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Et l'école informelle, monsieur le Ministre ?

par El Yazid Dib

Il ne lui faut pas un nouveau ministre ; l'école algérienne a besoin d'un exorciste. C'est à une armée de marabouts qu'il faudrait recourir pour sauver la chose du spectre qui la hante. Séance de travail.

La lutte contre le marché informel est une affaire exclusive du ministère de l'intérieur et des collectivités locales. C'est du moins ce que l'on arrive à faire comprendre maladroitement aux autres. Et est-ce que cette notion de l'informel aussi vague soit-elle ne s'applique-t-elle qu'aux espaces de commerce ? Pourtant il existe bel et bien d'autres activités parasitaires agissant dans le pur informel. Par contre le ministère de l'éducation nationale n'est pas du tout branché la dessus. Département non concerné, il s'attelle sous la houlette d'une sommité scientifique à châtier le mal qui ronge les profondes cavités de l'école publique. Un danger. La passation de consignes n'en n'a pas fait état certainement. Il existe Monsieur le ministre un grand marché scolaire informel dans le pays. Il est installé non pas de jour comme ces espaces de commerce contre lesquels luttent les services de sécurité, mais ce marché florissant agit de nuit. Ce sont des milliers de client-élèves qui le fréquentent et accompagnés de surcroit par leurs parents. Ils y demeurent des heures et des heures. Les conditions sont plus dramatiques que celles des souks. Les caves d'immeubles, les vieilles maisons menaçant ruines, les garages mal bâtis et bruts servent de lieux de prédilection pour ce genre d'opérations commerciales. Non déclarés, non assurés, mal hygiéniques, manquant de salubrité, parfois d'éclairage ; ces lieux concurrencent en silence l'école que vous représentez. Attendez-vous qu'un grand sinistre survienne à l'image de l'université de Tlemcen, pour réagir ? Il y a des lieux de ces cours du soir où plus d'une centaine d'élèves s'entassent côte-à-côte pour suivre le complément du manque scolaire dispensé à l'école étatique. Avec l'hiver, les bouteilles à gaz butane, les poêles à mazout, les radiateurs électriques liés à un réseau défectueux seront à peine d'intervention énergique, un élément de catastrophe nationale. Si Benbouzid est parti, il a laissé derrière lui un engin explosif à retardement. C'est son école à lui qui est à l'origine de l'institution de ce marché informel que sont les cours dits de soutien. Restant sur leur faim de savoir, un élève est contraint de recourir à ce genre d'extrapolation didactique. Notamment en phase de classes d'examen. Désamorcez-la par l'ouverture d'un dossier, d'un débat, par n'importe quoi mais ne vous laissez pas emporter par la malédiction qui y subsiste. Les milliers d'âmes enfantines sacrifiées sur l'autel des multiples expériences pour les multiples reformes ne vont pas pardonner le méfait subi. Elles ne peuvent l'oublier, à partir des prisons, de l'accoutumance à la drogue, des places qu'elles occupent dans le souk informel, dans les queues de l'ANSEJ, dans les chaloupes de la clandestinité migratoire. Leur avenir est parti dans les lourds cartables inutiles.

Abdellatif Baba Ahmed est un bel homme. Tout gentil, comme une somme considérable de douceur. Avoir entre les mains cette chose unilatérale, monstrueuse, dévoreuse d'écoliers innocents et marquée d'un seul sceau doublement décennal n'est pas de l'apanage de quiconque. C'est à une armée de marabout qu'il faudrait recourir pour sauver la chose du spectre qui la hante. Celui-ci et son maitre sont partout, dans tous les manuels, dans les préaux et aussi dans l'emblème et l'hymne national. Le tout nouveau ministre, pourtant enfant de cette école, enfin de l'ancêtre de celle-ci et dirigeant de ses universités a du pain sur la planche, l'estrade. Il n'a pas besoin d'un four pour cuire ses recettes, la géhenne et l'enfer ne lui suffiront pas pour frire l'une d'entre elles. Il aurait fait à le voir, tout pureté, vaillance un tranquille ministre de l'éducation nationale pour l'école Finlandaise. Mais algérien comme nous autres, il saura s'y faire. Question de temps, mais aussi de cran et de choix des hommes. Chasser le mauvais esprit installé depuis plus de vingt ans dans notre école n'est pas un boulot ministériel facile.

Il ne sera pas, cependant semble-t-il comme ces ministres, qui par leur longetivité ont défié les affres du temps et sont devenus les symboles vivants d'un passé refusé et d'une actualité décriée. L'innovation est arrivée à saturation chez eux. Que dira encore l'ancien eternel-ministre sur l'avenir de l'école algérienne ? Quelle reforme proposera t-il si l'école allait le subir encore une ou deux années ? Ne lui suffisait-il pas, pour partir ; ces éternelles grèves de PES, de lycéens, de parents d'élèves, de tergiversations de vacances, de jours de repos, de programmes scolaires ? Personne, en dehors de sa personne, n'était ravi de ses résultats. Un lourd passif devait se faire hériter par un ministre qui loin d'être rompu aux arcanes des coulisses et de la complexité du secteur ; est un comportement éducationnel exemplaire. Le monsieur est très gentil. Que pourra-t-il faire face à ces syndicats, qui ne lui auraient donné aucun répit ?

Un peu de temps mort à consacrer à l'enterrement des haches et des cris stridents doit être mis en relief. Les problèmes, tellement immenses que le tout nouveau ministre à sa décharge se doit de connaitre les coins et les coins des classes, les angles des tableaux, la consistance du la musette collégienne, relire les pages du livre tant déblatéré. Ce temps va lui permettre, il en a en toute certitude une idée déjà ; de repenser la réflexion et peut être d'engager une « réforme ». Ce sont en fait les élèves qui en pâtissent. L'école leur étant un carcan obligatoire, car au bout du cursus, ils sont guettés et vite happés par l'oisiveté et la déperdition scolaire. C'est une question vitale, une raison d'Etat. L'école à sa cadence actuelle ne peut à peine de rendre fous, enseignants, élèves, parents d'enseignants et d'élèves, continuer à régenter à l'humeur d'un ministre et ainsi hypothéquer l'avenir de descendances croisées. Ou encore un ministre qui va faire dans le compromis et suivre de près l'humeur des grévistes. Dans ces « grèves » perpétuelles, il faudrait aussi jeter un profond regard. Une grève a ses règles. Celle provoquée est une autre affaire. Si le fait de faire sortir les élèves des classes et dire, que ce sont eux qui « grèvent », ceci n'est pas au sens de l'éthique syndicale un débrayage. Il n'est non plus compris dans la déontologie professionnelle. C'est de la prise d'otages.

Les mômes dans les écoles ne croient plus ce qui s'enseigne comme vérité, nationalisme ou autres. Rébarbative ; la levée journalière des couleurs nationales et l'entonnement de l'hymne ont rendu un peu banal la symbolique voulue. Seule importe cette note assurant un passage ou une réussite. L'université n'est faite que d'un unique et acariâtre cursus : Les grèves. Les lycées aussi. Les professeurs du secondaire, à force de ne pas être écoutés s'arrangent pour le mieux de réussir la prochaine grève. Ou s'ils le sont, ils ne sont pas totalement convaincus. La tutelle, le ministère dont le titulaire détenait le record de durée et survivait sans fracas à toute ses reformes. Réformes contre réformes, l'on est bien arrivé à démolir toute réforme. Les casseurs dans les émeutes que connait le pays sporadiquement ne sont en fait, que le produit de cette école. Si l'un deux est âgé de 28 ans, c'est qu'il a connu l'école pour la première fois à six ans, alors que Benbouzid était déjà ministère de l'éducation nationale. Il se peut qu'un actuel parent, ancien écolier sous l'ancien éternel-ministre ait vu son enfant se scolariser sous le règne du même ministre. Un ministre pour deux générations, n'est-ce pas là une prouesse jamais égalée ? L'écolier d'hier est devenu casseur, rebelle, harag, snifeur, terro, etc. son départ est un effort salutaire pour le pays. L'arrivée de Baba Ahmed le sera-t-elle ?

L'école algérienne est minée de toute part. De l'intérieur le mal viendrait de ses fonctionnaires. De l'extérieur, d'eux aussi. Si l'école n'est qu'une sainte trinité composée d'un enseignant, d'un apprenant et d'un programme ; l'ombre malfaisante est peut être dehors. Sachant que l'enseignement gratuit est une disposition constitutionnelle qui gêne timidement l'émergence au grand jour de lycées privés, certains « commerçants du savoir » rejetés puis recyclés dans le créneau ont tout l'intérêt de porter l'estocade à l'école publique. Pourtant rien n'interdit l'enseignement privé. En fait l'Ordonnance no 05-07 du 23 août 2005 fixe les règles générales régissant l'enseignement dans les établissements privés d'éducation et d'enseignement. Celui-ci autorisé et permis va du pré-scolaire jusqu'au lycée.

Dénigrée, mal représentée, jetée en pâture, rendue coupable de tous les fléaux de société (tel que narré ci-dessus), l'école s'avère un marché fortement juteux. Apres les tentatives de certains éditeurs voulant s'accaparer de l'impression du livre scolaire qui représente le plus gros lot financier de papeterie à imprimer destinée à nos mômes, voilà que l'école informelle accentue sa domination et se répand comme une toile d'araignée. Les « cours » touchent tous les paliers. Ils sont beaucoup plus ponctués dans les classes d'examen. Il n'existe pas un « élève » en phase d'examen qui ne fréquente pas ces « classes » malfamées. « Même mes enfants qui sont à l'école primaire, je me vois obligée de les faire soutenir par des cours privés » affirme Amira, femme au foyer, épouse de médecin. Malgré son niveau d'universitaire/juriste, cette dame qui s'inquiète sur le sort de ses enfants atteste que ses efforts pour les aider sont maigres par rapport à la profusion de matières, mais aussi à la différence de niveau. « Leur père, scientifique qu'il est ; n'arrive pas parfois à résoudre une équation mathématique de 4ème année primaire» conclue-t-elle toujours inquiète. Mohamed Amine, le « bogosse » du quartier comme on l'appelle ici, à cause de ses cheveux débout et gelés, adolescent de 18 ans, candidat au bac série langues étrangères 2012 fustige un net aveu : « avec 8 matières, peu de professeurs, des grèves presque hebdomadaires, il faudrait impérativement poursuivre le lycée ailleurs, chercher les cours par-ci par-là. Les cours sont indispensables, sauf en éducation islamique ; nous avons la mosquée d'à-côté et c'est gratuit» ironise-t-il par un sourire rassurant et non insouciant. Cette profession de foi est une acceptation contraignante de la nécessité de faire ces cours de soutien. Si le directeur de l'éducation nationale fait ces cours à ses enfants, comment explique-t-on donc la demande de confiance à faire dans son institution ? Si c'est comme l'on observe un concessionnaire de Peugeot, censé promouvoir sa marque, conduire une Renault. Dure réalité.

Notre école a grand besoin de redevenir un cadre idéal pour susciter l'enthousiasme et la haute considération. Son enseignant devrait également redevenir ce maitre-modèle qui inspire l'envie d'étudier et provoque dans l'esprit encore frais de l'enfant celle d'être un jour comme lui. Qui de nous n'a pas en mémoire ce portrait de « monsieur » qui nous épatait tant par sa tenue correcte, ses mots magiques et son punch enseigneral ? Mon ami Mansour Hamouda spécialiste de l'enseignement mais aussi talentueux écrivain parle dans son livre « Moi M'sieu ! » de l'enseignant dans sa gloire, mais aussi dans ses déboires. Il y relate, sous une forme romancée sa carrière et « sa volonté de travailler sans céder au découragement engendré par moult obstacles ». En ces jours ce «M'sieu» n'arrive pas à plaire à son audience. S'il parle à ses élèves des aléas de sa vie personnelle, de ses mérites, de son amertume il ne peut attendre une quelconque mansuétude ou un coup de charme. Parfois il veut ainsi forcer la pitié, par défaut d'admiration. A sa décharge pareillement, l'on retiendra que lui aussi n'est pas satisfait de cette assistance. Fini, les élèves d'autrefois. Studieux, respectueux et craintifs. Ils sont en ces jours, à de très rares exceptions des petits monstres en cartables. Impertinents, arrogants ; ils prennent le respect à vouer au « M'sieu » pour une faiblesse qu'il ne faudrait pas qu'elle apparaisse. Baba Ahmed en conclave régional avec ses directeurs de l'Est, a vivement tranché la question en proférant que « la violence à l'école est réciproque » dur aveu. Il pense déjà, sur proposition du wali de Batna (où le regroupement régional a eu lieu) à mettre en valeur sur le filet social, les jeunes étudiants en psychologie pour les repartir à travers les établissements à fort taux de risques de violence. Et les parents d'élèves, la société, enfin la famille dans cet imbroglio ? Irresponsable se dit-elle. L'on confie nos gamins à une institution d'ordre public, à elle de s'en occuper éducationnellement, semble-t-elle raisonner. En somme, que peut faire la famille quand elle est maladroitement supplantée par la télévision ou l'internet ? Ceci ne l'absout en rien néanmoins de sa mission primaire de fournir à l'école des rejetons aptes à s'en faire. On ne peut pas modeler une pâte déjà endurcie. Sinon c'est la casse. Jeter pour jeter ses enfants à la rue juste après l'école, il vaudrait mieux les jeter dans des cours de soutien. Non ? Pour ce qui est de cette nébuleuse qu'est l'association des parents d'élèves, là il faudrait tout revoir. Elle a tendance de devenir parfois comme un parti politique. Soutien à un tel directeur, tel proviseur ou se mettre sous les dents des petits fours et des gâteaux lors de réceptions qui n'ont rien à voir avec la scolarité. Remuez le cocotier associatif, monsieur le ministre !

 Lors de cette rencontre régionale tenue à Batna le 22 octobre et dédiée au bilan de la rentrée scolaire, il était encore question de surcharge, de moyens et de postes de travail. En aucun cas, l'un des 15 directeurs présents n'eut à évoquer l'école informelle qui pourtant émaille tout leur territoire. A le voir, Baba Ahmed écoute plus qu'il n'en débite. Il semblait faire d'une séance de travail un plateau d'échange de prise de paroles par les uns et les autres. Il gérait un débat imposé par et entre ses centraux et ses locaux. Le monsieur, à l'arome universitaire qui le caractérise, savait en tirer profit. Académicien, il aurait fait de cette réunion un puits d'informations croisées que nul rapport n'était en mesure de les lui établir. Lui non plus n'a pas suggéré l'élan de parler de cette école parallèle. C'est en fin de visite que nous l'avions interpellé par « et l'école informelle qu'en dites-vous Monsieur le ministre ? » le froncement de sourcils nous a bien éclairé qu'il nous semble l'avoir entendu promettre d'ouvrir un débat. Nous commençons le prélude. Dont acte.

PROPOSITION

-Comme les experts miniers, les déclarants en douanes, les conseillers fiscaux, les transporteurs de malades, les experts fonciers, judicaires et tous les auxiliaires d'une activité quelconque sont soumis à un agrément préalable de la part de l'autorité fonctionnelle pour laquelle ils apportent leur soutien, l'éducation nationale doit concevoir un cahier de charges sous forme de texte réglementaire pour réguler et organiser cette activité complémentaire, loin des établissements d'enseignement tels que définis par l'ordonnance susvisée. A l'instar de l'ouverture d'écoles privées coraniques ou de sport, rien n'empêche de réfléchir à la faisabilité d'un tel dispositif. Le quémandeur doit se soumettre aux conditions à requérir pour l'enseignement. Diplôme es-qualité, bonne moralité sont entre autres des critères d'agrément. Les retraités de l'enseignement feront les bons pourvoyeurs de ces services de soutien à l'école. Et comme le statut général de la fonction publique n'interdit pas le « cumul » de taches s'il s'agit d'enseignement, de production littéraire ou artistique, les instituteurs en fonction sont tout désignés, s'ils le désirent d'assurer de telles vacations. L'essentiel c'est que le tout se fasse sous l'œil de l'Etat. Chose qui ne l'est pas actuellement. Cet Etat ignore ce qui se fait dans ces caves, ces garages, ces attrape-nigauds, par ces frimeurs, ces médiocres et ses pédagogues hasardeux. Ceci est inhérent à la personne.

-Quant au local devant contenir la dispense de ces cours et s'agissant d'un espace devant recevoir le public ; les règles générales d'usage en la matière seront applicables. Activité réglementée, son exploitation demeure astreinte aux commodités usuelles d'hygiène, de salubrité et de sécurité. A l'instar des cybercafés, des cliniques, des salles de fêtes.

-Déclarée comme activité lucrative, cette prestation de service, doit être sous-traitée sous le code du registre de commerce 607.040 attribué à l'établissement privé d'enseignement et d'éducation. Elle sera défiscalisée, voire exonérée de tout impôt, redevances, taxes. Seule une assurance risque est à contracter.

En l'état les cours de soutien en fait, ne doivent pas paraitre comme une activité parasitaire parascolaire. S'ils doivent par définition apporter un plus à l'effort public, il est vrai qu'ils ne peuvent remplacer le temps perdu par les grèves et autres gel d'activités d'enseignants. C'est ce que l'on a comme tendance à faire croire aux élèves. Le manque à gagner au lycée se récupère en dehors de ce lycée. Par le même enseignant ? Le cas du lycée Mohamed Kerouani de Sétif, défrayant par presse, une récente actualité de cours de soutien recommandé et officialisé par un proviseur, de blâme de ce dernier par son directeur, de grèves de soutien au dit proviseur est un cas synoptique de ce qui se passe ailleurs et en silence. Le ministre doit se suffire donc de bien regarder. De creuser et d'anticiper.