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Il était une fois?. Alger !

par Belkacem AHCENE-DJABALLAH

L'Algérie peine à s'illustrer dans les palmarès mondiaux. Selon l'enquête internationale Mercer 2012 sur la qualité de la vie, publiée mardi 4 décembre 2012, si Vienne est toujours la ville qui offre la meilleure qualité de vie, Alger n'est pas une ville où il fait bon vivre. Elle perd même une place par rapport à l'année 2011 et se retrouve épinglée en queue de classement à la 179e place sur 221 villes à travers le monde. Selon l'étude Mercer, Alger dépasse de peu La Havane classée 184e, Téhéran (188e) et Tripoli (196e). En revanche, elle est derrière Beyrouth (171e), le Caire (141e), Casablanca (122e), Rabat (114e) et Tunis (109e). Mais, pourquoi donc ? Quelques éléments de réponse ! En attendant la réalisation du plan d'aménagement du wali Addou? tout en priant que cela ne soit pas une autre « affaire » de ligne bleue (destinée au co-voiturage, affirmait-on) des routes à grande vitesse de la côte Ouest d'Alger

Alger, quand la ville dort. Récits de Kaouther Adimi, Chawki Amari, Habib Ayoub, Hajar Bali, Kamel Daoud, Ali Malek, Nasser Medjkane, Sid Ahmed Semiane. Editions Barzakh, Alger 2010. 168 pages, 750 dinars

Huit auteurs : Kamel Daoud, Habib Ayoub, Kaouther Adimi, Chawki Amari, Hajar Bali, Nacer Medjkane (photos), Ali Malek , Sid Ali Semiane (photos et texte ) , chacun à sa manière ou, plutôt, chacun avec un «angle d'attaque» (jargon journalistique) qui lui est propre, s'attachant , à travers une ou plusieurs histoires s'enchevêtrant , à «décrire» une « ville dans la nuit» (on se souvient de «Asphalt jungle»?le fameux film de John Huston)? une ville qui n'a rien d'une Capitale d'un pays «émergent», fortuné et méditerranéen , ouvert sur la vie et l'espoir d'un lendemain meilleur : Alger-triste, Alger -solitaire , Alger-misérable, Alger ?monotone, Alger-lugubre, Alger-violente, Alger sale, Alger ?folle, Alger-sauvage, Alger ?meurtrière, Alger-vautour ?Ville- traîtresse, ville ?fourbe, livrée aux putes, aux maquereaux (- elles) et aux dealers, livrée aux bars et aux salles de jeux clandestines, destinés aux paumés, livrée aux nouveaux «beaucoup flouss » (et/ou à leurs fistons chéris) qui confondent, avec arrogance, possession d'argent («arrivé» souvent bien facilement) et «pouvoir»? Des «saigneurs» . Peu de sourires et encore moins de rires. Peu de scènes cocasses, mais surtout des drames. Tragi-comédie de la vie ? Drames ordinaires ? Oh, que non ! La tragédie de la vie avec des vies banales, frisant (et souvent vivant) le tragique, pour sûr !

Entre le réalisme cru et le surréalisme, leurs plumes balancent. Des textes d'une rare « dureté »?avec le regard d' « observateurs sociaux » qui ont su transcrire la misère, le désespoir, la solitude, et la violence des gens de la nuit algéroise. Elles sont vraiment loin, très loin, les « folles nuits d'Alger » des années 60 et 70 avec , malgré tous les dépassements, une certaine joie de vivre .

Aujourd'hui, la jouissance sans limites, au moment où les « honnêtes gens » dorment? tranquillement dans les bras de « bobonne ». Alger 2000? Brr! froid dans le dos.

Avis : A lire pour le grand, l'immense plaisir de (re-) découvrir la « littérature djadida », celle du mal-être, « engagée » sans tabous ni garde-fous. Et, quel style. Mais, attention à la déprime !

Phrases à méditer : «Il n'y a rien de blanc dans cette ville, le drap d'une pute n'est jamais blanc » (p.17), « Tout est si loin quand on est si petit » (p.73), « Clint Eastwood a raison : il y a ceux qui ont un pistolet chargé et ceux qui creusent. Je crois que moi, je creuse, et que c'est cette ville de malheur qui est armée » (p.147) et « La police ne protège pas du crime. Quand sa présence est démesurée, elle le crée en créant des coupables » (p 153)

ALGER. 32 SIECLES D'HISTOIRE. Un livre d'histoire de Hocine Mezali (avec une préface de Hassen Bendif). ENAG Editions, Alger 2006 . 292 pages, 375 dinars.

L'auteur n'est ni historien, ni chercheur universitaire? mais tout simplement un chercheur de vérités? en l'occurrence un journaliste qui s'est frotté , durant des décennies, à tous les problèmes vécus par le pays et les citoyens. C'est un des plus grands (anciens) reporters algériens, donc (encore) curieux de tout. Il ne s'est d'ailleurs pas contenté de ?journaliser?, côtoyant les encore plus grands... des grands que le préfacier cite : merci, car on a tendance , beaucoup, dans ce pays, à oublier ceux qui nous ont précédés. Il a coécrit, avec Yacef Saadi, ?La Bataille d'Alger? et un roman ? que j'avais alors trouvé super : ?Un algérien ami d'Al Capone?, mais publié seulement en feuilleton dans Le Soir d'Algérie, « basé sur des faits réel ». Il ne fut jamais édité comme promis. Dommage! Les voies de la non-édition sont impénétrables.

Ce qui est absolument certain, c'est que l'auteur est littéralement « possédé » par Alger ? berceau de ses ancêtres et de son enfance - et son Histoire, de toutes ses histoires. Il a certainement voulu non pas seulement redorer son blason de ville, aujourd'hui totalement défigurée et polluée, ville-dortoir, ville ?poubelle, ville violée, ville volée, mais surtout la re-situer à sa juste et noble place. 12 siècles de liberté puis des occupations qui se succèdent: Romains, Byzantins, Vandales, Arabes, Turcs, Français: Alger l'Amazighe, la Berbère, a tout connu comme invasions? mais a, en plus de trois millénaires et avec sept noms consécutifs, tout produit comme résistances.

Cependant, remettre les pendules de l'Histoire à l'heure, pour un non-historien de formation, n'est pas chose aisée tant l'affect prend souvent le dessus. Le journaliste, n'arrivant pas à se retenir, ?glisse? souvent en ?hors-sujet? rendant la lecture un peu fastidieuse avec des longueurs inutiles? avec une « dent » bien acérée à l'encontre de l'invasion rurale de 62, du 19 juin 65 (« un coup d'Etat »)? et de tout ce qui est turc. Il est vrai que ces derniers et leurs représentants ont régné « sabre au clair », et « sans pitié » pour leurs compères et pour leurs frères de religion. Journalisme de la vieille époque, quand tu nous tiens !

Avis: Près de 300 pages bien remplies pour un grand reportage historique, ça ne facilite pas la lecture, mais ça vaut le détour et ça vous changera de l'Histoire scientifique et des ouvrages trop académiques qui alignent des « vérités » austères et sans âme (mais absolument nécessaires). Les vérités de l'Histoire-militante de Hocine Mezali, qui a travaillé sur le sujet durant des années et des années (une trentaine, dit-il) , sont « vivantes » , même celles qui datent de 32 siècles.

Raconte-moi ta ville : Essai sur l'appropriation culturelle de la ville d'Alger? Un ouvrage collectif rédigé par des chercheurs universitaires au CREAD, sous la direction de Fatma Oussedik. Enag Editions, Alger 2008. 300 pages. ???dinars

Un livre qui a du style, de la vie, de l'âme et même de la poésie avec une « déclaration d'amour » de Rachid Sidi Boumedine. Une oeuvre ?un roman scientifiquement mené ou une oeuvre scientifique à la rythmique d'un roman - qui va au fond des pratiques culturelles en ville, qui évite la nostalgie et qui dénonce le laisser-faire. Pour les « vieux » et les nostalgiques des années 60-70 , un texte sur la peinture et les lieux de l'art (ce qui en reste!) et un autre sur l'artisanat (ce qui en reste!). Pour les plus jeunes, des textes sur Ktibet el Hiout (Tag), et sur le Rap, etc...

Avis : A lire absolument! Pour tous les « rurbains » que nous sommes encore, on saura alors si Alger est une cité (décadente), ou une ville (provinciale et secondaire) ou une métropole (exerçant une attraction à l'échelle de la région). Bien qu'il soit regrettable de voir « passer » dans une indifférence certaine, des oeuvres de recherche de premier plan. Il est vrai que les scientifiques n'ont pas la réputation de « bien communiquer » , les journalistes ne sont pas attirés par des œuvres en apparence austères, et les éditeurs sont trop « radins » pour faire la « pub » qu'il faut à leur production, attendant les Sila et autres salons et se contentant des ventes-dédicaces.

Phrase à méditer : « La situation de faible attractivité de l'Algérie et d'Alger, si on exclut le caractère de marché pour tout et n'importe quoi, est manifeste. Cette situation s'accompagne d'une détérioration des espaces de vie culturelle à Alger. Régulièrement, les élites culturelles quittent le pays et produisent ailleurs » (p.7).