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Condamnés à être côte à côte

par El Yazid Dib

Seule une eau méditerranéenne sépare les deux rives. Seule une histoire commune, peu houleuse unit les deux peuples. Seul un intérêt réciproque anime les deux Etas.

De par ceux-ci, ils sont condamnés à être au moins géographiquement côte à côte.

«Une contribution effective au partenariat d'exception», que les deux pays se sont engagés à bâtir ensemble. C'est sous ce signe révélateur que se distingue la visite « tout d'abord politique » du président français en Algérie.

Les deux gouvernements, selon plusieurs accords ont affirmé, dans le contexte d'un monde en mouvement et des défis de la mondialisation, leur volonté de développer un partenariat d'exception fondé sur des intérêts mutuels, la proximité géographique et les liens étroits nourris d'une histoire commune et d'une mémoire qu'il leur revient de partager. En dehors de points de fixation relevant presque de tabous ; les relations réciproque ont de tout temps été empreints tantôt de brouillard, tantôt d'amourettes déçues et retrouvées. Si l'Algérie est stable sur ses positions, l'autre partie est sujettes à l'humeur politique d'entres les deux bords partisans.

LA CIRCULATION DES PERSONNES : LE POINT DE L'EMBARRAS

Des déclarations des deux présidents algérien et français, il ressort que «la coopération humaine et la circulation des personnes» constitue «un domaine sensible» (1). Depuis cette date « la sensibilité » aurait pris un autre sens. Les affaires. Les relations algéro-françaises ont commencé en 1830 par une conquête. En 2012 elles se poursuivent par une autre quête. Cette dernière est multiforme. Allant de l'appel du pouvoir aux investisseurs français, le boudant durant la décennie noire, ceux-ci cette fois-ci s'empressent de le conquérir sur un autre plan où à une certaine époque, certains s'abstenaient de le quitter en 1962.      C'est ainsi que l'histoire n'est qu'une somme de dates. Une chronologie, tout le temps empreinte de guerre, d'injustice et de tourmente. Rarement de liesse et de fiesta. L'Algérien à l'époque circulait sans papiers. Du moins muni d'une simple carte d'identité nationale. Son identité n'était pas algérienne mais française. Voire il fut un Français d'Algérie. C'est un peu ça que tentait de glorifier la loi scandaleuse du 23 février, tant décriée. La colonisation civilisatrice... Les temps ont changé, le monde aussi. L'Algérie et l'Algérien de même. Une indépendance dites-vous ? Il est vrai que des chaînes interminables sont formées le long des haies installées devant les représentations consulaires françaises sises en Algérie. C'est une autre forme de dépendance. Il est vrai aussi qu'en plus du simple désir de partir, il y a également la contrainte de partir. La preuve, que nul n'est indépendant. Les demandeurs à ce voyage sont différents.       Leur motif l'est aussi. Du trabendiste, affairiste, spécialiste du «cabas» qui eut le loisir de choisir sa destination selon les mailles du contrôle frontalier, tergiversant entre Istanbul et Damas, laisse tomber Marseille et la banlieue lyonnaise au visiteur familial obligé par «silat errahim» ou solliciteur de soins médicaux, jusqu'à l'innocent curieux; le demandeur de visa demeure astreint à un véritable parcours du combattant.    Parfois mortifiant, toujours pénible et souvent décevant. Autant les formalités empruntent des voies difficiles et lentes, autant la procédure d'octroi de ce fameux visa reste bureaucratique. Même au pays de la libre circulation des personnes et des biens, il y a des personnes libres à circuler et d'autres moins que ceux-là. Au principe de la souveraineté des Etats, il n'y a pas à commenter la décision gouvernementale française tendant à la délivrance de ces visas et le système procédurier sélectif y afférent. Le passage par Nantes fut un certain temps considéré par le pouvoir politique algérien comme une inélégance diplomatique, voire une indignité pour le citoyen demandeur. Depuis 1999 la chose a changé dans la navette de Nantes. Un concitoyen n'avait pas à transiter par cette ville pour voir son dossier atterrir à Alger. Bouteflika l'avait déclaré, promis et obtenu.       A vrai dire, pour quel motif réel l'Algérien sollicite-t-il un visa d'entrée et de séjour en France ? L'ambassadeur de France pourrait bien y répondre un jour à l'appui de statistiques documentaires fiables. Le dossier fourni à l'effet d'obtenir un visa est plus charnu et consistant que celui à fournir pour travailler même au sein de nos services ayant un caractère de souveraineté nationale ! Les indications précises et corroborées par preuves font que la France sans concours de ses services spécialisés dispose d'innombrables renseignements sur tous les prétendants à un séjour en territoire français.

Soit une tranche importante de la population nationale. Variée et diversifiée. Du cadre à l'industriel, passant par l'étudiant au chômeur et hittiste. Tous servent et cochent la centaine de cases que constitue le formulaire de demande de visa de séjour/transit. Tout y est décortiqué et détaillé. Un achat de véhicule ou d'autres achats peuvent être un motif d'octroi de visa. Par contre, il est exigé un document pour chaque autre motif de voyage: les visites professionnelles, familiales, les soins médicaux ou la poursuite d'études.           En plus, la chancellerie installée en Algérie n'aurait pas besoin d'affectation de crédits de fonctionnement puisque ; les frais de visa lui suffisent largement à en venir à point. Les frais payés sur place et joints aux demandes sont immédiatement encaissés que le visa se délivre ou non. Ceci peut constituer en vertu d'une logique financière une forfaiture diplomatique.         Une saisie de deniers de citoyens. Il serait plus judicieux et légitime de n'exiger le paiement qu'en cas d'obtention de visa. Le mal serait un peu amorti. De la sorte, l'on constate qu'en France, dans ses consulats, même un refus est payable ! L'apposition du timbre de visa entraîne certes, au moins des frais d'imprimerie et d'enregistrement. Le trésorier de France, insoumis à tout impôt local et non assujetti aux frais de son visa, fait vivre toute sa communauté en Algérie par le déboursement des Algériens demandeurs de visa. A voir ainsi le nombre de demandes satisfaites ou non, le chiffre d'affaires de l'entreprise consulaire serait certainement faramineux. Un budget d'Etat.

Loin de vouloir discuter l'aspect souverain de telles procédures, néanmoins la lecture analytique faite à ce sujet démontre la haute précaution qu'affiche l'autorité française ou parfois l'excès de zèle consulaire dans l'application des dites procédures. Le refus de visa n'étant pas objet à motiver, l'obtention devient une faveur motivée. La procédure en question laisse supposer qu'un octroi de visa équivaut à un risque majeur de migration clandestine, de pose de bombe ou... Tellement prise entre le souci de paraître juste et républicaine et la préoccupation sécuritaire et migratoire ; la décision d'octroi ou de refus de visa semble bien obéir à d'autres critères indéfinis. L'on ne s'installe pas ailleurs quand la vie contre vents en marrées, vous la sentez belle en votre pays. Le traitement informatique des sollicitations n'aurait pas à découdre la logique formelle instaurée par le pouvoir français. Le strict respect des délais, de la procédure et de la constitution du dossier n'entraîne pas automatiquement la délivrance de l'OK. Encore que l'administration consulaire n'a pas l'obligation de motiver le refus. Elle aurait au moins le sens républicain et responsable de pouvoir dire non en face et pourquoi. Ceci évitera bien entendu toute autre supputation ou sentiment de francophobie. Refuser, le dire et le justifier relève de la responsabilité de l'Etat.           Sinon ce sera le fait d'un fonctionnaire en mal d'autorité ou un aigri de l'histoire. C'est ainsi que la France, terre d'asile et de Robespierre, perdrait de sa crédibilité de grand Etat de Droit. Les parois de cet Etat s'égratignent justement au commencement du contact avec ses consulats. Heureusement que le temps sait faire les choses. L'on signale après chaque départ d'ambassadeurs ou de consuls de nettes améliorations.

Pour la France, le dilemme des visas serait un problème d'installation de population, de hantise d'établissement en France, de fléau social, de sécurité et... d'histoire.      L'immigration clandestine comme le terrorisme, la pauvreté, la drogue reste une conséquence d'une politique aux contours endo et exogènes. Un contrat et des conventions ont fait le cours de l'histoire, les binationaux de France et leurs progénitures d'origine non française feront progressivement et dans le long terme une autre France que celle exclusivement des Francs et des Gaulois.

Le visa pour les Algériens aurait à créditer le privilège du partenaire le plus favorisé (ayant été défavorisé 132 ans) à se moudre dans les interstices d'un protocole d'accord consulaire bilatéral accordant la fluidité et les garanties réciproques. Notamment aux étudiants.  Aux gens âgés. A cet effet, la déclaration d'Alger était venue quelque peu tempérer la rigueur par laquelle se géraient «la coopération humaine et la circulation des personnes» entre les deux pays qualifiées d'ailleurs comme un «domaine sensible». Qu'en est-il, ce jour d'une probable déclaration de Tlemcen ?

LES AFFAIRES : UN BON CENTRE D'INTERETS

Le ministre algérien des affaires étrangères a souligné que la France «est déjà le premier fournisseur de l'Algérie et ses investissements sont en mesure de favoriser la création d'emplois et d'accompagner notre développement économique et social». Il a également indiqué que celle-ci a toujours encouragé le partenaire français à se positionner par rapport au marché algérien en décidant de s'y implanter davantage.

M. Medelci a déclaré, dans le même cadre, «nous avons veillé à réunir les conditions pour attirer l'investissement étranger, et nous comptons sur l'engagement et le dynamisme des entreprises françaises pour renforcer leur présence dans notre pays»

En 2010, l'espoir de tous les acteurs du partenariat algéro-français, des deux bords s'était trouvé raffermi par l'annonce faite sur la visite à Paris du président Bouteflika courant premier semestre où le PPI (protocole de promotion à l'investissement) initié en 2007 ; serait au menu avec le président Sarkozy.

Plusieurs émissaires français sillonnaient l'Algérie, dans le cadre de négociations après un long mutisme et presque une mise à l'écart. L'histoire rattrape tout un chacun dans son giron.

Il n'est plus question maintenant d'accord de cesser le feu, encore loin d'une négociation sur la paix des braves. L'heure est aux affaires. Au business. Là l'histoire ou le passé s'estompe un moment pour prendre l'apanage de l'intérêt économique. Le profit étant une notion naturelle arrive, somme toute à rompre tous les obstacles qu'aurait édifiés injustement une politique de conquête.

La conquête en ce temps présent est dans le marché. Au sein de l'esprit de l'entreprise. Voire dans ses entrailles. Mise à part une certaine froideur gisant dans la relation bilatérale d'ordre économique et commercial, qui aurait formé le canevas général des discutions ; celles-ci avaient eu lieu tout de même studieusement avec tout un panel réuni pour la circonstance ; à l'initiative de la chambre de commerce et composé essentiellement d'opérateurs économiques, d'industriels et d'hommes d'affaires locaux.

Ce furent sans aucun doute, les dispositions de la loi de finances complémentaire 2009 qui auraient mis en branle l'ensemble des acteurs d'outre mer. Les mesures ainsi prises par les pouvoirs publics algériens visaient selon les initiateurs à atteindre un objectif de rationalisation de la ressource nationale. Diversement appréciées, elles avaient fait couler beaucoup d'encre entre les différents avis. Le pays ne doit plus être perçu, disaient-ils comme un espace grégaire de consommation du made in ailleurs. Loin d'un protectionnisme sec et classique, l'Algérie avait voulu par ce chapelet législatif réduire le taux du mouvement à l'importation et assurer par ailleurs une certaine rentabilité efficiente dans l'ouverture de son marché.

Il y était aussi question de freiner le transfert de devises et d'éviter la constitution illégale d'avoirs à l'étranger que permettait le paiement libre. Certains, diront qu'il s'agissait là d'un « patriotisme économique ». Le même slogan est repris en ces jours par certains ténors à l'hexagone à propos de Gérard Depardieu et son exil fiscal. La suppression des crédits à la consommation alors, l'interdiction à l'importation d'engins de travaux publics usagés même rénovés sous garantie, la conteneurisation des marchandises et la consécration du crédit documentaire comme unique et exclusif moyen de paiements dans le flux financier international, seront en fait le noyau axial autour duquel gravitaient toutes les formulations, interpellations ou allocutions. De part et d'autre.

Le collectif national algérien posait alors en termes directs ses appréhensions quant à « l'effort timide » du partenaire économique français se limitant dans une entièreté quasi exclusive de prestataire de service ; à afficher par des actions concrètes sa ferme volonté d'investir davantage les multiples créneaux mutuellement avantageux.

Du tourisme et son développement local à l'hôtellerie et ses appuis infrastructurels ; au bâtiment et travaux publics, passant par l'industrie culturelle que peuvent constituer les mini séjours linguistiques, les débats étaient d'une richesse franche et loyale. Seulement l'on sentait que, le représentant diplomatique par ricochet tentait résolument d'esquisser une autre voie de compréhension et susciter la curiosité de l'audience à voir ailleurs que dans la partie entreprenariale française, l'éventualité d'une issue.

Quant au chargé des affaires économiques à l'ambassade de France de l'époque (2009) dans la peau d'un expert invétéré, il était plus aisé pour lui de dresser, chiffres à l'appui les mérites des 430 entreprises françaises (450 en 2011) et leurs filiales opérant sur le sol algérien. Une désolation sonnante cependant se laissera, sans résistance ; se dire lorsqu'il affirme « c'est un peu dommage pour la suppression du crédit à la consommation ». Le conseiller de l'ambassadeur tenait à faire remarquer face à une série du « pourquoi la France n'investit-elle que dans le service, à la limite dans la revente en l'état ? » ; qu'une industrie automobile nécessiterait un sous bassement de sous traitance incontestable entre équipementiers et autres. Il dira fraîchement « fabriquer des voitures est notre vœu ». Si ce n'est, aurions nous compris ; ce déficit à constater dans les secteurs secondaires et d'appui à même de soutenir l'industrie automobile.

Dans l'attente de cette supra-infrastructure, le souci actuel de la France commerciale, est de « développer une offre et un service » par la vente de véhicules écologiques et sécuritaires. Pour la présence réelle, il avait cité Lafarge, Saint Gobain. Là, l'expert, dans la conférence de presse tenue à l'époque, avait posé une question lancinante : savez-vous quel est le second exportateur national après Sonatrach ? Balbutiement? tergiversation? hésitation? il rompra le silence : c'est Michelin!? À vérifier.

REGARDONS L'AVENIR : LES PEUPLES DE DEMAIN

Ainsi plus que tout autre sujet, les questions économiques seront au cœur de ce voyage.

François Hollande veut établir une coopération économique durable entre les deux pays. Bouteflika aussi. Une quinzaine d'accords devraient être signés, suivis d'une feuille de route précise et qui engage dans le temps.

François Hollande fraichement installé ne veut pas d'un voyage sans lendemain. Il devra comme pour plaire à ses détracteurs au moins arracher quelques bons de commande. Ceux-ci ne peuvent facilement être octroyés que si des « avantages » sont garantis en contrepartie. D'innombrables dossiers lient les deux pays.

Le processus de la refondation de la relation d'ensemble entre l'Algérie et la France tient pour objectif «l'instauration de rapports privilégiés et un partenariat d'exception». « L'Algérie est favorable à une réaction forte et dynamique avec la France» a fait savoir le président algérien, Abdelaziz Bouteflika, «l'intensification du dialogue politique, pour définir l'orientation de la stratégie de coopération que nous ambitionnons de développer pour le long terme entre les deux pays» continue-il tout confiant et serein. Car il y a va de l?avenir des peuples, dans ce « long terme » appelés non seulement à être côte à côte, mais vivre ensemble. Dans la paix et la quiétude.

1-Déclaration d'Alger, Alger le 2 mars 2003, signée conjointement par les deux présidents, algérien et français.