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Une bonne analyse ne prémunit pas contre de piètres résultats

par Abed Charef

La crise malienne s'est brusquement accélérée cette semaine, avec le raid du mouvement Ansar Eddine vers le sud, l'intervention française et la décision algérienne d'autoriser le survol de son territoire par l'aviation française.

L'Algérie, qui avait adopté une position très forte, a progressivement perdu la main.

Six erreurs y ont contribué.

Comme dans la crise libyenne, l'Algérie a fait, au début de l'affaire malienne, une analyse aussi solide qu'argumentée. Elle a proposé une démarche cohérente, elle l'a défendue bec et ongles, elle s'y est accrochée contre vents et marées, et elle a réussi à convaincre une partie des partenaires régionaux et internationaux de la justesse de son point de vue. C'est ce qu'on a appelé une « solution politique », basée sur le respect de l'intégrité territoriale du Mali, le dialogue, la négociation, en vue de prendre en charge certaines revendications légitimes des mouvements rebelles. La démarche a été accueillie avec scepticisme dans un premier temps, mais elle a fait a fait du chemin, et de hauts responsables américains en ont finalement validé le contenu. La France, quant à elle, s'est trouvée contrainte de s'y résoudre, à défaut d'avoir d'autres alternatives plus crédibles.

Pour l'Algérie, il s'agissait aussi d'éviter la guerre, et d'épargner à la région un nouveau foyer de tension. D'autant plus que personne ne peut prévoir comment le conflit pouvait évoluer, et que l'Algérie aurait forcément à en subir les frais, quel qu'en soit le résultat. En cas de guerre, il était évident qu'elle se trouverait en première ligne, à apporter l'aide humanitaire, à panser les plaies, à renouer le fil du dialogue, à reconstruire les institutions du Mali, à financer le développement, etc. Les pays occidentaux, quant à eux, annonceraient des décisions spectaculaires destinées à calmer leur opinion publique quand les projecteurs seraient braqués sur la région, mais ils oublieraient vite, quand le conflit serait terminé. Mais comme dans l'affaire libyenne, la position algérienne s'est progressivement détériorée, pour se trouver dépassée, et évoluer vers quelque chose d'inattendu. De cette guerre, de ses drames et de ses conséquences pour toute la région, l'opinion risque en effet de retenir d'abord que des avions militaires français, en mission de guerre, ont survolé l'espace aérien de l'Algérie, pour la première fois depuis un demi-siècle. Ce symbole, très fort, pèsera lourdement sur l'Algérie, pour longtemps.

Comment en est-on arrivé à dilapider les acquis d'une bonne analyse, et à perdre le bénéfice d'une excellente démarche ? Six erreurs ont conduit à cet échec algérien au Mali.

L'Algérie n'a pas tenu compte du facteur temps. Sa démarche nécessitait visiblement de longs mois, voire des années, pour donner des résultats probants. Dans cet intervalle, n'importe quelle force était susceptible de faire capoter la démarche. Il a suffi d'une offensive du mouvement Ansar Eddine vers le sud pour bousculer tout l'écheveau et créer une succession d'évènements qui ont détruit ce beau montage. En outre, pendant que des négociations, laborieuses, étaient entamées, les mouvements djihadistes présents au nord du Mali, AQMI et MUJAO, avaient tout le loisir de fortifier leurs positions, de recruter, de se constituer des stocks et, au bout du compte, de se constituer un fief imprenable.

L'Algérie a mis tous ses œufs dans un même panier. Elle a joué à fond la carte du mouvement Ansar Eddine, l'imposant comme acteur incontournable dans toute solution à la crise malienne.

Elle lui a donné sa caution, le présentant comme un mouvement politique différent d'AQMI et du MUJAO. Malgré les mises en garde et les doutes qui commençaient à apparaitre sur l'orientation de ce mouvement et de son chef présume, Iyad Ag Ghali, l'Algérie a continué à traiter avec lui, jusqu'au jour où il est devenu évident que l'homme avait un agenda totalement différent ce que soutenaient les responsables algériens qui géraient le dossier.

Mais quand cette évidence s'est imposée, l'Algérie s'est retrouvée les mains vides. Elle a haussé le ton pour le rappeler à l'ordre, et lui imputer la responsabilité de ce qui pouvait arriver, mais cela n'a donné aucun résultat : l'Algérie n'avait pas d'alternative viable.

Ces responsables algériens ont continué à traiter avec Ansar Eddine comme s'il s'agissait d'un mouvement touareg, alors qu'il avait fait sa mutation pour devenir un mouvement djihadiste. Son insistance sur la charia, le peu de place qu'il accordait aux revendications traditionnelles des Touareg, et surtout, les liens avérés qu'il entretenait avec AQMI et le MUJAO, montraient clairement que quelque chose avait changé chez Iyad Ghali. De plus, à chaque déclaration d'un dirigeant d'Ansar Eddine allant dans le sens de l'apaisement, répondait un autre dirigeant du même mouvement rejetant ce choix et réaffirmant une ligne radicale. Il y avait là de quoi se poser des questions sur la réalité de ce mouvement, qui comprend apparemment trois courants, mais qui vient d'être emporté dans une spirale radicale qui a mené à l'intervention française au Mali.

Cette manière de gérer un dossier révèle, à son tour, une méthode figée, incapable de s'adapter. C'est typique de la gestion bureaucratique la plus éprouvée : un chef arrête une décision, il donne instruction aux subordonnés, qui tentent de l'appliquer sans tenir compte de l'évolution de la situation, ou de l'apparition de nouveaux éléments. Jusqu'à ce que la démarche définie devienne caduque, inopérante, totalement contre-productive.

Autre point faible : l'Algérie n'a pas de politique envers le Sahel ; elle n'a pas une démarche visant à briser ce cercle vicieux, à lancer des initiatives multiples et cohérentes pour imposer des solutions qui lui soient favorables. Elle se contente de subir les coups, de tenter de les amortir ou d'en atténuer les effets, mais elle n'arrive pas à les anticiper, ni à définir une grande politique pour imposer ses choix. La crise libyenne a révélé cette cruelle vérité : l'Algérie avait été tétanisée, sous la pression externe, mais aussi sous la pression interne, de peur de voir la contestation s'étendre à l'Algérie.

Dernier point, peut-être le plus contestable, et c'est celui qui est le plus souvent cité au sein de l'opposition et dans les critiques : la crainte que l'attitude adoptée dans cette crise malienne ne serve des objectifs internes, entre autres un quatrième mandat au profit de Mr Abdelaziz Bouteflika.

Dans les réseaux sociaux et chez les contestataires de tous bords, ce point constitue, avec l'autorisation accordée aux avions français pour survoler l'Algérie, le premier facteur de mécontentement.