jusqu'à 330 formateurs militaires au Mali afin de former les soldats maliens et pourvoir à une assistance logistique aux troupes françaises et africaines sur le terrain. Le porte-parole du gouvernement, Steffen Seibert, précise néanmoins que le contingent allemand ne sera pas autorisé à participer aux hostilités.

Côté finances, une conférence internationale des bailleurs de fonds à l'initiative de la France et de l'Union européenne pour venir en aide du Mali aura lieu à la mi-mai à Bruxelles, associant notamment la Banque Mondiale, le FMI et diverses ONG internationales. Elle est destinée à compléter les 250 millions déjà promis par l'UE. La relève économique du pays est pourtant aussi décisive que le rétablissement d'une réelle démocratie dans l'ensemble du pays. Après la reprise de Gao et de Tombouctou, le président par intérim, Dioncounda Traoré, avait souhaité que ces élections aient lieu le plus tôt possible. Elles se dérouleront le 7 et 21 juillet prochain. Mais les difficultés d'organisation d'un scrutin dans un pays en guerre ne manquent pas, comme l'instauration de listes d'électeurs comme celle d'une carte électorale pour éviter au maximum les fraudes?

Quant à la durée de l'intervention, les déclarations gouvernementales françaises ne sont pas tout à fait à l'unisson. Laurent Fabius a créé une certaine surprise en annonçant sur RTL, mardi, que les troupes françaises pouvaient commencer à se retirer dès le mois de mars, alors que Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense estimait que la pacification du Nord-est du pays prendrait un «certain temps», et il a conditionné ce début de retour à un déploiement effectif des forces africaines de la Misma (mission internationale de soutien au Mali), mais celles-ci "ne sont pas en situation" pour l'instant de prendre le relais des forces françaises, a-t-il relevé.

L'institut de géopolitique IRIS a publié très récemment une étude de René Cagnat, «Guerre et pacification au Sahel à la lumière de l'expérience afghane». Certes, on peut ne pas suivre toutes les analyses de l'auteur et l'on sait que toute comparaison abusive entre des situations de conflit dans des contextes historiques, géographiques et politique, est extrêmement périlleuse.

Toutefois, en analysant l'intervention de l'armée américaine en Afghanistan, le chercheur pointe, selon lui, quelques erreurs majeures, dont il faut se protéger dans toute intervention extérieure, y compris au Sahel.

LES «LEÇONS» DE LA GUERRE EN AFGHANISTAN

L'une d'entre elles qu'il souligne, est notamment celle du «départ annoncé» : Le 24 juin 2011, le Président OBAM a en effet fixé un terme précis pour le retrait des forces américaines en Afghanistan, la fin de 2014. ««Rien de plus décisif pour affaiblir la résistance des forces loyalistes !», remarque René Cagnat.

Le chercheur note également que les Américains après de premières victoires ont laissé les Talibans reconstruire leur force dans les zones pachtounes du Pakistan : «les organisations terroristes islamiques, note de son côté David Gauzère, dans la «revue de la Défense nationale», se déploient en trois temps, à partir d'un sanctuaire, avec l'appui d'une zone grise, vers un objectif à conquérir», ou à reconquérir. Dans le cas du Mali, les groupes islamistes ont pour objectif de sanctuariser le massif montagneux des Ifoghas. D'où l'importance pour la Misma, de la réussite de l'opération actuelle. Mais de nombreuses «zones grises» existent autour du Mali, que ce soit en Mauritanie, au Niger ou dans le Sud algérien, ou de façon plus éloigné, en Libye. Voire même l'existence, l'existence de lointaines bases arrières, comme l'a montré la récente intervention du groupe islamiste nigérian Boko Haram avec le rapt de touristes français au Nord-Cameroun. Si la maîtrise de la zone sahélienne est nécessaire, elle entraîne une opération et complexe et réclame surtout une étroite coopération entre tous les états concernés. Compliqué.

René Cagnat remarque enfin que l'intervention américaine, sur le plan politique, «s'est appuyée sur l'installation d'un pouvoir totalement inadapté aux réalités afghanes» et sur un plan militaire, avec un corps expéditionnaire isolé de la population dans «des camps bien clos», incapables, notamment de nuit, de contrôler le territoire conquis. De même, l'utilisation à l'excès des bombardements aériens aveugles, seul moyen de maintenir ce corps expéditionnaire en Afghanistan, retourne rapidement la population contre un «libérateur» qui devient «ipso facto un agresseur».

Comparaison n'est pas raison. Les guerres en Afghanistan qui ont commencé en 1979 par une intervention militaire russe, se sont déroulées dans un pays par sa culture, sa géographie et son histoire, dans un environnement régional et dans des contextes internationaux qui n'ont rien à voir avec le Mali.

En revanche, estimer comme Laurent Fabius, que l'intervention française réglera la question malienne en trois mois, relève de la gageure peu crédible. L'intervention sera nécessairement plus longue et sa réussite éventuelle impose deux conditions stratégiques :

- une coopération étroite, sur des objectifs stratégiques et sur les actions à tenir décidés en commun, avec l'ensemble des pays frontaliers de la zone du Sahel et plus largement avec les pays d'Afrique de l'Ouest qui interviennent dans la MISMA

- l'établissement d'un régime que les Maliens du nord et du Sud, choisiront eux-mêmes, démocratique, transparent et certainement très fédéral. Cette reconstruction politique ne peut se faire dans un pays très pauvre et malmené par la guerre qu'avec une aide financière et logistique internationale puissante et rapide, et avec l'appui des grandes organisations internationales.

Beaucoup d'objectifs à réaliser, dont, le moins puisse dire, l'intervention politico-militaire française n'en ait qu'à ses débuts.

TUNISIE : IMPASSE POLITIQUE, CRISE SOCIALE SANS PRECEDENT

Mardi après-midi, Hamadi Jebali est allé remettre sa démission au président Moncef Marzouki. Il aura été Premier ministre 14 mois, ayant pris ses fonctions en décembre 2011 après la victoire de son parti, Ennahda, aux premières élections libres de l'histoire de la Tunisie deux mois plus tôt.

«Notre peuple est déçu par sa classe politique, a constaté Hamadi Jebali qui, a regretté que sa proposition de sortie de crise, pour «restaurer la confiance», avec un gouvernement composé de techniciens plutôt que de leaders de parti, n'est pas été acceptée par sa majorité parlementaire. «Je dis en toute clarté que l'initiative, telle que je l'ai présentée, c'est-à-dire un gouvernement composé de membres n'appartenant pas à des partis politiques, n'a pas recueilli un consensus», avait-t-il déclaré dans la soirée de lundi.

L'assassinat de Chokri Belaïd, populaire leader de la gauche tunisienne a cristallisé une crise politique qui semble ne plus en finir.

Ali Laârayedh, l'actuel ministre de l'Intérieur, qui s'accroche à son poste, n'a pas à ce jour trouver les coupables de cet assassinat, comme il n'avait pas voulu enrayer la montée d'une violence politique croissante, ni même su protéger l'ambassade des États-Unis d'une attaque en règle à la suite d'une manifestation où devaient participer bon nombre d'adhérents ou de sympathisant de son parti, Enharda.

L'actuelle majorité parlementaire est également très menacée : les deux autres partis qui soutenaient Jebali, le Congrès pour la République (CPR) du président Moncef Marzouki, et Ettakatol, la formation dirigée par le président du Parlement Mustapha Ben Jaafar, menacent de claquer la porte si leurs alliés islamistes d'Ennadha, grands vainqueurs des législatives d'octobre 2011, refusent de céder plusieurs ministères régaliens. Mais Ennadha refuse de limoger le ministre de l'Intérieur, Ali Larayedh, critiqué en raison de la montée des violences politiques et sociales, celui de la Justice, Nourredine Bhiri, ainsi que le chef de la diplomatie, Rafik Abdessalem, impliqué dans un scandale de corruption. Ce dernier est également le gendre de Rached Ghannouchi, cofondateur et président d'Ennadha.

Fixer la date des prochaines élections est la première urgence, a rappelé Hamadi Jebali. Mais toute possibilité de scrutin est paralysée par l'impasse de la rédaction de la Constitution par l'Assemblée nationale constituante (ANC). Parmi les noms qui circulent pour le poste de Premier ministre, on compte Abdelatif Mekki, ministre de la Santé, et même celui de Noureddine Bhiri, ministre de la Justice.

Quel que soit son nom, le nouveau Premier ministre et son nouveau gouvernement, qu'il aura de grandes difficultés à composer, se heurtera aux mêmes difficultés : une crise économique et sociale qui s'aggrave (le chômage touche selon les estimations entre 18 et 25% de la population), une récession économique qui touche les principaux secteurs des phosphates ou tourisme, une inflation vertigineuse.

Il devra également faire face à une très grande désillusion des Tunisiens qui avaient placé beaucoup d'espoir il y a deux ans dans la «Révolution de Jasmin». Il est vrai que la nouvelle classe politique qui est apparue, après la chute de Ben Ali, a quelque mal à s'organiser.

On ne compte, pour une population de seulement 10, 6 millions d'habitants, pas moins de 20 partis politiques officiels, regroupés en trois coalitions mouvantes, et ce, sans compter les groupes extrémistes et les anciens partisans de Ben Ali.

Les recompositions de majorité politiques potentielles sont donc nombreuses mais ne sont pas pour autant gage de la réussite d'une sortie de crise. D'autant que les sondages actuels donnent toujours Enharda, bien qu'actuellement très divisée, comme vainqueur d'une courte tête d'une éventuelle future élection législative. Devant cette longue crise, certains évoquent la possibilité d'une pression accrue sur le plan politique de l'armée, d'autant que son chef, le général Rachid Ammar, le renverseur de Ben Ali, dispose aujourd'hui d'un prestige sans équivalent en Tunisie.