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Relations franco-algériennes : bras dessus, bras dessous!

par Zerouali Mostefa *

Les hommes politiques avancent la raison d'État pour refuser ou nier un principe démocratique, une valeur éthique ou une décision juste. Malheureusement, cette raison d'État est souvent la raison des bureaux et des bureaucrates pour préserver un fonds de commerce politique, protéger des privilèges indus ou sauvegarder des comportements complices et complaisants, et ce parfois même au détriment de l'intérêt général ou de la cause nationale !!!

Les relations franco-algériennes ou algéro-françaises font partie de ces dossiers qui n'avancent guère depuis plus d'un demi-siècle. À chaque tentative et à chaque essai de reconstruction positive l'une ou l'autre des deux parties devient trop sensible ou carrément insensible aux exigences ou aux sollicitations de son partenaire. Une déclaration par-ci, une loi par-là, une action par-ci une réaction par-là, une affirmation par-ci, une négation par-là et tout le processus est mis en veille pour le renvoyer aux calendes grecques !!! Pendant ce temps, l'une comme l'autre partie laisse passer des opportunités bien réelles et rate des occasions évidentes de reconstruire des relations normalisées et de renouer des liens objectifs, loin des sensibilités historiques et des passions anciennes.

Pourquoi serait-il si difficile pour l'une ou l'autre partie de pardonner ou de demander pardon ? Pourquoi serait-il si difficile pour l'une ou l'autre partie de faire leur travail de mémoire convenablement, tel que fait entre la France et l'Allemagne ou le Japon et les USA ? Pourquoi l'une ou l'autre partie fuirait son devoir politique et historique ou juridique et refuserait d'assumer les conséquences qui en découlent avec courage, humilité et humanisme ? Pourquoi l'une ou l'autre partie nierait les principes, vieux comme le monde, de repentance, de pardon ou de tolérance lorsque ces sentiments sont sincèrement exprimés ?

Cette contribution se propose d'examiner les visions et les opinions des uns et des autres sur les principales contraintes à l'origine de la stagnation et de l'échec de la plupart des initiatives, dont certaines sont profondément sincères. Les analyser clairement et exprimer la vision des deux parties pourrait éventuellement encourager les débats politiques et historiques sans complexes ni tabous pour aboutir aux buts ultimes recherchés par les deux peuples.

50 ans après l'indépendance de l'Algérie et autant d'années de maturité politique en France, serait-il possible de faire fi des contraintes persistantes et du fardeau émotionnel lourd en faveur d'une construction bénéfique aux deux peuples ? Les générations actuelles totalement décomplexées et aucunement impliquées dans les tragédies et drames historiques sauront-elles dépasser cet héritage et faire des concessions pour réussir ce que leurs prédécesseurs ont toujours raté ? Quelle est l'interprétation que l'un et l'autre pays donne aux positions et aux signaux envoyés et aux initiatives entreprises de part et d'autre ?

Les contraintes principales à la construction de relations sereines et bénéfiques entre les deux pays et les deux nations sont clairement identifiées et connues par les deux parties. Il s'agit notamment d'aspects passionnels et de cas de conscience, de divergence de vision politique et stratégique, et surtout de conflits d'intérêts entre les pouvoirs politiques dans les deux pays :

Sur le plan historique, les contraintes clairement identifiées des deux côtés pèsent de tout leur poids dans la remise en cause des efforts consentis par les uns et les autres et sabotent toutes les tentatives de reconstruction des relations bilatérales.

Du côté de la France, ces contraintes concernent le cas des pieds noirs partis d'Algérie dans la douleur, dans la peur et dans la tristesse. Ce puissant lobby politique et économique revient régulièrement et sans cesse sur le sujet et estime qu'il a été lésé et pourchassé du pays de ses parents, de sa naissance et son enfance par les Algériens. Ils poussent les responsables politiques français à mettre la pression sur les Algériens pour reconnaître leurs torts vis-à-vis de cette population. Ils vont même jusqu'à réclamer des dédommagements financiers et pécuniaires.

Ils s'illustrent périodiquement par des actions et des initiatives provocantes notamment sur le plan historique, comme la loi sur la reconnaissance du rôle positif de la présence française dans ses anciennes colonies (février 2005), la loi sur les harkis (janvier 2012), construction de stèles et organisation de manifestations en faveur de responsables et d'hommes politiques et d'acteurs historiques connus pour leur hostilité envers l'indépendance de l'Algérie voire même d'actes de torture et de crimes de masse contre les populations algériennes.

Le deuxième aspect qui ne finit pas d'irriter les classes politiques et les responsables des deux pays est celui des harkis et de leur descendance. Cet aspect revient régulièrement comme principal motif d'actions et de réactions négatives voire même hostiles à toute tentative de construction réelle entre les deux pays. La France souhaite que l'Algérie reconnaisse des souffrances, des crimes et des actes immoraux contre cette catégorie d'acteurs historiques entre les deux pays. Elle exige également que cette population soit réintégrée dans sa dignité et ses droits universels vis-à-vis de l'Algérie et que sa descendance soit blanchie de tout soupçon et de toute culpabilité ou responsabilité historique pour le rôle que les parents ont pu jouer pendant la guerre d'indépendance. Le poids électoral que représente cette frange de la société française et l'importance socioéconomique qu'elle a prise dans le paysage sociopolitique de l'hexagone met la pression aux responsables politiques français afin d'honorer leur responsabilité historique et les rétablir dans leurs droits universels vis-à-vis de leur pays d'origine. Du coté de l'Algérie, ces contraintes concernent d'abord, la reconnaissance par la République Française de sa responsabilité historique dans les conséquences dévastatrices et dramatiques subies par tout un peuple pendant plus de 130 ans d'occupation et de colonisation massive. Un aveu de repentance et une demande de pardon sont les deux aspects que l'Algérie aimerait voir et avoir de la part de son ancien occupant, en tant que personne morale moralement responsable vis-à-vis d'une nation martyrisée pendant de longues années. Elle exige d'être traitée de la même façon que Madagascar qui a reçu sous la présidence de Chirac des excuses solennelles et officielles de la République Française. Cette exigence formulée par la famille révolutionnaire algérienne, qui reste fortement influente dans les choix et les décisions politiques et économiques du pays (Organisation Nationale des Moudjahidine O.N.M, Organisation Nationale Enfants Moudjahidine O.N.E.M, Organisation Nationale des Enfants de Chouhada O.N.E.C) et soutenue par la majorité des militants des partis nationalistes, notamment celui au pouvoir, le FLN. Elle revient périodiquement et régulièrement sous diverses formes comme le projet de loi pénalisant le colonialisme, les tentatives de poursuites judiciaires de certains acteurs du colonialisme.

Il y a ensuite, un autre aspect qui tient à cœur aux responsables algériens et auquel, la France n'a pas donné trop d'importance. Il s'agit de la libre circulation des citoyens algériens et leur traitement conformément aux accords bilatéraux signés entre les différents gouvernements des deux pays. L'Algérie estime, en effet, que ces ressortissants sont lésés et traités de façon inacceptable et parfois désobligeante par les autorités françaises pour les demandes des différents visas, lors des visites touristiques ou familiales. La France étant tenue par des accords européens et des obligations réglementaires communautaires, en plus des évènements sécuritaires et des risques liés au terrorisme des années 1993-2000, a instauré unilatéralement des conditions et des procédures concernant les ressortissants algériens que ceux-ci n'ont jamais acceptés et compris. D'ailleurs, une révision générale des accords bilatéraux concernant la circulation des citoyens algériens serait demandée par les autorités françaises depuis quelques années, sous Sarkozy, que les algériens refuseraient en dehors d'un cadre global et général concernant les relations bilatérales.

Enfin, un autre aspect voire même plus important que les deux premiers, que les Algériens apprécieraient fortement de la part des décideurs français, serait la reconnaissance et le respect de cette jalousie typiquement algérienne pour l'indépendance de ses décisions politiques et la liberté de ses choix stratégiques concernant certains dossiers internes ou de politique internationale. Souvent, des réactions et des commentaires d'officiels français sur les positions algériennes relatives aux dossiers nationaux, régionaux ou internationaux froissent et irritent fortement les autorités algériennes qui les interprètent comme une forme d'ingérence et de refus de reconnaissance de l'indépendance du pays. En effet, des sorties régulières et des déclarations périodiques dans l'hexagone viennent alimenter cette perception algérienne des réactions françaises, même si cela est parfois subjectif, et légitime d'autres fois. Nous pouvons citer des exemples relayés par les médias des deux pays où les positions et les réactions françaises sont considérées comme délibérément visant l'Algérie, ses positions et ses choix comme le dossier du Sahara Occidental, le dossier de la Palestine, le cas de la rébellion en Lybie, la situation actuelle en Syrie et du nucléaire iranien, le dossier brulant de l'émigration clandestine des Africains vers l'Europe, certains choix législatifs et économiques internes, le combat contre le terrorisme et son financement, les ambitions algériennes d'armement.

Ces aspects visibles de part et d'autre sont officiellement à l'origine du blocage et des hésitations réciproques pour la signature d'un accord global. Bien évidemment d'autres dossiers stratégiques et beaucoup plus discrets, sont également au menu des réticences et des combats de coqs entre les deux gouvernements. Ces dossiers qui, officiellement, n'ont rien à voir avec les tentatives et la volonté affichée par les deux rives de normaliser leurs relations politiques et économiques, sont les véritables enjeux et les réelles contraintes à cette construction positive. Il s'agit principalement de sujets à retombées économiques et stratégiques comme la sécurité énergétique de l'Europe et le rôle du gaz algérien et de son potentiel d'énergie solaire, des conditions d'activité et d'exploitation des entreprises françaises en Algérie, du refus algérien plutôt irritant, d'adhérer à certaines thèses et politiques atlantiques menées via ou par la France, de cette fâcheuse tendance des entreprises et opérateurs français à refuser toute installation industrielle importante ou permettant un transfert de savoir-faire et de technologie en Algérie.

D'abord, la question de la sécurité énergétique européenne en général et française en particulier est la contrainte principale et le nœud le plus important bloquant les efforts politiques des deux pays.

L'Algérie estime que la France défend des positions atlantistes et interventionnistes visant à contrôler, ou du moins à surveiller de loin les sources et les ressources des énergies connues (gaz, pétrole, uranium et soleil). Elle est convaincue que la politique française dans ce domaine basée sur l'exploitation massive des matières premières pour ces énergies ne permet pas le développement industriel et économique des pays concernés et empêche une exploitation optimale de ces ressources. Pour elle, la France œuvre et agit, sans aucun doute, dans le sens à continuer à garantir l'extraction et l'exportation des ressources en l'état brut sans transformation aucune ce qui priverait les pays et les populations locales des fortes valeurs ajoutées de la transformation de ces matières localement ainsi que des synergies et des retombées positives des investissements potentiels s'y afférents.

La France, estime de son côté que l'Algérie défend des thèses plutôt protectionnistes, voire même à la limite de l'esprit bolivars avec son lot de contraintes administratives et réglementaires qui empêcheraient la réussite de ses investissements et qui risqueraient de remettre en cause même leur existence notamment en ce qui concerne le gaz algérien et l'uranium du Niger. Elle estime que la politique, la stratégie, les thèses et les positions algériennes concernant ces sujets menacent clairement les objectifs et les investissements lourds ou à long terme (le sujet de création d'un cartel du gaz avec la Russie et le Qatar, le soutien apporté aux positions du Venezuela au sein de l'OPEP, la position algérienne dans le dossier libyen, la position algérienne dans les conflits actuels au Sahel, certaines réactions et dispositions législatives et économiques en sont les preuves vivantes).

Ensuite, les conditions d'activité et d'investissement des entreprises françaises en Algérie interprétées différemment par les deux parties. Ces deux approches totalement opposées et presque contradictoires bloquent également les efforts des uns et des autres pour la mise en place et le développement d'un partenariat efficient et efficace.

L'Algérie souhaite que les grandes entreprises françaises s'installent pleinement et réalisent des investissements localement. Elle espère que de cette façon, ces entreprises participeront directement à la création de l'emploi, au transfert de technologie et à la formation d'une main d'œuvre qualifiée, en contrepartie des avantages et des perspectives positives qu'offre l'immense marché domestiques. Elle estime également que le pays dispose de nombreux avantages comparatifs tel que le coût de l'énergie, les matières premières, la qualité des infrastructures de base, l'important potentiel humain et la qualité des formations. Elle ne comprend pas pourquoi, ces sociétés évitent d'investir convenablement et se contentent de vendre ce qui a été produit ailleurs, voire même à côté !! La preuve, pour les algériens, est cette tendance des grands groupes français à aller investir dans des pays voisins moins importants en termes d'opportunités commerciales et d'avantages comparatifs et de se contenter d'opérations commerciales ponctuelles et courantes avec l'Algérie (Airbus en Tunisie, Renault au Maroc).

La France, de son côté, estime qu'elle ne peut intervenir auprès des grands groupes internationaux ou les obliger à opter pour un pays plutôt qu'un autre. Pour elle, le choix des investissements et des localisations dépend de structures de gestion souvent internationales dont Paris n'est pas toujours partie. Ces derniers prennent en considération des critères différents et des risques variés pour noter un pays ou le choisir pour réaliser des investissements industriels stratégiques.

Par ailleurs, la France estime aussi que l'Algérie ne fait aucun efforts dans le sens de la stabilité et de la clarté des conditions administratives, juridiques, fiscales et politiques pour permettre à ces entreprises et à ces groupes de disposer de suffisamment de visibilité et d'assurances qui les encourageraient à s'y installer de façon lourde et définitive. La preuve, pour ces Français, cette fâcheuse tendance des autorités algériennes à réagir et à légiférer en fonction des aléas circonstanciels et des situations ponctuelles et non pas à agir et concevoir une stratégie globale et un cadre législatifs général (Interdiction des exportations des déchets ferreux et non ferreux, conditions de transfert des dividendes, la taxe sur les superprofits des sociétés pétrolières partenaires, obligation d'augmentation subite et conséquente des capitaux des banques et des sociétés d'assurance, interdiction du crédit à la consommation et de certaines importations, changement des règles régissant les IDE, difficultés liées au foncier industriel, lourdeurs et volatilités des règles fiscales et administratives).

Enfin, il y a le problème persistant et récurrent des retombées économiques et financières du conflit Maroc-Sahara occidental ou chacune des deux parties constitue une contrainte, voire même la contrainte principale, à la réalisation des objectifs et des ambitions stratégiques de l'autre partie. En effet, l'Algérie qui considère, officiellement, ledit conflit comme un cas typique d'occupation coloniale qui n'a d'autre solution que l'autodétermination du peuple sahraoui via l'organisation d'un référendum sous l'égide des Nations unies, tel que le prévoient ses principes de politique étrangère depuis son indépendance. Elle estime que la situation actuelle de fuite en avant et le soutien traditionnel des thèses marocaines émanent principalement de la France. Elle pense que la France, qui jouit d'une forte influence et d'un puissant lobbying au royaume alaouite cache, par ce soutien sans faille, des visées et des projets économiques dans la région et notamment dans le Sahara Occidental. Pour l'Algérie, l'ancienne puissance coloniale, ne peut œuvrer, par ces actions, pour le bien de la région et pour les principes universels de l'indépendance et du libre choix des peuples.

Pour la France, ce conflit est en réalité entre le Maroc et l'Algérie (une conséquence collatérale de la guerre de 1968) et ne concerne aucunement un peuple sous occupation. Il cache dans le fond des velléités et des objectifs stratégiques du pouvoir algérien, notamment disposer d'une façade atlantique avec tout ce que ceci pourrait générer comme retombées économiques et comme influence stratégique dans toute la région de l'Afrique du Nord et de l'ouest. La France pense que l'aboutissement des projets algériens dans cette zone représente une menace non seulement pour ses alliés et amis marocains, mais il risque de menacer également les intérêts de la cinquième république dans toute l'Afrique noire. Elle ne peut donc permettre une telle percée à un état qu'elle considère comme hostile à ses projets.

Toutes ces contraintes peuvent-elles être mises de côté ? Peuvent-elles être soulevées de façon franche et sincère pour les lever ? Les deux pays, et à leur tête les deux présidents, peuvent-ils voir clairement, sans nuance ni influence, les opportunités et les perspectives d'une relation plutôt bénéfique et positive pour les deux peuples ? Sauront-ils reconnaître chacun de son coté leurs torts et leurs responsabilités politique, économique et sociale ? Pourront-ils participer positivement, sinon laisser aux scientifiques et aux historiens la responsabilité d'écrire l'histoire telle qu'elle était et non telle qu'ils veulent qu'elle soit décrite et écrite ? Oseront-ils faire leur devoir de mémoire aux victimes de deux siècles de relation passionnelle ainsi qu'à leurs familles ?

Si nous savons déjà que l'honnêteté est la clef des relations humaines paisibles et tranquilles, nous savons également, par Coluche, que dans la profession des Hommes politiques il est plus utile d'avoir des relations que d'avoir des remords. Comment, dés lors, se débarrasser des remords pour reconstruire des relations honnêtes entre Hommes et Politiques?                

* Economiste et chercheur

«Un ennemi sensé vaut mieux qu'un ami borné» Proverbe algérien