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Livres : Claudine, la «Dame de la Mitidja»

par Belkacem AHCENE-DJABALLAH

A première vue, pour les grands lecteurs et les lecteurs difficiles, l'édition algérienne est en retard. Beaucoup de retard. Mais, en fait, même si nous ne trouvons que difficilement «chaussure à notre pied», la production nationale est assez suffisante pour nous occuper durant les longues soirées d'hiver. Il s'agit seulement de fréquenter régulièrement les (rares mais bonnes) librairies (celles de l'Opu, de l'Enag et de l'Anep y compris malgré cet «air de tristesse» que l'on rencontre souvent dans les bureaux des entreprises publiques). Le grand problème réside, à mon sens, dans l'absence d'œuvres traduites de l'arabe vers le français et du français à l'arabe (et, aussi, vers le tamazigh). Il faut rapidement résoudre ce problème?peut-être par une aide de l'Etat (à inscrire dans la prochaine loi sur le livre) qui n'irait qu'à ceux qui feraient œuvre de traduction... des ouvrages nationaux (essais, mémoires, histoire, études et travaux universitaires, ainsi que les romans et la poésie, pourquoi pas). Une exception culturelle bienvenue !

LA CONQUETE DE LA CITOYENNETE.

Hommage à Claudine Chaulet. Actes du Colloque organisé par l'AADRESS le 19 mai 2011. Editions Barzakh/Naqd. Alger 2012. 280 pages (+ un Cd), 500 dinars

Les journées commémoratives sont toujours émouvantes et, en général, elles sont toujours consacrées à un être cher...au pays... au peuple... à un groupe de gens? à une famille? mais, la plupart du temps, c'est un être décédé qui nous manque ou, alors, qu'on aurait voulu voir encore vivant afin, on l'espère, on le croit, qu'il change le cours des choses qui ont pris ? on le croit... et on le démontre, s'il le faut - un mauvais tournant depuis son départ.

Mais, les journées les plus super-émouvantes sont bien celles consacrées à un être cher qui, encore vivant, ce qui accroît l'émotion, par ses idées, par son comportement, par son intelligence, a apporté et essaye d'apporter encore et encore, malgré le poids des ans et les douleurs de la vie, du sens et du changement autour de lui.

C'est le cas, le 19 mai 2011 (Journée de l'étudiant), pour M.a.d.a.m.e Claudine Chaulet (épouse de feu M.o.n.s.i.e.u.r Pierre Chaulet) ; l'hommage par le biais d'interventions et de témoignages d'une foultitude d'amis, d'anciens étudiants, d'anciens jeunes collaborateurs devenus des «grands»; des «grands» qui acceptent d'être, sans complexe, «petits»... Abdelhamid Bencharif, Cherifa Hadjidj, Fatima Oussedik, Tayeb Kennouche, Chérif Benguergoura, M. Harbi, Daho Djerbal, Malika Ladjali, Madjid Merdaci, Djamila Musette, Nadji Safir, Hamid Grine, Naceur Bourenane, Gauthier de Villiers, Rabah Zerari dit «Commandant Azzedine»... Claudine Chaulet, la sociologue qui, après un rôle historique durant la guerre de libération nationale a, juste après l'indépendance, préféré le travail sur le terrain de la connaissance et la formation des générations futures. Elle a fait le choix de travailler avec ceux qu'elle a trouvé «en bas» et «dont on a escamoté l'existence à coups de raccourcis historiques et d'analyses sociologiques à connotation structuralistes» (extrait de l'introduction).

Avis : Certes un hommage à la «dame de la Mitidja» mais aussi, une occasion pour poser une problématique essentielle et d'actualité, celle de la citoyenneté... avec des questionnements : résultat d'une lutte et d'une conquête ou don octroyé par une autorité supérieure, le pouvoir d'Etat ? Claudine Chaulet s'y est, bien sûr, mêlée? avec de superbes textes? et, on dégustera avec délectation son texte sur «L'éloge du couscous». Bravo à Naqd, bravo à l'Aadress et merci aux «sponsors».

Phrase à méditer : «Claudine Chaulet a toujours mis au service des autres son temps, son énergie et ses compétences sans vouloir en retirer quelque avantage personnel. Cette humilité, cet engagement désintéressé sont la plus belle définition d'une citoyenneté authentique» (p. 22)

LE POUVOIR, LA PRESSE ET LES DROITS DE L'HOMME EN ALGERIE.

Recueil d'études de Brahim Brahimi. Enag Editions. Alger 2012. 192 pages, 600 dinars

Le Pr Brahim Brahimi est un homme connu pour son franc-parler, en matière de politique, et en matière de communication. C'est, pour cela, certainement, qu'il est et reste un acteur apprécié du paysage médiatique national et un défenseur impénitent des droits de l'homme. Enseignant universitaire, chercheur, il cumule, à son actif, une expérience de plus de quarante années... ainsi que plusieurs ouvrages (et études). Il est, actuellement, directeur de la nouvelle Ecole nationale supérieure de journalisme (Ensjsi) de Ben Aknoun/Alger.

Son dernier?né (l'ouvrage), après «le pouvoir, la presse et les intellectuels» (1989), s'intéresse de très près aux relations (toujours mouvementés) du Pouvoir (au sens large du terme d'autant que ce dernier a «glissé» - réalité ou illusion ?- ces dernières décennies, du militaire au politique? avec des incursions et des invasions dans l'économique et le commercial), avec la presse et des relations de ceux-ci avec la défense (ou l'étouffement) des droits de l'homme. Une première partie (65-88) rappelle les blocages du parti unique, les pratiques autoritaires et bureaucratiques. La seconde (88-91), «assez exceptionnelle», revient sur l'émergence de la société civile et l'apprentissage difficile de la démocratie après les évènements d'Octobre 88. Enfin, la troisième partie (92-95), «également exceptionnelle», est consacrée à l'analyse des rapports entre le pouvoir, la presse et les droits de l'homme, marqués par la violence et le terrorisme. L'ouvrage est consacré surtout à la période 1989-1995... Donc, ne pas (trop et vite) tirer des conclusions pour le présent.

Avis : Absolument nécessaire aux étudiants et aux jeunes défenseurs et autres illustrateurs des droits de l'homme et de la justice

Phrase à méditer : «Peut-on espérer, après toutes ces souffrances, que le «printemps ne sera que plus beau ?» (p.185)

ENTREPRENEURS, POUVOIR ET SOCIETEEN ALGERIE.

Essai de Nordine Grim. Présentation de Arezki Idjerouidène. Péface de Boualem Aliouat. Casbah Editions. Alger 2012.

187 pages, 850 dinars

Depuis l'Indépendance du pays, un (01) seul patron (privé) a fait partie d'un gouvernement, au début des années 1990 (Reda Hamiani, au département des Pme, et actuel Président du Fce)... Depuis, plus rien ? Avant, impensable !

Depuis la création de la Bourse d'Alger, c'est seulement début février 2013 qu'il est annoncé la prochaine entrée (avec 25% du capital social) d'une entreprise industrielle (Nca Rouiba) à composante familiale. Jusqu'ici, même si de puissantes Sarl (d'essence familiale) étaient transformées en Spa, comme actionnaires, il n'y a que «les, parents et alliés».

C'est dire le fossé qui sépare encore le comportement «étatiste» des pouvoirs publics du pays... et le comportement «familialiste» des entrepreneurs algériens du secteur privé. C'est dire la mentalité des uns, une mentalité hégémonique qui perdure contre vents et marées, et les craintes d'un secteur privé qui, souvent malmené, menacé? utilisé, séduit puis abandonné, est devenu plus que méfiant? tout cela laissant la place à un «informel» - surtout depuis 1990, avec la démonopolisation du commerce extérieur - dévastateur de l'économie nationale... et la place à un secteur économique public d'abord abandonné, puis «repris», enfin méprisé, mais sous perfusion permanente (une sorte de «pension alimentaire» versée surtout quand on veut). Heureusement que le Fmi et le Socialisme algérien ont existé... Les boucs émissaires de tous les échecs !

Avis : Les textes du Pdg d'entreprise qui présente l'ouvrage et du professeur d'Université qui fait la préface sont, bien sûr, à «parcourir» par les spécialistes. Mais le reste, les textes de Nordine Grim, homme de terrain, ancien haut fonctionnaire et cadre fin connaisseur des rouages sont à lire, car leur écriture est précise, directe, concise. C'est celle du journaliste spécialisé qui s'est frotté au(x) terrain(s). Donc à lire, non par les entrepreneurs, non par les chercheurs et universitaires? tous déjà, au fait des situations, mais surtout par les gouvernants, les politiques, les députés, les sénateurs, les «décideurs» réels... Pour une prise de conscience urgente des problèmes vécus et à venir, et de la problématique.

Phrase à méditer : C'est tout l'ouvrage qui est à méditer, la présentation, la préface, le texte?et la caricature de la dernière page de couverture.