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Les mille et une aventures du soldat Chadli

par Belkacem AHCENE-DJABALLAH

Chadli Bendjedid. Mémoires. Tome 1 : 1929-1979. Rédigé par Abdelaziz Boubakir et traduit de l'arabe par Mehenna Hamadouche. Casbah Editions. Alger 2011. 332 pages, 1000 dinars

Le 3è Président de l'Algérie indépendante (comme ils disent) aura finalement réussi aussi bien ses entrées que ses sorties dans le monde politique, en ce sens que l'on se souviendra de lui bien plus longtemps qu'on ne le croit. Beaucoup de chance... Daa'oui El Kheir, comme diraient certains. Et, lui-même, à travers certaines de ses confidences, semble y croire assez fortement. Ce qui donne un soldat résolument engagé dans son combat dès sa prime jeunesse... soldat discipliné, fidèle et toujours prêt à être un «médiateur». Ce qui donne un fond de religiosité (bien simple comme celle de nos pères, comme au bon vieux temps) et de légère superstition (croyance en une bonne étoile qui n'a rien à voir avec les amulettes et les b'khour des zaouiate), qui nous amène à mieux comprendre le personnage ? social, sensible et sociable, «sentimental» même selon Boumediène dont il se disait très proche malgré certaines divergences de fond- et, l'âge venant, mieux saisir ses réactions face aux clameurs des foules de la fin des années 80. Bien sûr, tout ce qui est rapporté est intéressant à plus d'un titre même si, parfois, il y a un surplus de détails qui noient l'essentiel... mais, c'est là le défaut de tous nos moudjahidine qui aiment, certainement pour se différencier les uns des autres, insister non sur leurs fortunes ou leurs misères actuelles, mais sur leurs combats et leurs souffrances passées sur le terrain, vrais ou revus et corrigés. Bien sûr, il est intéressant de voir notre héros «tordre le cou» à certaines rumeurs comme celles qui faisaient croire qu'il a été, aussi, avant de rejoindre le maquis, soldat de l'Armée française. Bien sûr, il est intéressant de savoir que Chadli n'a jamais fait de prison coloniale...mais qu'il a été un des premiers prisonniers de l'Algérie indépendante : plus d'un mois au secret dans un «trou à rats»? Puis, par la suite, devenu Président, pas rancunier pour un sou à l'endroit des ses geôliers. Un bel exemple qui fait pardonner toutes les faiblesses et les (quelques) ratages. D'autant que le Monsieur ne manque pas, içi, de faire part, de manière claire ou discrète, de ses regrets. On le sent bien derrière les mots, comme la condamnation à mort de Chabani. Bien sûr, il ne manque pas de dire clairement ce qu'il pense de certains guerriers ou politiciens, dont Ahmed Ben Bella qu'il compare à ce chef fatimide qui a tout fait pour exterminer sa tribu qui lui avait pourtant pavé le chemin du pouvoir.

Mais, l'important, pour nous, c'est moins de connaître le parcours, assez riche? et bien enviable de l'homme, que de voir, enfin, un homme politique, qui en a vu de toutes les couleurs dans sa jeunesse de maquisard, qui a occupé des fonctions supérieures dans le pays, jusqu'à celle suprême de Président de la République durant bien longtemps, et qui va jusqu'au bout de sa responsabilité... en se confiant, en fin de vie, au peuple qu'il a dirigé, aimé ou «mal-mené».

Le premier Président ne l'a pas fait. Sans doute, il n'avait que faire de l'opinion de gens qui ne l'ont pas soutenu le 19 juin 1965, puis qui ne l'ont pas accueilli triomphalement en septembre 90. Le second, mort sans qu'il ne s'y attendait, ne l'aurait certainement jamais fait. Le troisième n'a pas eu le temps d'y penser, certains s'étant chargé d'écrire pour lui le mot «fin». Le quatrième a déjà tout «dit» en réglant des comptes. On attend avec impatience les mémoires du cinquième. Quant au sixième Président de l'Algérie indépendante, peut-être est-il en train de les préparer? Qui sait!

Avis : A ne rater sous aucun prétexte quelle que soit votre opinion sur Chadli. Un livre écrit de manière simple mais forte? rythmé grâce au souci du détail... et des récits diversifiés? avec, parfois, bien des révélations, certes toujours intéressantes mais qui ne vont pas jusqu'au bout de la vérité (exemple de la répression après le coup d'Etat du 19 juin menée, dit-on, personnellement par le chef militaire du coin et qui avait fait des dizaines de morts à Annaba). On y sent une émotion sincère pour tout ce qui est évoqué. On aurait pu le titrer : les mille et une aventures de Chadli. On attend avec impatience le deuxième tome. Les mille et une mésaventures ?

Phrases à méditer : «L'être humain planifie et le sort le nargue» et «Ils avaient été réunis par la guerre et la politique et séparés par les aspirations et les appétits»

Ferhat Abbas. Un homme, un visionnaire. Un essai de Hocine Mezali (préface de Nordyne Tedjar). Editions El Dar El Othmania. Alger 2011. 305 pages, 550 dinars

Homme de presse avec près 50 ans de journalisme, toujours plus grand reporter et homme d'enquête et d'analyses que simple rédacteur, Hocine Mezali n'est pas, n'est plus à présenter. Il a sévi dans beaucoup de publications et dans tous les genres? Tout particulièrement dans le roman historique, avec une préférence toute compréhensible ? il y est né - pour Alger et ses combats permanents contre le colonialisme.

Son dernier-né est un essai (???), un roman (???), un ouvrage documentaire, un peu de tout, sur un «monstre» de notre Histoire contemporaine, un géant de la politique dont l'itinéraire reste (encore) mal compris et dont les choix politiques, certes changeants, ont toujours été au service d'un seul et unique objectif: la renaissance de la Nation algérienne, la restauration d'un Etat algérien indépendant, puis, après 62, d'une République algérienne réellement démocratique et sociale, où les libertés ne sont pas vains et des mots creux.

Hélas, la réalité de notre vie politique fut tout autre. Les ambitions de nos «guerriers» devenus des hommes politiques (l'urgence excusant l'incompétence et les dérives) prit le dessus. L'homme à «l'encre des ruptures» fut alors «opprimé» par ses frères de combat? hélas, beaucoup plus que par le passé.

Ainsi allait (et va encore ???) la politique chez nous. Qui n'est pas avec nous est contre nous !

Avis : L'auteur ne s'est pas contenté de présenter Ferhat Abbas. Il a, aussi, dessiné les contours politiques et diplomatiques, sociaux et culturels, tous les moments difficiles vécus par le peuple algérien et son héros. Avec son style si particulier, de grand reporter soucieux du détail vivant. A lire absolument, afin de participer, pour 550 dinars, à la réhabilitation totale et globale de Ferhat Abbas.

Phrases à méditer : «Le rôle d'un politicien consiste d'abord à déceler les insuffisances de son discours avant celui de l'adversaire» (p 121, Ferhat Abbas, dixit) et «Avec les communistes, il faut toujours avoir à sa portée le lexique des nuances (p 235, Ahmed Boumendjel, dixit)

Une nouvelle République pour une nouvelle société. L'effet du «Printemps arabe». Essai de Zoubir Zemzoum. Editions ANEP. Alger 2012. 143 pages, 280 dinars

Souverainisme sociétal, patriotisme économique, protectionnisme, nouvelle République... tout cela grâce à un «prise de pouvoir par le mouvement sociétal souverainiste... par l'action révolutionnaire du peuple»? si besoin est. C'est parce qu'il voit des lézardes partout dans le mur du capitalisme libéral et de la démocratie occidentale. C'est parce qu'il voit le pouvoir des cartels (américains surtout) partout à travers la mondialisation-globalisation. C'est parce qu'il découvre que les «Révolutions arabes» actuelles ne sont, en définitive, que les fruits de scénarii concoctés par des officines étrangères...

Mais que propose donc Zoubir Zemzoum du haut de son demi-siècle d'expérience? ayant toujours été aux avant-postes des combats journalistiques sociétaux ? Une sorte de démocratie participative au sein de laquelle le citoyen (actif) est le centre et la périphérie, l'alpha et l'oméga. Ni capitaliste, ni communiste? et encore moins islamiste (pour ce qui concerne les pays arabo-musulmans, cela va de soit). La société idéale tant rêvée. Ah ! les rêves de jeunesse. Toujours là, malgré toutes les désillusions (peut-être à cause d'eux) des années 60, 70 (hum!hum!), 80, 90, 2000...

Avis : Les «papies» retrouveront l'ambiance des mots et la fougue des idéaux généreux d'antan. Les jeunes y découvriront qu'il y a encore beaucoup de révolutionnaires parmi leurs «vieux»

Phrase à méditer : «Tout a commencé avec un rêve, une utopie» (Mohamed Saidani, le préfacier, un autre papy du journalisme national)