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Tunisie an II, l'idéologie des maîtres

par Abdelkader Leklek

Bien sûr qu'il s'agit de l'an II, de la Révolte du 14 janvier 2011, date du soulèvement populaire qui avait contraint l'autocrate népotique Ben Ali de fuir la Tunisie.

Ia révolution, c'est quand il y a une transformation soudaine et radicale de l'ordre établi, entretenu, par le pouvoir dont aura triomphé la révolte.

Oui mais ceci dit, comment faire après, pour protéger les acquis de cette révolution, sans le risque de voir se reproduire, l'autocratie, le népotisme, le caporalisme, le clientélisme et toutes les partialités. En fait l'idéologie. ? L'histoire retiendra ce qu'auront produit et reproduit des révolutions. Celle des bolcheviques et ses goulags. La révolution chinoise et ses camps de rééducation par le travail.

Les khmers rouges et leurs génocides. La révolution française et ses guillotinés. La révolution iranienne et ses échafauds publics. Cependant, l'histoire retiendra également, des révolutions qui ont emprunté d'autres cheminements.           Les pays anciennement appartenant au bloc de l'Est, dans leur majorité avaient réussi leur révolution. Mis à part la Yougoslavie, les autres pays, ont changé l'ordre établi sans trop de dégâts. L'Afrique du Sud est aussi un parangon en matière de transition sans dommages. Le politologue tunisien M'rad hatem, définit ainsi, cette transition du pays de Madiba, Mandela: «celle de la réconciliation nationale. Réconciliation qui n'exclut pas des lois de lustration, raisonnables et méticuleusement contrôlées, sur les cas les plus graves, crimes, torture, sécurité». En Tunisie, bien au contraire, au lendemain du 14 janvier les tunisiens avaient purement et simplement aboli le Rassemblement Constitutionnel Démocratique, le parti de Ben Ali, bâti sur les restes de l'historique parti destourien. D'où l'occultation d'un pan de l'histoire de la Tunisie moderne. En conséquence hâtive, il fut interdit à tous les anciens responsables de ce parti, toutes activités politiques. Et comme ce parti était construit sur le schéma et la philosophie des partis uniques.

Ces interdictions avaient touché des responsables politiques, comme des responsables administratifs et mêmes des responsables associatifs. Dans son application, cette censure avait touché les gros bonnets, les nababs et les pontes de l'ancien régime, mais aussi le menu fretin. De loin la plus grande masse d'exclus, avant et après la révolte. Cette façon de faire, avait dès le début de la mise en place du nouveau paysage politique issu de la révolte, conduit à un déséquilibre sur la scène politique et avait en conséquence fortement avantagé les nouveaux partis, qui avaient aussi servi à recycler d'anciens rcdistes, dans le nouveau paysage. Pareillement le haut comité pour la réalisation des objectifs de la révolution avait interdit aux hauts responsables du RCD de participer aux élections de l'assemblée constituante, qui avaient eu lieu,le 23 octobre 2011.

Ce qui ce comprend. Néanmoins, à l'époque les critiques avaient mis en avant cette chicane, arguant, que pareille prohibition devait être énoncée par la loi.

Cette mesure fut quand même ratifiée par le gouvernement de Béji Caïd Sebsi et appliquée. Après l'euphorie de la victoire viennent les brutalités de la réalité. L'économie, le politique, le social, et le quotidien exigeaient désormais, beaucoup plus qu'avant. L'augmentation du taux de chômage notamment avec l'affaiblissement du secteur du tourisme gros pourvoyeur en postes de travail, avec 400 000 emplois. L'augmentation des prix, notamment le pain et le lait, due particulièrement à l'instabilité et la déstabilisation du marché.

Il n'y a pas un secteur, selon des informations précises, qui ne soit épargné par les convulsions et les effets d'entraînement de la révolte. Aucune feuille de route tracée par l'assemblée constituante, n'avait connu le moindre début de concrétisation, à commencer par la rédaction du projet de constitution, qui devrait servir d'acte de naissance à la Tunisie nouvelle, post révolution. La promulgation de ce projet aurait du voir le jour une année après les élections à la constituante, c'est-à-dire le 23 octobre 2012. Il n'en fut rien. D'un autre coté, aucun programme gouvernemental conduit le parti islamiste En-Nahdha, n'avait pu aboutir, ni donner des résultats. Les attentes des populations n'ont connu aucune réponse, quand des situations de citoyens, ne se sont pas d'avantage aggravées.

Depuis la fin novembre 2012, la coalition au gouvernement, cherche à valider un projet de loi qui vise à exclure de la vie politique tous les anciens responsables du régime de Ben Ali. Ce projet provoque d'âpres débats dans le pays.

Nidaa Tounes, le parti créé en janvier 2012, par l'ex-premier ministre du gouvernement de transition, Caïd Essebsi, se sent directement concerné par cette manœuvre politique, dont l'objectif n'est autre, que de l'exclure des prochaines élections législatives. Le mouvement, qui juge cette loi antidémocratique, a reçu dit-on a Tunis, l'adhésion de millions de tunisiens déçus par la coalition qui dirige le pays. Les sondages le créditent aussi de beaucoup d'intentions de vote, ce qui le placerait en challenger de taille, face à la troïka conduite par En-Nahdha, et composée du congrès populaire républicain de Mohamed Marzouki, et d'Ettakatol de Mostéfa Ben Jaafar. Et pour ne prendre q'une image de ces moult dérèglements.

L'enseignement en Tunisie, qui était un modèle du genre dans les pays du Maghreb, notamment depuis les réformes engagées par feu Mohamed Charfi, connaît des dysfonctionnements et d'énormes difficultés. Pour la première fois depuis l'indépendance de la Tunisie, il y a eu fraude, du moins publiquement connue, au baccalauréat. Lors de la session de 2012, il y avait eu fuite des sujets examens d'arabe pour la section Lettres, et les candidats avaient du repasser cette épreuve. L'université n'est pas en reste. Un feuilleton sans fin secoue depuis le mois de mars 2012, la faculté des Lettres, des Arts et des Humanités des sciences humaine de Manouba, lorsque deux étudiantes portant le voile intégral avaient saccagé et vandalisé le bureau du doyen Habib Kazdaghli. L'une de deux étudiantes, qui avait été exclue de la faculté pour raison de port de niqab en salle de cours, accuse l'universitaire de l'avoir giflée. Ce procès a déjà connu quatre audiences, le 5 juillet, 25 octobre et 22 novembre 2012; et la dernière le jeudi 03 janvier, où le tribunal avait décidé à la fin de ce marathon judiciaire, de la mise en délibéré de l'affaire. Elle connaître, si tout se passe normalement son épilogue, aujourd'hui, 17 janvier 2013.

Ce verdict, un tant soit peu symbolique, révélera les conditions et la situation, dans lesquelles se trouve, respect des attributs de l'Etat de droit, dont le fonctionnement de la justice est un indicateur déterminant. Encore plus quand il s'agit d'un procès, de nature essentiellement politique, selon de tous les détails du dossier de l'affaire, exposés devant le tribunal, intenté à un doyen d'une faculté, située au Douar Hicher, l'un des fiefs du salafisme dans le grand Tunis. Ce quartier avait fait parler de lui, la nuit du 27 octobre 2012, lorsque le commandant Wissam Benslimane, chef de la brigade de la sécurité publique du district de Manouba, était venu au même Douar Hicher, avec ses hommes pour rétablir l'ordre républicain, après une bataille rangée entre des vendeurs de boissons alcoolisées et des islamistes radicaux.

L'officier de police avait été grièvement blessé. Il est à noter, que la violence dans tout son éventail avait commencé, dès la première semaine de la fuite de Ben Ali.           

Et paradoxalement, du fait de ceux qui n'avaient pas participé à la révolte du 14 janvier 2011, c'est-à-dire les islamistes de toutes les obédiences. Les salafistes, les frères musulmans, les djihadistes etc... Les activistes du parti salafiste, Et-Tahrir, une organisation non reconnue, s'étaient déjà violemment manifestés le 26 juin 2011, lors de la projection à Tunis du film: Ni Allah, ni maître, et avaient saccagé la salle de cinéma, CinemAfricArt.

La réalisatrice du film en question, Nadia El Fani, avait depuis, changé le titre de son film, qui s'intitule désormais, Laïcité Inch'Allah. Juste après, c'est-à-dire le dimanche 09 octobre, deux à trois cents individus, pour la plupart barbus, selon plusieurs organes de presse, qui avaient rapporté l'information, se sont attaqués au siège de la chaîne de télé privée Nessma, en utilisant, juste un quart d'heure après le début de la diffusion du film Persépolis, les réseaux sociaux que propose Internet, pour contester et dénoncer cette programmation. En conséquence à cet assaut.       Le 12 octobre 2011, Nabil Karoui P D G de la chaîne, présentait ses excuses de cette manière: Je présente mes excuses au peuple tunisien pour la diffusion sur Nessma TV, de la séquence controversée et jugée blasphématoire, représentant Dieu dans le film d'animation franco-iranien «Persépolis» et je considère cela comme une erreur qui ne se répètera pas''. Malgré cela et plus encore, ce patron avait vu le 14 octobre vers 20 heures trente, heure algérienne, une centaine d'islamistes, munis de cocktails Molotov et de bombes lacrymogènes venir de forcer la porte de sa maison, et commencer à la saccager entièrement et de l'incendier partiellement. Ses voitures on tété brûlées. Son épouse et ses enfants ont pu échapper de justesse à cette attaque. Coté comportement, en Tunisie, les incivilités et la désobéissance civile se pratiquent, depuis, au grand jour, dans un pays où le respect de la loi était quand même une réalité vérifiable.

Une recrudescence de constructions illicites d'habitations sans pareille est signalée un peu partout à travers tous les coins de Tunisie, alors qu'auparavant, rien ne se faisait en matière d'urbanisme, sans l'aval des municipalités.

Egalement des conduites que l'on croyait disparues, depuis 1956, refont surface. Il s'agit des affrontements tribaux, que la Tunisie pensait avoir éradiqués. Des violences inter-claniques, se sont terminées par mort d'hommes, depuis janvier 2011. Il faut dire aussi que le tempo avait été donné dès les premiers jours, post Ben Ali, par ceux qui se sont accaparés les grâces la révolte, sans l'avoir fait. Le dimanche 13 novembre 2011, et alors que les résultats définitifs de s élections à la constituante n'étaient pas encore publiés, le secrétaire général d'En-Nahdha, et premier ministre autoproclamé avant l'heure, Hamadi Jebali d'En-Nahdha avait fait une déclaration ébouriffante à ses sympathisants, affirmant notamment que : «la présence de Houda Naïm, membre du mouvement islamique palestinien Hamas, conviée à un meeting nahdhaoui, était un signe de dieu». Pour ce qui le concerne, il attestait, qu'il avait reçu des signaux divins et qu'il allait instaurer le 6e califat ! En fait, il avait alors déclarait textuellement, ceci:«il s'agit là d'un moment divin, dans un nouvel Etat, dans un 6ème Califat, inchallah». Cette prophétie ne tarda pas à connaître sa réalisation, fut-elle éphémère.

En janvier 2012, Sejnane, une petite ville du Nord de la Tunisie située dans le gouvernorat de Bizerte est sortie de l'anonymat à la faveur d'une information relatant l'endommagement de la caméra d'une équipe de journalistes venus à la découverte de ce qui était annoncé comme étant le premier khalifat, ou émirat salafiste de la Tunisie post révolte. En deux ans de «démocratie», l'Etat et ses institutions se sont lézardés, sinon sont atteint par la déliquescence ambiante. Ainsi, durant la nuit du 3 au 4 septembre 2012, trois policiers avaient intercepté une jeune femme et son fiancé abord d'une voiture à Ain Zaghouan, dans la banlieue Nord de Tunis, pas loin de Carthage. Lors de l'interpellation, tandis que l'un des agents menottait et maintenait son fiancé à l'écart, les deux autres flics, avaient violé la jeune fiancée.

Ainsi, les dérives ne connaissent plus de limites. Le samedi 12 janvier 2013, soit la veille du deuxième anniversaire de la révolte, le plus célèbre mausolée de Tunisie, Sidi Bou Saïd, situé dans la banlieue Nord de Tunis, a été incendié. Il y a eu la destruction de manuscrits précieux qui s'y trouvaient, dont un rédigé par Sidi Bou Saïd lui-même, traitant de sa tariqa soufie. Des Coran ont également été brûlés.

Il s'agissait d'ouvrages précieux car ils ont été calligraphiés par les plus proches disciples du ouali, Bou Saïd El-Béji, raïs leb'har, le maître des mers. Cette atteinte à l'âme et à la culture tunisienne, rappelle tristement, ce que subissent actuellement, les mausolées du nord du Mali, classés patrimoine de l'humanité. Plus grave encore, et fait rarissime en Tunisie, de tout temps. Moncef Marzouki, président de la république, Mustapha Ben Jaâfar, président de l'assemblée constituante, et Mohamed Ben Salem, militant nahdhaoui, entrepreneur, ministre de l'agriculture et représentant lors de ce voyage, le premier Hamadi Jébali, en congé, ont été chahutés, caillassés et contraints à fuir sous les hués et une avalanches de tomates et autres légumes, balancés par la foule en colère. Cela s'était passé le 17 décembre 2012, quand tous ces hauts responsables étaient venus participer au deuxième anniversaire de la mort par immolation de Mohamed Bouazizi, à Sidi Bouzid. Ce déchaînement de ressentiment, fut la réponse des citoyens de Sidi Bouzid, rappelant au président ses promesses de l'an dernier.

Il s'était alors engagé de ramener des investissements à Sidi Bouzid dans un délai de 6 mois. Monsieur Marzouki leur répliqua, ce 17 décembre, du haut de la tribune érigée devant le siège du gouvernorat, par cette diatribe déconnectée des problèmes réels, qui attendent urgemment, des réponses, dans cette région et ailleurs aussi:«Pour une fois, le gouvernement ne vole pas, mais il n'a pas une baguette magique». C'est vrai que ce gouvernement, avait organisé une kermesse pour montrer et vendre aux enchères les luxueux biens de la famille du président fuyard. Piochant sur la curiosité populaire pour faire du chiffre d'affaire, afin de renflouer une économie moribonde.

Les promoteurs de cette braderie avaient fait de la réclame télé, pour donner un avant goût du sensationnel, qui attend les visiteurs. Ils ont dévoilé les 39 voitures de luxe, les 300 bijoux de madame, des tapis de grande valeur, des tableaux ainsi que des téléviseurs et des ordinateurs, de la vente desquels, ils escomptent un rapport de 10 millions d'euros. Les initiateurs de cette foire, qui avaient tablé sur 500 000 visiteurs, ont fixé un droit d'entrée de 30 dinars tunisiens, l'équivalent de 2 100 dinars de nos dinars ! Soit 10,5% du Smic tunisien. Comme quoi, tout est bon pour ramasser de l'argent, révolte ou pas. A l'aube de l'an II de leur révolte, les tunisiens qui sans En-Nahdha, avaient chassé le potentat et sa régente, du palais de Carthage. Symbole d'un état policier, injuste, liberticide, népotique, clientéliste et corrompu.

Se retrouvent à subir l'idéologie des maîtres du moment. C'est à dire de la spéculation qui illusionne plus qu'elle n'apporte de réponses, à des problèmes du quotidien humain. La préoccupation centrale, car décisive pour l'avenir et pour la vie même des dirigeants et de leurs formations politiques, fut dès le 11 janvier 2011 : l'accès au pouvoir, le plus rapidement possible et ne plus le lâcher. Alors les promesses électorales sur les solutions au chômage, à la cherté de la vie et à l'absence de sécurité, c'est depuis lors, cours moi après que je t'attrape. L'idéologie avait consisté en l'accaparement du pouvoir par subterfuges, artifices et autres manipulations, en politisant la religion et en entretenant la confusion.

Les mosquées tunisiennes font du prosélytisme, et l'administration régionale dirigée par les nouveaux gouverneurs estampillés En-Nahdha, prépare la victoire du parti islamiste aux prochaines législatives, voire à l'avènement du futur état islamique. C'est l'historique idéologue patenté du mouvement, Rached Kheriji, alias Ghanouchi qui déclarait à des salafistes, sur une vidéo consultable sur le net, ceci: «Les laïques contrôlent encore l'économie, les médias et l'administration, l'armée et la police ne sont pas non plus garanties.» Maintenant on n'a pas une mosquée, on a le ministère des Affaires religieuses. On n'a pas une boutique, on a l'État. Donc, il faut attendre, ça n'est qu'une question de temps. Aujourd'hui vous, les frères salafistes, vous avez le contrôle des mosquées.       Celui qui veut créer une radio, une télé, une école coranique qu'il le fasse. Mais pourquoi êtes-vous pressés ? Il faut être patient».

Croyez-vous qu'il n'y aura pas de retour possible en arrière? C'est ce que nous avions cru vivre en Algérie dans les années 90, mais notre jugement était erroné: les mosquées sont retombées dans les mains de laïcs et les islamistes ont été de nouveau persécutés.

La régression des islamistes en Algérie, est une preuve, alors même que le camp laïc y était moins fort qu'en Tunisie et que les islamistes y étaient plus puissants». En conclusion, a révolte du 14 janvier 2011, exemplaire en son genre dans tout le monde arabophone, et par le reste du monde applaudie, qui augurait des libertés, s'enlise malheureusement dans les dangereux méandres, d'une archaïque idéologie.

Souhaitons lui, que le dédale soit le plus court possible. Les tunisiennes et les tunisiens sont capables de sortir du labyrinthe, pour y enfermer le minotaure. Cette idéologie des maîtres.