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Ces walis qui perdurent

par M. Hannoucha

Avoir plus de vingt ans en qualité de wali n'est pas une prouesse professionnelle mais presque un partage du pouvoir divin (cherk billah).

Ils sont pour la plupart essorés et déshydratés. L'on ne peut en faire avec un avenir radieux. Le ministre de l'intérieur rassemblant par intermittence les walis du pays a eu à expliquer davantage les objectifs assignés aux multiples opérations civilement salutaires lancées récemment. En dehors de leur contenance, ces taches qui consistent en l'organisation des espaces commerciaux, la salubrité publique et l'amélioration du cadre de vie sont depuis l'indépendance l'apanage de ce personnel. Elles connaissent de temps à autre une régulation plus ou moins accentuée. Tantôt on se presse au pas de les ré-accomplir et les corroborer, tantôt paix oblige ; on ferme l'œil et on continue dans la placidité quotidienne. Cette fois-ci le ministre est allé au fond des choses. Les constructions inachevées vont prendre le dessus sur celles illégales. Elles balafrent le paysage par ce gris et ce brique-rouge, devait-il assener. Les parkings sauvagement gardés sont à inscrire dans la feuille de route de ces commis de l'Etat. Ils sont ainsi sommés pour une énième fois à rendre plus dynamique leur présence. Il est de ces walis qui commettent comme aussi de ceux qui s'omettent. La différence n'est pas de taille territoriale ni de toise ; elle est tout simplement visionnelle. Certains prennent leur humeur pour une norme de gestion.

« Il y a des walis bâtisseurs et des walis consommateurs » la sentence est la déduction d'un ex-ministre de la république. Mais il y a aussi des walis « suiveurs » de l'humeur liée à l'actualité à laquelle ils font tout pour s'y ajuster et d'autres qui, « accrocheurs » font tout pour y être dans la température du jour.     La nature a également ses humeurs. L'âge et l'indisponibilité peuvent aisément s'ériger en des facteurs bloquants. Quant à l'inadaptation managériale au moment, elle semble caractériser une grande partie de ces hauts agents de l'Etat.

L'on n'a pas idée à faire dans l'innovation et le modernisme quand on a commencé sa carrière de wali au temps où le portable n'était pas encore en vogue et l'internet un jeu de bourgeois et que l'on s'attribue maintenant des vertus à pouvoir maitriser le flux des jeunes qui en usent abondement.

A se demander si ces gens, qui se bousculent dans le maintien de leurs postes savent bien digitaliser, déchiffrer un mail, s'épanouir dans un chat ou sur un blog, écrire sur un mur, twitter et accepter les spams indésirables ? Le langage n'est plus identique, les valeurs aussi. Eux ; ils font des recherches dans la tête des chauves, dans les archives moites, dans les créneaux rentables. Les autres, jeunes ; ils le font dans Google, Lycos, Wikipedia, Mozilla et autres navigateurs. Si les premiers nagent à vue d'œil, les seconds surfent à vue libre. Le fossé est immense, hélas. L'on a pu en faire de copies conformes à l'original, au moment où cet orignal s'est déprécié, jauni, altéré au fil du temps et par inadaptation aux changements climatiques et de conditionnement. Par conséquent il y a des walis par défaut, des walis par incidence et d'autres par à-propos. Ces derniers agissent dans la « sollénelité » sans tapage pour contenir mieux l'ardeur populaire. Ce sont les formules les mieux adaptées du contrat-programme au logement, après les droits d'auteur du LSP qui ont fait taire à jamais les sit-in usuels et incessants devant leurs cabinets.

Cette trompe de walis ne s'agite pas. Elle garde la tête froide au moment où toutes les têtes s'échauffent. A des époques distanciées, être wali n'était qu'un challenge personnel. Il y avait de ces walis qui auraient sans doute marqué les annales de la collectivité nationale. Daho en fut l'un de ceux qui avaient alors façonné un tant soit peu la fonction préfectorale républicaine. Son secrétaire général l'est également. Flanqué à ses cotés il scrutait impérialement l'audience du jour dans ces conclaves régionaux. C'est par un regard silencieux, serein et pédagogue qu'il semblait régir la police de la salle. Une main portée à sa joue est un signe à quelqu'un, deux mains portées à son visage sont une alerte générale. L'on a dépassé la gestion à distance, on est en pleine gestion silencieuse. La gestion par pensée. La télépathique existe dans l'intérieur de chez nous.

Avoir été wali des années durant et l'être toujours peut causer des dysfonctionnements de la machine humaine. A une ère où le papier-calque faisait office de révolution dans la fourniture de bureau, où la ronéo était un matériel fortement sensible ; le wali était un costume sombre, chemisé en col blanc et esprit dactylographié. Le temps actuel du clavier digital, des imprimantes à rayon laser et de la communication en système wifi est un lourd handicap pour certains. Le costume est toujours sombre, la chemise neuve mais blanchâtre autant que le sont les tempes et la crinière s'il en reste quelques touffes. Cependant certains de ces grands commis de l'Etat conservent toujours cet instinct de pouvoir rallier prestance et élégance. Sourire au lieu de grogner est la vertu des grands. La modestie un signe de seigneurie. Gérer n'est pas pouvoir gueuler ou savoir faire la gueule. Encore loin d'imposer son avis décoloré et trop administratif le plus souvent obsolète et irradié par la nouveauté et la technologie urbaine. Daho Ould Kablia, les réunissant semblait leur dire soyez dans le cœur du citoyen, pensez-y loin de toute doctrine faisant fi de son avis. A juste titre à un wali qui l'apostrophait à propos de ces étals de fruits qui pullulent le long de l'autoroute et sur les berges des routes nationales mettant ainsi par leur vente directe, la vie des gens en danger ; le ministre n'eut pour éléments de réponse que de narrer un lointain souvenir alors qu'il était wali à Oran « à ce moment on devait recevoir une délégation de la RDA. Apres un circuit de visite de sites industriels et économiques, le chef de délégation n'eut pour seule interpellation, en dehors de tout ce qu'il a vu que le souci de savoir la nature de « ces monticules de choses vertes et jaunes qui garnissaient la route ?» il s'agissait en fait ; d'étals de pastèques et de melons » devait-il dire. Morale du ministre : ce sont là de belles images appréciées car authentiques et traditionnelles qui nécessitent juste une réorganisation formelle sans pour autant recourir systématiquement au bâton de l'interdiction. Comme l'aurait suggéré ce wali.

En face des walis, Ould Kablia parlait aussi en citoyen. Il dégageait un vœu de voir un pays prospère selon les bonnes coutumes nationales. Il mesurait la teneur de toutes les mesures énoncées, c'est pourquoi il insistait à vulgariser davantage la philosophie dynamisant leur contenu. L'écart entre la mesure et son application a parfois des effets pervers. Son insistance dans la terminologie des vocables usités faisait de l'égérie. Il ne parlait pas « d'éradication » mais « d'absorption » des marchés informels. Comme un métronome il soupesait commodément ses mots et faisait plonger ses walis dans une actualité fortement controversée ne serait-ce qu'au plan des concepts. Le ministre veut un réaménagement des espaces et non un remue-ménage. Parlant de justice, il aurait été inutilement désapprouvé pour avoir eu dans le sillage de la lutte contre la criminalité à commenter une résultante judiciaire. Mais depuis quand le commentaire d'arrêt est-il interdit ? Ailleurs c'est un module du cursus universitaire. Le ministre, me semblait-il n'avait pas condamné une quelconque décision de justice, mais tout juste il en a fait un commentaire. A un autre wali d'une autre époque qui baignant joyeux dans son bilan enthousiaste, s'essayait à ramener l'adhésion du ministre vers sa façon de régler en coupe la contestation populaire en usant de deux méthodes la communication et la force publique ; Daho comme vieux routier renchérit impassiblement « dites la force publique en premier ! » le gloussement de la salle devait assécher plus d'une langue. Il fallait transvaser la priorité des moyens aurions-nous compris de la part du ministre de l'intérieur. Par contre quand il s'agissait de suggestions louables, le ministre ne s'empêchait pas de corroborer la proposition. Tel fut le cas de ce wali qui voulait mettre en valeur les centaines de locaux inexploités garnissant inutilement le bas des blocs des centaines de logements édifiés par les organismes étatiques d'entre OPGI, agence foncière et EPLF et que toutes les adjudications les concernant se sont avérées infructueuses. Le bon sens supplante parfois le règlement, si l'urgence défie l'attente.

Encore qu'en matière de dynamisme économique local, l'inscription d'actions communales sur concours temporaire ne ferait que croitre la potentialité municipale devait proposer un autre wali, paraissant avoir un net rapport citoyen avec les réalités de son gouvernorat. Ainsi de la diversité d'avis s'ouvre la multiplicité des solutions.

A défaut de garde-fous statutaires, de critères de sélection et d'appoints compétitifs, le wali restera pour longtemps un otage volontaire d'un régime. Malgré ces éclats négatifs, les contraintes majeures, les risques à prendre et l'imprécision de l'avenir ; l'on continue à se bousculer certainement et toujours au portillon de ce poste.

L'expérience tient à confirmer par pièces que le danger d'éclaboussure, d'emprisonnement et de dégât personnel plane sur la tête des walis que sur celle des autres, davantage responsables, ministres, moins de ministres ou plus attenants. En fait personne ne se sent à l'aise ni à l'abri d'une telle révolution. Le foncier leur est devenu une terreur de gestion au moment où l'investissement leur est une priorité. La dépense publique, une crise de consommation au moment où le plan de relance économique leur est un objectif.

La corruption, le détournement de deniers publics, la concussion, l'affairisme et la dilapidation du foncier sont les pires reproches que craignent tous les détenteurs de la puissance publique. Ainsi dans les arcanes du pouvoir il est parfois plus facile de devenir ministre que wali. De la sorte ; le poste de wali est donc le pivot le plus important sur lequel repose l'Etat, sinon la république. Son domaine brasse tous les secteurs. Des événements de droit ou de fait, il en sera responsable. L'ordre public, le pain, l'eau, le toit, la quiétude civile sont autant d'espace d'attributions que ses droits arrivent à peine d'être dissociés de ses obligations.

Le pouvoir local prétend-on est assez rétréci et limité pour les walis. Le concept de la forte décentralisation, certes n'est pas encore arrivé à maturité tant les attelles centrales ne veulent pas se soumettre à une exigence, d'ailleurs impérative à peine d'étouffement du circuit de la décision et qui consiste en un besoin populaire de localiser, rendre proche le verdict dans l'issue des tracasseries administratives. Renforcer le pouvoir du wali par la wilayisation de certaines attributions dévolues sans conteste à une autorité centrale perçue le plus souvent comme une relation personnelle ou une intimité corporatiste, n'ira pas à dégarnir davantage les quelques fonctions attributives rattachées à un maire le plus souvent soumis au fins désirs d'un wali en mal de déversoir d'impudence. Lors du conclave de Constantine un wali avait attiré l'attention du ministre de l'industrie présent, sur la centralisation effrénée de la gestion des zones industrielles. Avec arguments à l'appui, le ministre finira par promettre de lâcher du lest. Un wali n'avait nul besoin, si pour « dégourbiser » un ensemble de taudis il lui faudrait rassembler toute une kyrielle d'autorisations auprès d'une ou plusieurs autorités sises à Alger.

Le wali, devra jouir de sa qualité de dépositaire légal de l'autorité de l'Etat. Ainsi cette définition le plaçant au-dessus d'un simple représentant de gouvernement, devrait lui permettre d'agir au sein de sa circonscription territoriale ; comme le ferait le président de la république au sein de toutes les circonscriptions nationales. La notion de wali-président suppose un cadrage de missions et un arrangement constitutionnel allant jusqu'à l'octroi de droits localement similaires à ceux exercés par le président de la république. Le droit de grâce pour les menues contraventions ? Le dégrèvement fiscal ? Un regard actif de droit et non un droit de regard théorique dans un certain champ d'application de la loi ? Cette entité plénipotentiaire dans le démembrement des rouages de l'Etat qui tout de même est conforme à l'ombre de la conception préfectorale napoléonienne, manque d'un cadre juridique et descriptif de profil, d'aptitude et de compétence. Elément de l'un des plus grands corps de l'Etat, le wali par manque de statut particulier, est assimilé à un fonctionnaire d'un rang hiérarchique supérieur, faisant de hautes fonctions au même titre, mise à part le mode de désignation et la différence de solde ; qu'un directeur d'exécutif.

Est-il un personnage politique non partisan, un manager gestionnaire ou un simple mais haut fonctionnaire? Le tempérament, le comportement et la carrure d'un wali sont, en l'absence de critères intrinsèques ; une affaire de personnes. L'intempestivité de l'un est saisie chez l'autre comme une atteinte à l'obligation de réserve qui sciemment indéfinie ; porte, elle aussi des délires à tout le monde. La gentillesse managériale n'est pas incompatible avec l'exercice du pouvoir, et pourtant l'écart de langage, le mépris des autres, ou l'autoritarisme excessif ne seraient pas comme cursus pédagogique à faire incruster dans le manuel éducatif des walis. Il n'y a pas de pépinière de walis. On les pioche à des exceptions ; de partout et d'ailleurs. Et l'on se pose ainsi la question de savoir si le wali est un métier ou une mission, une charge ou une faveur ? Au grand bonheur de certains, depuis quelques années le futur wali est toujours à coté d'un wali en poste. Secrétaire général, Wali délégué ou chef de daïra. Là aussi le compte n'est toujours pas bon. Beaucoup de mesures et plusieurs poids existent dans la pesée de passage.

En somme, autant pour les walis que pour les autres commis de l'Etat, l'application de la loi diffère, dans son esprit d'un moment à un autre, d'une personne à une autre. Tous se débattent avec ou sans peine dans la complexité d'une fonction. Contenue dans une âme et un corps, la personne subit à la fois les foudres dues à son apparence et le déchirement tacite et interne. Face à la gloire subsiste la déchéance, face à la charge subsiste l'oubli et face à l'empire demeurent les ruines. Il y a tellement de sécheresse littéraire à propos de walis, que seules les frasques, l'extravagance et l'inouï qui leur font défrayer la chronique. Même l'aspect juridique demeure sous un chiche traitement. En dehors du code de la wilaya, de la commune et de certains renvois à des textes législatifs et réglementaires, le wali ne crée pas de la verve et n'inspire personne. Cependant, en cas de chute, les langues se diluent, les unes se grossissent. Au même moment, il existe des walis qui font de l'accompagnement du consensus environnant leur sacerdoce. Ils n'obligent pas un architecte patenté à peindre de telle couleur telle façade. Ils savent écouter, cerner les problématiques, engager la concertation, prendre les avis et ensuite décider pour mieux assurer le suivi jusqu'à exécution. Il ne vous effleure pas l'idée alors que le ministre de l'intérieur et celui de l'agriculture demandent à veiller à la préservation des sols et des terres agricoles, que des coupes de 100 hectares de terres à haute valeur sont à projeter en des esplanades de show-room !

En vérité, à défaut d'un statut adéquat voire d'une protection statutaire eu égard à l'importance pyramidale qui les caractérise au niveau du sommet déconcentré de l'Etat, ce personnel ne semble pas bien dans sa peau. La situation de ces ex-walis qui sont en prison ou sous contrôle judiciaire, n'absout pas de facto l'Etat d'une partie de la responsabilité qui leur incombait. Car ces walis agissaient et devaient ainsi agir en conformité des lois et règlements. Attribuer des logements, des locaux, des lots à quiconque leur fut un droit réglementaire, que seuls, à défaut justement de critères objectifs; des critères subjectifs y prévalaient.

Bref, tous sont venus volontaires. Mieux, après moult intercessions en leur faveur. En plus du parrainage qui reste l'ultime manifestation du principe sacro-saint de la fonction publique en matière de nomination aux hautes fonctions, soit le pouvoir discrétionnaire.

Nonobstant cette position à l'allure enviable, l'imagination et la mise à leur place révèlent que le dégoût et le mal-vivre épluchent comme un cancer, les journées moroses et emplies de ces grands locataires des plus magnifiques bureaux de tous les chefs lieux. La retraite ou la mise à l'écart ronge leurs nuits jusqu'à les rendre insomniaques. Monsieur le président de république, par devant 35 millions d'algériens a tout l'embarras du choix de pouvoir y extraire 48 walis tous élégants, beaux, relativement jeunes et surtout résolus à ne pas perdurer.