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Vrais désarrois, fausses certitudes

par Salim METREF

La scène se déroule à Poitiers, en France. Le choix du lieu n'est ni anodin et ni fortuit. En ce samedi 20 octobre 2012, une centaine de jeunes militants d'un groupe français se réclamant de l'extrême droite accède illégalement sur le toit de la future mosquée, toujours en chantier, de cette ville et lance un appel à la « reconquête » en invoquant Charles Martel et en dénonçant « l'envahissement de la France par l'immigration massive non européenne et le danger d'une islamisation rampante».

L'opération commando semble avoir atteint son objectif. Provoquer l'attention des médias et susciter un élan de sympathie au sein d'une population française à bout de souffle face à un quotidien social de plus en plus difficile et une crise économique dont on ne décrypte pas toujours ni l'ampleur et ni la durée.

 Un climat économique morose et un contexte social délétère rendent ainsi possibles toutes les provocations et toutes les manipulations. Mais cet événement traduit surtout un désarroi bien réel d'une jeunesse française qui se rebelle non pas contre l'ordre établi, comme en mai 68, mais contre l'ordre perdu et qui dit se battre pour « l'identité française, pour la terre, le sang et le retour aux racines ». Le discours de l'extrême droite européenne en général et française en particulier ne change pas d'un iota ni dans le fond ni dans la forme bien que les méthodes pacifiques, sans violence, soient privilégiées, pour l'instant, et tentent de faire oublier les actions conduites à l'explosif comme cela se faisait autrefois notamment contre les foyers Sonacotra et les immigrés algériens. Faire parler de soi, s'approprier les angoisses d'une population française désemparée et inquiète, comme peut l'être l'humanité toute entière par ailleurs, et aller vite dans l'excès sémantique, la stigmatisation tout en restituant toujours les mêmes éléments de diagnostic. Et les analyses sont malheureusement toujours tronquées et amputées d'éléments déterminants. Si la France est malade, il faut dire alors et aussi qu'elle l'est des séquelles de son «empire colonial ». Se plaindre de «l'islamisation de la société française» et de la construction de lieux de culte musulman, c'est oublier aussi de dire que pendant des décennies des musulmans, souvent français, ont accompli leurs prières, presqu'en cachette et dans la quasi clandestinité, dans des caves et des sous-sols. Et la présence de cette nombreuse communauté venue du sud, aujourd'hui stigmatisée parce que de confession musulmane, ne constitue que l'effet boomerang de ces conquêtes, savamment planifiées et que de nombreux écrivains français ont jadis encensées, de contrées lointaines qui n'ont jamais été françaises. Il aurait donc ainsi été préférable de rester chez soi pour espérer rester « soi-même ».

Ces jeunes militants d'extrême droite proclament, dans ce qu'ils présentent comme étant une déclaration de guerre «qu'ils sont la génération de la fracture ethnique,? », stigmatisant les générations qui les ont précédées en disant «vous êtes les SOS Racisme, la « diversité », le regroupement familial, la liberté sexuelle et les sacs de riz de Bernard Kouchner et nous sommes 25% de chômage, la dette sociale, l'explosion de la société multiculturelle, le racisme anti-blanc, les familles éclatées, et un jeune soldat français qui meurt en Afghanistan » et concluant par « ne vous méprenez pas : ce texte n'est pas un simple manifeste, c'est une déclaration de guerre ».

Et ces jeunes français s'en prennent plus à leurs ainés notamment la génération de 1968 dont ils seraient les victimes, « celle qui prétendait vouloir nous émanciper du poids des traditions, du savoir, et de l'autorité à l'école mais qui s'est d'abord émancipée de ses propres responsabilités » et dénoncent ce que d'autres jeunes, ailleurs dans le monde font déjà depuis quelques temps, les effets pervers d'une mondialisation qui prend les peuples à la gorge et les pousse à l'agonie.

Ce groupe qui se veut une communauté de combats où des jeunes garçons et des jeunes filles proclament la reconquête de leur identité en danger de dissolution dans le melting-pot sulfureux qu'est devenue, selon eux, la société française exhibe, sans honte dans son action le nombre 732 en référence à Charles Martel et à la bataille de Poitiers, comme l'étendard de son combat. Les conséquences néfastes de discours politiques qui attisent les haines entre les communautés comme ceux récemment entendus à propos du pain au chocolat des écoliers français pendant le Ramadan, les effets dévastateurs que continuent de produire dans l'inconscient collectif de la société française les tragiques événements de Toulouse ainsi que le refus d'assumer une quelconque concession, même exprimée officiellement, à la reconnaissance d'événements tragiques de l'histoire de France, la répression sanglante d'octobre 1961 n'était pas une conspiration des médias mais bien une réalité incontestable toute comme l'était la rafle du vélodrome d'hiver ont sans doute également inspiré cette action.

La justice française vient de mettre en examen quelques membres de ce groupe d'extrême-droite et de retenir contre eux le délit d'incitation à la haine raciale.

Il devient désormais, de plus en plus dur aujourd'hui d'être musulman en France et même, il ne faut pas se faire d'illusions et les mots ne sont que des mots, d'être musulmans de France. S'il est légitime pour de larges franges de la population française de défendre leur pays, qui ne le ferait pas pour le sien, et de constater comme le disaient certains militants d'extrême-droite « qu'en termes d'immigration, la bergerie est pleine et trop c'est trop ! », s'il est légitime aussi qu'une jeunesse française inquiète de l'avenir se retourne vers ses ancêtres et vers son passé pour «mieux avancer et mieux affronter les chemins sinueux qui s'annoncent», quelle jeunesse n'éprouverait pas les mêmes appréhensions face à un siècle d'angoisses et d'incertitudes, il serait néanmoins insensé et illégitime de continuer toujours de croire que l'enfer c'est toujours les autres et de rêver de temps révolus. Les peuples jadis soumis et colonisés se sont depuis émancipés bien qu'ils continuent, pour certains d'entre eux, de subir encore les effets insoupçonnés du colonialisme. Et il y a des dates symboles qui n'ont pas toujours la même signification. Poitiers constitue une étape dans un contexte historique qui n'est plus celui d'aujourd'hui. Le combat pour le respect de l'Islam en France sera probablement porté un jour par des français de souche convertis à cette religion. Quant à l'immigration, elle a ses raisons historiques que tout le monde connait.

Et de ce coté-ci de la Méditerranée, en cette Algérie bénie du Ciel, et puisque les cicatrices ne sont toujours pas refermées et ni guéries, il y a aussi des repères historiques qui vous remplissent de fierté, que vous pouvez exhibez sans haine et sans passion et qui vous poussent chaque jour que Dieu fait à aller encore et toujours de l'avant. Comme celui de ce cinquante-huitième anniversaire du déclenchement d'un combat libérateur pour l'indépendance d'un pays et l'émancipation d'un peuple. En ce 1er novembre, date commémorative de cet événement, souvenons-nous, pour mieux comprendre ce qui vient, de celles et de ceux sans lesquels nous n'aurions pu être ni libres, ni nous réapproprier ce pays qui est le nôtre et ni pouvoir y vivre en paix. Et cela, il faut le dire malgré les aléas, les vicissitudes et les difficultés du présent, les trahisons et les reniements des uns et parfois les désillusions des autres. Et le redire aussi en continuant d'espérer d'un monde meilleur pour tous et de croire aussi en l'amitié et la concorde entre les peuples!