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L'élection américaine et le congrès chinois

par Abdelkader Leklek

Tous les superlatifs sont sortis pour commenter les élections présidentielles américaines. Evènement planétaire, d'un côté, étape décisive pour la situation internationale, économique, monétaire, sécuritaire, et d'équilibre de forces, etc.

de l'autre. Ce festival de remue-méninges se déroule sur tous les supports médiatiques à spectre universel ou bien domestique. Les commentaires, les talk-show, les think tank, les analyses, les spécialistes et les dilettantes, sont appelés à la rescousse. Ceux qui parlent le français ou bien l'arabe avec un accent amerloque marqué, sont les plus convoités.

Et l'on aborde le sujet jusqu'à l'épuiser en allant au détail du détail, le geste de l'un des deux protagonistes, la couleur de la cravate de l'autre. La richesse du premier, le cursus scolaire et universitaire du second. Et l'on attend fébrilement les résultats, en scrutant le moindre signe, pour en faire un sujet de débat. Personne n' y échappe, on tombe dessus fatalement à un moment ou à un autre de la journée, sinon de la nuit. Il existe un hameau du nom de Dixville Notch, qui niche loin perdu à la frontière Nord Est, entre les Etats-Unis et le Canada et qui compte 10 électeurs. Et comme l'Amérique où se déroulent les élections est partagée par deux fuseaux horaires, il est devenu de tradition que l'opération de vote commence là. Donc à zéro heure, le lundi 5 novembre 2012, à la montre du huissier de justice officiant pour la circonstance, pour faire sortir ce bourg de l'anonymat, le premier des 200 millions d'américains inscrits sur les listes électorales, donne sa voix. Et à partir des résultats insignifiants du résultat du scrutin à Dixville, est annoncé le nom du vainqueur et du futur président des états-unis. Sauf que pour cette fois-ci, et au-delà du folklore, les dix votants, n'ont pu départager le candidat le démocrate Obama, et le républicain Romney. Ils ont donné à chacun d'eux 5 voix. Du coup il a fallu attendre le mercredi 7 octobre pour connaître les premières estimations et enfin le nom candidat élu. Le lendemain, c'est-à-dire le jeudi 8 novembre 2012, s'ouvrait au grand palais du peuple à Pékin, pour sept jours, le 18ème congrès du parti communiste chinois, après le 17ème du nom, il y a cinq ans. Ils sont 2 868 congressistes délégués par les 82 millions d'adhérents que compte le PCC,qui vont s'atteler à définir des lignes de conduite,des politiques publiques et des programmes pour prendre en compte,du moins en théorie,les besoins et les attentes de 1 350 000 000 de chinois. Il est de notoriété publique, que depuis 2010, la chine est la deuxième économie du monde, et cela s'est fait en un temps record. Après avoir pratiqué depuis 1949 une économie quasi autarcique instaurée par les vainqueurs de la longue marche, à leur tête Mao Dzé Dong, c'est un autre historique, qui mit en place une nouvelle théorie économique qu'il baptisa : économie socialiste de marché.

Deng Xiaoping prôna une ouverture vers l'économie de marché au sens traditionnel. Cela se traduira sue le terrain, par une croissance économique à deux chiffres pour plusieurs années. Ainsi est née, ce que certains appelle aujourd'hui, l'atelier ou l'usine du monde, où se fabriquent aussi bien la plus petite vis d'assemblage que le plus perfectionné des appareils à usage informatique, en passant par l'armement et les derniers cris de la mode vestimentaire. A ce propos les prévisions annoncent que le marché intérieur chinois de la mode sera à partir de 2015, le plus important du monde. Les chinois comme toutes les grandes puissances industrielles ont depuis conquis l'espace, puisqu'ils ont envoyés en orbite des spationautes, qu'ils nommèrent Taïkonautes. En plus d'être une puissance nucléaire, les chinois ont aussi construit et mis en service leur premier porte avions, le 25 septembre 2102.

De ce fait certains monopoles internationaux, notamment celui de la force, ont été remis en cause, et l'équilibre des influences aussi. L'apanage sur les marchés économiques et l'exclusivité sur les places financières également. Les chinois détiennent le quart de la dette américaine. Cela n'entame peut-être en rien l'autonomie financière US, mais ceci affirme et confirme la dynamique économique audacieuse chinoise. C'est vrai que la guerre coûte beaucoup d'argent aux Etats-Unis, mais si la paix venait à coûter plus cher, il y a choix à opérer, les chinois l'ont sans doute compris. Et même si en chine la croissance n'est plus comme elle l'était, à deux chiffres depuis plus de trois ans, et qu'elle a exactement chuté de moitié, passant de 14 à 07 %. La chine demeure le premier pays producteur d'acier, et les chinois vendent un million de téléphone portable par an. Les universités de l'empire du milieu, ne sont pas en reste. Elles produisent chaque année 8 millions de diplômés, dont 800 000 ingénieurs. Sur 1,4 millions de demandes de brevets déposés en 2010, l'organisme chinois de la propriété industrielle en avait approuvé 8140825. Ils sont 930 000 chercheurs recensés en chine. Effectivement tout est relatif. Mais l'ordre de grandeur, les dimensions, les tailles, ne sont pas que curiosité. Ainsi il y a des villes chinoises, hors la capitale, à importance continentale, et des cités géantes à millions d'habitants, qui sont inconnues et demeurent anonymes, pour le reste du monde. Hormis les sinologues, la chine reste pour la plupart des gens un monde à découvrir.

A l'inverse de cela, à l'occasion de chaque élection présidentielle américaine, tout est fait pour faire redécouvrir ce pays, alors que le 18ème congrès du parti communiste chinois n'a pas été pour les supports médiatiques un catalyseur, pour faire connaître cet empire. Il vrai que les 1 350 000 000 de chinois ne votent pas pour élire le secrétaire général du parti, mais ce ne sont que 82 millions, soit 6 % de la population chinoise, qui mandatent 0,003% d'entre eux, pour élire le président chinois.

Au final se sont 2868 personnes qui choisissent le président de 1 350 000 000 d'individus, soit 0,00021 %. Tous les chinois ne disposent pas du droit de vote, ce privilège est réservé aux militants du parti communiste seulement. C'est le règne du centralisme démocratique. Aux États-Unis comme dans toutes les démocraties, les partis ont leurs militants, pour leur faire la campagne, payer des cotisations, participer financièrement à promouvoir le programme et l'image du parti, mais tous les américains disposent du droit de vote, sauf ceux que la loi explicitement exclut. C'est vrai également que ce système chinois, économiquement novateur, qui avait commencé à s'ouvrir dans les années 80, crée depuis de petits barons provinciaux, qui à leur tour inventent leur clientèle pour durer, grimper les échelons du parti, et pourquoi pas aspirer carrément à la présidence chinoise. Ces princes ou barons rouges comme on les appelle, pour renforcer leur emprise sur leurs baronnies, utilisent divers moyens et méthodes, souvent peu conformes à la pratique politique correcte.

L'un d'eux était jusqu'au mois de mars 2012, pressenti pour succéder à Hu Jin Tao à la tête de l'empire du milieu. Il faut signaler que, quand on est président de la république populaire de Chine, on est aussi le secrétaire général du parti communiste chinois et également président de la commission militaire centrale. Il s'agit de Bo Xlaï, chef du parti de la province Chongging, où il s'était fait remarqué en 2009, en s'attaquant à la mafia locale. Il réussit à faire arrêter et mettre en prison plus de 2 000 personnes dont plusieurs chefs de la police, ripoux. Cependant à son tour, comme l'arroseur arrosé, il se fit coincé et se fit prendre pour des affaires financières et criminelles. Il est soupçonné d'être le commanditaire ou bien le complice, dans le meurtre d'un homme d'affaire anglais, par empoisonnement commis par la femme de cet ancien dauphin du premier secrétaire. Il avait été exclu du parti le 10 avril 2012. C'est dans l'ambiance de cette sulfureuse affaire sentant âcrement la corruption, que c'était ouvert le 18ème congrès du parti communiste chinois. Et quel en a été le sujet principal ? Bien sûr la corruption. Car ces barons rouges provinciaux, ne sont pas les seuls à se sucrer. Autour d'eux gravitent des nuées de comparses, seconds couteaux, appelés en chine : les mouches.

En direction de tous ceux là, le secrétaire général sortant, avait fait un choix pointu dans la sémantique de son discours, mais les références sont demeurées inchangées. Il opta pour un thème éternellement ressassé, dans les démocraties dites populaires : changement dans la continuité. Il n'est donc pas encore question de rupture, mais d'amélioration en poursuivant le développement de ce nouveau modèle économique, l'économie socialiste de marché, en le perfectionnant et en le faisant progresser. Ceci était pour planter les décors, mais la phrase phare fut celle-ci : ?'la chine est malade du parti, mais seul le parti peut la sauver, allusion claire à la corruption.

Néanmoins selon les observateurs et les décrypteurs de discours politiques, cette mise en garde intervient bien tardivement, à la fin de mandat de Hu Jin Tao, de surcroît il ne propose aucune mesure concrète au-delà de faire ce constat du phénomène, devenu secret de polichinelle. Le chef sortant du parti communiste chinois, s'est contenté de vœux pieux, comme la croyance en la foi communiste dans le marxisme, en le socialisme communiste. Au lieu de faire des propositions mesurables et quantifiables pouvant servir de traitement à cette gangrène, à la corruption. Il terminera son allocution, dans un silence monacal de l'assistance, en disant : ?' si nous échouons à traiter cette question -de la corruption- correctement, elle pourra s'avérer fatale pour le parti, et même provoquer son effondrement et la chute de l'Etat''.

Après les vœux, vient l'avertissement. Et là, personne ne peut s'empêcher de revoir défiler cette image, devenue culte, quand sur la plus grande place de Pékin Tian an men, un étudiant affrontait torse nu, défiait et stoppait un char de l'armée populaire chinoise. Ce jour là du printemps 1989, devant le monde entier la chine avait retenu son souffle. Et tous les autres se sont demandés, qui de l'étudiant ou bien du pilote du char, fut à cet instant intemporellement figé, le plus sage ? Car si l'engin militaire s'était ce jour là arrêter net, le fléau tant dénoncé par tout le peuple, avec comme illustration symbolique le courage de cet étudiant, demeure vivace, 23 ans après, puisque toujours montrée du doigt au 18ème congrès du parti tenu en 2012. L'allocution d'ouverture de Hu Jin Tao, était-elle une feuille de route adressée à son successeur et un message pour toute la chine, ou bien s'agit-il d'un aveu tardif d'échec ? En tous les cas, dans le discours de 50 pages, du président sortant, il n'y a aucune décision immédiatement applicable. Le culturel politique chinois de référence, étant ce qu'il est, puisant son allure et sa démarche dans la pensée confucéenne, c'est-à-dire, arriver à triompher, à conquérir, sans batailler, et sans faire la guerre. Attendant voir ce qu'entreprendra, le nouveau secrétaire général, monsieur Xi Jinping, catalogué, prince rouge. Les deux évènements l'un américain et l'autre chinois, bien que nationaux auront immanquablement des conséquences, des influences et même de l'emprise sur le cours des choses à travers le monde. La chine est dit-on, officiellement est la deuxième puissance économique mondiale, mais tout le monde affirme qu'elle est en fait la première. Et d'ailleurs ça ne sera pas la première fois qu'elle va occuper la plus haute marche de ce podium.

L'histoire atteste que cette nation le fut souvent à diverses étapes de son histoire. Ce qui va changer, et la chine l'imposera aux autres silencieusement. Ce sera la perception et l'acceptation de la nouvelle première puissance, comme une réalité, sans laquelle on ne peut désormais, presque rien entreprendre de décisif sur la terre. Tous les supports d'information et de communication doivent dorénavant faire place d'acteur principal à l'empire du milieu sur l'échiquier du monde.

C'est vrai que durant la semaine du déroulement des travaux du 18ème congrès, l'accès à Internet avait été perturbé en chine, que des artistes, des militants des droits de l'homme et ceux qui luttent contre la corruption, avaient été déplacés hors de la capitale, et que les accès au palais du peuple furent étroitement surveillés. Sur l'autre face de la terre, aux USA également, le rudoiement des hommes et des femmes est toujours là, présent. Au pays de la démocratie, les hommes politiques, les démocrates comme les républicains, n'avaient pas pu se libérer du dictat de la financiarisation à outrance de la vie quotidienne des citoyens américains, de sa domination et de sa main mise sur les relations économiques notamment domestiques.

Les images de pauvres bougres alléchés, croyant avoir réussi le projet d'une vie, en empruntant pour s'acheter leur logement, avaient vite fait de déchanter. La crise des subprimes, avait engendré des malheurs humains. Des familles entières croulant sous les dettes, furent expulsées manu militari, comme dans les films américains, sans émotion ni aménité, encore moins d'empathie. Les tableaux de gosses apeurés et terrorisés par la présence de shérifs protégeant le serrurier, les deux agents envoyés par la banque pour récupérer son bien, faute pour les parents de ces enfants, de ne pas avoir honoré leurs mensualités. Cela se passe durant la saison hivernale, et cela ne grandit pas cette démocratie. Car n'y a-t-il pas dans ce cas d'espèce, une dérive financière, que les politiques américains, n'avaient pas su prévenir, pliant devant les oukases de la finance internationale, et du coup abandonnant à la déchirure sociale et à l'instabilité des centaines de familles américaines. Les divorces pour cause de perte de logement furent nombreux et leurs effets destructeurs aussi. On découvrit trop tard, après tous ces dégâts humains, et moult fractures familiales, que beaucoup d'expulsions, avaient été exécutées illégalement. Mais le coup était parti, car les victimes de ces excès de pouvoir, commis par des banques, n'étaient plus en mesure financièrement de leur intenter un procès. Comme sont les usages en Amérique de l'oncle Sam, pas d'argent, pas de justice. Doit-on alors conclure que dans les pays des étasuniens, tout est bon ou bien tout est mauvais ? Et pareillement l'admettre pour le pays des chinois, où les travailleurs ne sont pas encore correctement protégés, en matière sociale. Cependant pour tous il est loisible de constater que les hommes, les femmes et enfin le monde entier, demeurent encore perfectibles. Que de travail il reste à accomplir pour que l'élection américaine, rencontre le congrès chinois et l'inverse serait également bienfaisant. Les chinois dans leur sagesse disent à peu près ceci :'' la goûte d'eau est souple et fragile, alors que la montagne est robuste et inébranlable. Mais en persistant la goûte d'eau vient toujours à bout de la montagne''. La métaphore, même rapportée ici à la manière du chroniqueur, n'est pas de trop.