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Livres : qui se souvient de...?

par Belkacem AHCENE-DJABALLAH

Le Vent du Sud. Un roman de Abdelhamid Benhedouga (Traduit en français par Marcel Bois). ENAG Editions. Alger 2002 (Ré-édition).

Un immense roman datant d'une époque non moins immense, les années 70. Celle de Houari Boumediène et des 3 R (Révolution industrielle, Révolution agraire et Révolution culturelle). Et que certains vieillards revisitent encore en la sublimant. Mais que les moins de 40 ans (à peine 12 ans en 1970) ne peuvent pas comprendre. Il est vrai qu'on leur a livré une histoire contemporaine du pays à travers des mythes, bien souvent mystificateurs ou, alors, à travers des critiques subjectives ou partisanes.

Editée en 1971, la première æuvre de Benhedouga a préfiguré le nouveau roman national de la nouvelle Algérie, à un tournant décisif de son évolution, encore jeune (moins d'une décennie d'indépendance), partagée entre le passé et le futur, entre les tabous et les ruptures, la jeunesse et les anciens, la ville et la campagne, le silence et la vérité (sur les trahisons !), l'amour et l'intérêt.

A l'époque, le roman avait fait un «tabac» sous l'oeil intéressé d'un pouvoir qui cherchait à s'allier les élites...toutes langues confondues (l'ouvrage ayant été rapidement traduit en français par Marcel Bois). D'autant que Benhedouga a une écriture fluide et lisible... et,surtout, qui va droit aux cœurs des lecteurs qui se sentiront, encore aujourd'hui, tous concernés. A noter que c'est, peut-être, le seul écrivain dont personne, à droite comme à gauche, ne conteste la valeur littéraire des œuvres et les qualités de l'homme.

C'est aussi un visionnaire... car ayant assez vite compris que le nœud de la problématique en Algérie... c'est le «guebli», le Vent du Sud.

Avis : A re-lire. Ou, à lire et à faire lire. Un «best-seller» des années 70, mais qui reste, surtout au niveau de sa lecture sociale, d'une brûlante actualité. Bravo, en tout cas, à l'éditeur pour sa politique de re-édition... et ses prix très abordables. La présentation du livre reste cependant à peaufiner.

Phrase à méditer : «Il a été socialiste, il est socialiste, le socialisme... Le socialisme est la forme nominale du verbe ! Tout le monde parle de socialisme en ignorant que c'est la forme nominale du verbe»

Le sommeil du juste.

Un roman de Mouloud Mameri Editions EL OTHMANIA. Alger 2005. 174 pages, 250 dinars.

C'est le second roman (1955), après La colline oubliée (1952), porté à l'écran en 1994, de Da Mouloud. Plus tard, on aura L'opium et le bâton (1965), porté à l'écran en 1967. L'auteur, alors âgé de 38 ans, l'âge mûr, enseignait en Algérie après avoir participé à la libération de la France (campagnes d'Italie, de France et d'Allemagne, ce qui n'est pas peu !). Hélas, et c'est ce qui est rapporté en la forme fictionnelle, dans le roman avec d'autres personnages... Le héros, Arezki, qui a presque le même itinéraire (dans ses grandes étapes), en voit de toutes les couleurs, de retour au pays.

Comme beaucoup d'Algériens, il a cru que la guerre (mondiale) allait amener des bouleversements et des ruptures bénéfiques... à la société, une société, il est vrai, largement bloquée dans ses us, ses coutumes et son «ordre ancien» et vivant dans une bulle entretenue par les administrateurs du colonialisme... pour qu'elle continue à n'être que «rien» alors que le monde avance à grands pas, partout ailleurs. Oubliée la lutte et les sacrifices contre Hitler et la solidarité des tranchées ! «La guerre s'est terminée et rien n'a changé». De retour au pays, la conclusion est claire: il faut tout détruire même si on ne sait pas ce qu'il faut reconstruire... Un autre exil ? Non, plutôt être «libre» en prison qu'être esclave en «liberté». Car, il sait, déjà, qu'un autre combat, vraiment libérateur, a commencé.

Avis : A lire (ou à relire) absolument - en Algérie, en France et en Navarre - si vous voulez améliorer votre français. A lire, aussi, pour se mettre «bien dans la tête», une bonne fois pour toutes, que l'Algérie a eu de très grands, d'immenses écrivains. Et que la littérature algéro-francophone d'hier (et d'aujourd'hui) peut en remontrer largement à celle franco-francophone. Et, bravo pour les ré-éditions à des prix à la portée de tous.

Le Pêcheur et le Palais.

Un roman de Tahar Ouettar (traduit de l'arabe par Amar Abada). ENAG Editions. Alger 2002 (1ère édition en arabe, 1979, sous le titre Hawwat el Qasr). 127 pages, 250 dinars.

Le roman, traduit pour la première fois en français, à l'occasion de «l'Année de l'Algérie en France», est un véritable conte tragico-féérique qui n'a ni temps ni lieu.

Ali, le pauvre mais honnête pêcheur, originaire de la Cité de la Réserve et de la Franchise veut prouver sa fidélité à son Roi (qui venait d'échapper à un attentat (???) et, pour lui apporter un beau cadeau (un poisson, pardi !), il doit traverser six autres Cités, chacune porteuse d'une qualité ou d'un défaut :Dans le désordre, celle des Ennuques, celle des Favorites et de Cocus, celle des Ascètes et de Mystiques, celle des Coliqueux qui passent leur temps à questionner, celle des Ennemis et du Refus, celle de Serviles... Arrivé au Palais, réputé impénétrable, malgré son respect pour le Roi et le système, il est traité «comme il se doit». Mais il ne se décourage pas ! Il reviendra. Re-belote!

Il arrivera, enfin, grâce à sa foi, au peuple des Cités et surtout aux gens du Refus, à réveiller les cœurs et à découvrir, la supercherie... qui finit dans le sang... mais aussi dans l'espoir car les audacieux et les francs gagnent toujours, n'est-ce-pas? Même lorsqu'on est trahi par ses propres frères, issus du même ventre et de la même Cité.

Il y avait quelque chose de «pourri» dans le royaume Ouettarien. Un conte macabre mais tellement réel, hélas. C'est certainement pour cela que le style est direct, sans fioriture, souvent brutal. Une écriture «militante», à qui l'auteur donne un habillage philosophique et poétique. Il est vrai qu'à la fin des années 70, on était libre de... rêver... seulement.

Avis : A re-lire pour ceux qui l'ont déjà lu. A lire calmement et patiemment, pour tous les autres (les francophones en particulier, surtout ceux qui ne portent aps Ouettar dans leur coeur), car c'est un conte assez compliqué, mais ô combien instructif sur la (nouvelle) vie politique de l'époque (à signaler que Houari Boumédiène est mort fin 1978 et une nouvelle «ère» commençait). Sacré Ouettar, tout en étant «contrôleur du Parti»... unique, le FLN, il a su contourner l'écueil. Il est vrai que nos dirigeants ne lis(ai)ent pas beaucoup de livres... sauf s'ils sont édités à l'étranger... et ils étaient beaucoup plus occupés à consolider leur (nouveau) pouvoir. Un livre qui pourrait se transformer en un film grandiose de «cape et d'épée».

Phrase à méditer : «Je suis certain que sa Majesté n 'admettra jamais qu'on lui obéisse d'une façon aussi dégradante. Seulement, est-ce que des sujets qui ont vécu au milieu des ordures peuvent prétendre à la dignité et à l'honneur ?»