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Quand l'échec devient banal

par Abed Charef

Ces années qui se suivent vont-elles se ressembler ? Si c'est le cas, 2013 risque d'être bien triste.

Sur le terrain économique, 2012 a été une année à blanc en Algérie. Un ratage évident. 2.6% de croissance, et une inflation autour de dix pour cent. Pourtant, le pays avait de quoi inverser ces deux chiffres. Il était possible de réaliser une croissance de 10%, et de contenir l'inflation autour de de 2.%.

Mais à côté de ces résultats très faibles, on a beaucoup parlé économie dans le pays en 2012, sans pour autant avancer d'un pouce, ni dans le débat, ni dans la pratique économique. Experts, banquiers, spécialistes de tous acabits, représentants du FMI et de partenaires de l'Algérie, tout le monde y est allé de son analyse et de ses conseils. Les mêmes thèmes ont été rabâchés : le financement de l'économie, le foncier, la règle du 51/49, le rôle des banques, l'aide de l'Etat aux entreprises, l'investissement national et étranger, le partenariat, les subventions, etc.

Pour quel résultat ? Très peu de choses, en réalité. Le patronat a obtenu tout ce qu'il voulait, avec de nouvelles aides, dont certaines sont de simples transferts d'argent ; l'UGTA a applaudi, mais peut-elle faire autrement, elle qui est devenue une simple excroissance du pouvoir? Les importations se sont maintenues à des niveaux record, malgré de bons résultats de l'agriculture ; et, pour clore l'année, le contrat conclu avec Renault, par lequel l'Algérie s'interdit de fabriquer des voitures autres que celles du constructeur français pendant une décennie. L'année 2012 a toutefois marqué deux points de rupture sur le terrain économique. D'une part, un consensus se dégage, pour dire que l'Algérie a atteint son pic d'exportation d'hydrocarbures. Dans les milieux spécialisés, on admet désormais que l'Algérie ne peut plus exporter, sans risque, davantage d'hydrocarbures, sous la double contrainte du déclin de certains gisements, et de l'explosion de la consommation interne, encouragée notamment par un modèle de consommation énergivore et très gaspilleur.

D'autre part, l'économie algérienne a atteint un plafond d'importations qu'il serait suicidaire de dépasser sans un développement significatif de l'appareil de production. A 50 milliards de dollars de marchandises importées, " il y a déjà 20% de gaspillages et de surcoûts ", nous disait récemment un économiste. " Au-delà, on sera dans la gabegie et le vol pur ".

Sur le plan politique, c'est également la stagnation. Le pays a organisé deux élections, mais n'a pas évolué. Bien au contraire, il a dévalorisé davantage l'acte de voter, comme il détruit la crédibilité des partis, en en agréant une quarantaine après avoir refusé toute création de nouveau parti pendant une décennie.

Le fonctionnement des institutions ne s'est pas amélioré non plus. Nombre d'entre elles n'ont pu échapper à ce jeu de massacre. Scandales entourant ministères, grandes entreprises d'Etat et, pour couronner le tout, la présidence de la république, ont consacré la suspicion comme réaction naturelle de l'Algérien envers l'Etat et ses symboles. Résultat évident de cette évolution, le décalage entre le citoyen et le pouvoir n'a jamais été aussi important, et l'Algérie, qui a apparemment tous les atouts pour réussir, se trouve paradoxalement désarmée face à la crise, car elle a perdu les deux armes principales qui permettent à un pays de se relever : les valeurs autour desquelles se mobiliser, et les institutions susceptibles de fédérer les énergies disponibles. Est-il possible de changer le cours des choses en 2013 pour orienter l'Algérie vers d'autres rivages, plus souriants? A priori, oui. Il suffirait de changer quelques dirigeants parmi les plus contestés, de prendre certaines décisions, pour que celles-ci produisent, mécaniquement, des résultats susceptibles de bouleverser l'ordre des choses. Ensuite, le peuple se mobilisera, et réalisera la prophétie de Ben M'Hidi, selon laquelle il suffit de mettre la révolution dans la rue.

Mais voilà : cette vision est celle de la révolution menée à travers les réseaux sociaux, avec un clavier qui remplacerait l'action politique. C'est la révolution menée à partir d'un bureau, ou, encore mieux, à partir de chez soi, avec l'illusion de pouvoir contrer les lobbies, les réseaux, les appareils politiques et sécuritaires, les pesanteurs de la société, la déliquescence institutionnelle, le délitement des valeurs et l'effritement de la société. C'est le mythe d'une révolution propre, menée sans armes et sans violence particulière, menée par des e-Ghandi. C'est une illusion.

Il suffit d'aller dans un quartier de la périphérie d'Alger, de Constantine ou de n'importe quelle ville d'Algérie, pour se rendre compte que l'Algérie est en train de prendre une autre orientation.

Le pays est en train de digérer, progressivement, l'hypothèse la plus glauque, celle d'un quatrième mandat du président Abdelaziz Bouteflika. Après avoir été éliminée par le printemps arabe, et tout ce qui est arrivé aux dirigeants éternels et héréditaires, comme les Kadhafi, Moubarak et El-Assad, l'idée du quatrième mandat a été ressuscitée, remise au goût du jour, elle a fait du chemin, et elle commence à devenir envisageable, voie possible, pour devenir probable dans quelques semaines, et finir par être considérée comme la plus plausible. Ce n'est pas la pensée la plus réconfortante pour aborder 2013. Pourtant, force est de reconnaitre cette réalité : à moins d'une évolution spectaculaire, le quatrième mandat apparait comme le résultat le plus logique de la stagnation actuelle.

Et dire qu'il y a cinq ans déjà, le troisième mandat apparaissait déjà comme le mandat de trop.