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L’exemple canadien

par Akram Belkaid, Paris

En ces temps de crise où les finances publiques de nombreux pays – dont les Etats-Unis et les Etats européens – ressemblent à un gouffre, existe-t-il une voie à suivre ou un modèle à copier ? La réponse, on s’en doute, n’est pas simple mais il y a, tout de même, quelques pistes qui méritent réflexion, à commencer par le cas canadien dont on parle peu. Pour bien le comprendre, il faut revenir au début des années 1990, époque où le Canada était en totale déroute économique et où la presse anglo-saxonne le traitait même de « membre honoraire du tiers-monde ». Dès 1992, les agences de notation dégradaient ce pays qui perdait ainsi son précieux AAA.

AUSTERITE POUR TOUS

L’opération de redressement des comptes publics canadiens a débuté en 1993 et elle est passée par une discipline budgétaire d’airain. Les gaspillages étaient traqués, l’austérité généralisée et les grands responsables publics ont été priés de donner l’exemple en acceptant des coupes drastiques dans leurs budgets et salaires. Le choc fut violent mais le Canada disposait alors d’amortisseurs sociaux qui ont permis de compenser – en partie - ses effets. Le gouvernement du Premier ministre Jean Chrétien (1993-2003) a multiplié les explications et n’a eu de cesse de faire de la pédagogie pour justifier des baisses budgétaires qui ont atteint, en moyenne, entre 20 et 25%. En cinq ans, le nombre d’employés de l’administration publique fédérale est passé de 405.000 à 330.000. Résultat, les comptes du Canada sont revenus dans le vert en 1998 et le pays a regagné son triple A en 2002.
Aujourd’hui, cette expérience canadienne du retour en grâce auprès des agences de notation est connue de tous les pays européens, à commencer par la France. Un nombre incroyable de missions parlementaires s’est rendu à Ottawa pour analyser la réforme profonde de l’appareil d’Etat canadien. Austérité générale et appliquée à tous, effort de pédagogie, « exemple » par le haut, redéploiement d’une ressource d’un secteur à l’autre, hausse des impôts : les ingrédients de la recette sont connus mais sont rarement transposés. Ainsi, en France, aucun homme politique n’osera s’attaquer au mille-feuille administratif avec sa superposition de pouvoirs nationaux, régionaux, départementaux et locaux qui coûtent cher au contribuable. D’ailleurs, à les entendre, les responsables canadiens commencent à être fatigués de ces incessantes visites qui ne débouchent sur rien, dans les pays concernés si ce n’est la rédaction de rapports vite oubliés.

RETOUR A LA CASE DEPART ?

Mais, aujourd’hui, le Canada est de nouveau en situation de déficit budgétaire. Certes, son triple A ne semble pas menacé mais l’inquiétude est présente. Pourquoi une telle évolution alors que ce pays était présenté comme l’exemple à suivre en matière de contrôle des finances publiques ? Deux raisons principales sont à avancer. La première est qu’Ottawa a décidé d’appliquer la recette de la relance budgétaire pour compenser la crise financière de 2008. La seconde, et c’est un paradoxe, est que le gouvernement conservateur (voire néo-conservateur), élu en 2006, a décidé des baisses d’impôts (comme l’a fait George W. Bush, unique président américain à avoir engagé son pays en guerre tout en baissant les impôts…). Résultat, l’effort de relance a été financé par la dette et le Canada espère revenir à l’équilibre budgétaire en 2015. Une promesse qui, si elle n’est pas tenue, pourrait bien lui valoir de perdre son AAA. Vingt ans plus tard, le pays de la feuille d’érable s’en reviendrait ainsi à la case départ.