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Sommet des chefs d'Etat des «5+5 » : Le dossier «Défense et sécurité» est le plus avancé

par Nordine Azzouz

Ancien officier de haut rang de la marine française, Jean-François Coustilliere est aujourd'hui consultant indépendant sur les questions de relations internationales en Méditerranée.

Dans cet entretien, il revient à l'occasion du sommet des chefs d'Etats des «5+5» qui se tient les 5 et 6 octobre prochains sur l'avenir de cette initiative ainsi que sur les grandes questions liées à la Méditerranée occidentale. Son observation principale est que tous les dossiers soumis aux pays partenaires c'est celui de la défense et la sécurité qui avance le mieux sans compter ceux relatifs à l'immigration, aux transports et à l'environnement.  

Le Quotidien d'Oran : Les «5+5» se rencontrent en ce début du mois d'octobre à Malte. Pourquoi le choix de ce pays ?

Jean-François Coustilliere: La rencontre programmée en ce début du mois d'octobre à Malte n'est pas une rencontre ordinaire.

Il s'agit du 2ème sommet de l'initiative 5+5, le premier ayant eu lieu à Tunis les 5 et 6 décembre 2003. Ces sommets, à l'inverse des conférences annuelles des ministres des Affaires étrangères du 5+5, rassemblent les chefs d'État et de gouvernement concernés. La décision de la tenue de ce 2ème sommet fait suite à la volonté exprimée par les ministres lors de leur réunion annuelle du 16 avril 2010 à Tunis (8ème réunion des ministres des Affaires étrangères du Dialogue en Méditerranée occidentale 5+5) «d'œuvrer en faveur de la tenue d'un sommet 5+5 fin 2010 ou début 2011», prenant note de la proposition de Malte de l'accueillir.

Bien sûr, les révoltes arabes de 2011 ont retardé la réalisation de cet engagement.

Dès le 20 février 2012 à Rome, lors de la 9ème réunion des ministres des Affaires étrangères du Dialogue en Méditerranée occidentale 5+5, Malte confirmait son intention d'accueillir le 2ème sommet des chefs d'État et de gouvernement et proposait les dates des 5 et 6 octobre 2012.

-Le Quotidien d'Oran : Qu'est-ce que ce rendez-vous peut-il apporter de nouveau en ce qui concerne les chantiers dans lesquels sont engagés les pays partenaires de la façade occidentale de la Méditerranée ?

Jean-François Coustilliere: Les pays partenaires de la façade occidentale de la Méditerranée sont aujourd'hui concernés par diverses initiatives:

- Processus de Barcelone

- politique européenne de voisinage (PEV)

- l'union pour la Méditerranée (UpM)

- et enfin l'initiative 5+5

Force est de constater que l'UpM est mort-née.

Le Processus de Barcelone et la PEV sont fortement bridés par les différents conflits au Proche-Orient.

L'initiative 5+5 apparaît comme l'une des initiatives en Méditerranée encore susceptible de créer de la confiance.

Le sommet lui-même n'a pas pour objet d'apporter des nouveautés, en revanche on peut en attendre l'expression d'une volonté politique commune au plus haut niveau qui dynamise les divers dossiers de cette initiative. Il convient cependant de souligner une originalité : il semblerait que le président de la Commission européenne soit invité, comme il l'avait été lors du 1er sommet, et que cette fois-ci, les secrétaires généraux de l'UpM et de l'Union du Maghreb (UMA) arabe le soient également.

Cela me semblerait être un signal politique fort.

-Le Quotidien d'Oran : Quels sont les dossiers qui ont selon vous le mieux avancé ? Et pourquoi ?

Jean-François Coustilliere: Le dossier le plus avancé est certainement celui de la Défense et de la Sécurité. Les dossiers immigration, environnement et transports continuent de progresser.

 Je crois que les raisons du succès du dossier Défense et de la Sécurité tiennent à la fois à la méthode adoptée, au pragmatisme des thèmes de coopération retenus, mais aussi à l'habitude qu'ont les militaires des dix pays concernés de travailler à l'international, sans que cela ne soulève de réserves sur le plan des fonctionnements internes.

Le Quotidien d'Oran : C'est pourquoi je préconise un rapprochement entre les ministères au sein de chacun des pays, afin de partager ce savoir-faire.

Jean-François Coustilliere: -«Travailler ensemble» est un vieux rêve méditerranéen contraint et bloqué par le conflit israélien. Depuis 2010, c'est le « printemps arabe» et les frayeurs qu'il charrie auprès des Etats concernés de la rive sud qui semble s'ajouter aux écueils existants. Qu'en pensez-vous ? Ne va-t-il pas aggraver la mise en attente de la démarche «5+5» et la confiner dans son cadre informel ?

Certes les révoltes arabes n'ont pas simplifié les relations internationales à court terme. Les pays qui, à des rythmes différents, accèdent à des formes démocratiques de gouvernance suscitent des réserves chez leurs voisins qui n'ont pas évolué sur le plan de la démocratie. Mais la réserve à l'égard de ces pays existe aussi de la part des pays du nord. Par ailleurs de nouvelles crises ont éclaté, par exemple la Syrie.

Enfin, la crise économique qui affecte particulièrement durement les pays méditerranéens de l'Union européenne n'est pas un facteur favorable au développement de nouveaux axes de coopération. L'initiative 5+5 peut voir sa progression affectée. Une chose est certaine, c'est que si le 5+5 se voit freiné par ces différents facteurs, ce ne sont certainement pas les autres initiatives qui décolleront. Je crois que la démarche de l'initiative 5+5 appartient au domaine du faisable, si la volonté politique est là pour la soutenir. Le 2ème sommet du 5 + 5 en octobre 2012 peut constituer ce soutien. D'autant plus qu'il devrait être suivi d'un autre sommet en décembre en Tunisie, cette fois, celui de l'UMA.

Le Quotidien d'Oran : Le fait que l'initiative 5+5 soit réputée confinée dans un cadre informel -ce qui mériterait d'ailleurs d'être expliqué plus précisément- me paraît plus un facteur de force qu'un facteur de faiblesse.

Jean-François Coustilliere: Il convient de souligner que lors de leur 9ème conférence annuelle à Rome, les ministres des Affaires étrangères ont souhaité consolider et approfondir l'initiative 5+5 dans de nouveaux domaines : lutte contre les trafics illicites, sécurité alimentaire, société civile, institutions régionales, coopération décentralisée, collectivités locales, etc.

-Le Quotidien d'Oran : Vous avez publié il y a plusieurs mois un ouvrage collectif où vous considérez que les «5+5» connaissent une dynamique et un rebond. N'est-ce pas un constat trop optimiste d'autant que depuis 2010 c'est plutôt la panne ?

Jean-François Coustilliere: L'ouvrage a été publié fin 2011, après les révoltes arabes.

Simultanément apparaissait la volonté de la relance de l'UMA. Les divers dossiers du 5 + 5 reprenaient également leurs réunions. Le rebond me paraissait et me paraît toujours d'actualité.

Enfin, dire que «depuis 2010 c'est la panne» me semble être un constat pessimiste, notamment quand on observe les projets effectués dans le dossier Défense et Sécurité.

-Le Quotidien d'Oran : Quels sont les scénarios d'avenir ?

Jean-François Coustilliere: Deux scénarios selon moi:

- Les tensions, différends, crises et conflits affectent l'initiative 5+5 comme ils affectent les autres initiatives. Dans ce cas, la rive Nord abandonnera toute volonté de coopération avec les rives Sud et Est pour se replier sur elle-même, forteresse uniquement préoccupée par ses difficultés économiques qu'elle essaiera de résoudre en se projetant vers l'Est de l'Europe et l'Asie. La Méditerranée disparaîtra des sujets d'intérêt de l'Union européenne, tandis que les riverains Sud et Est ne seront plus appréciés qu'à travers l'enjeu de sécurité au sens restrictif du terme.

-La volonté politique des partenaires de l'initiative 5 + 5 suffit à dépasser leurs différends. L'initiative 5+5 deviendra alors l'espace de coopération Sud/Nord en Méditerranée, selon des méthodes originales, sur des sujets pragmatiques et en fonction des besoins réels des partenaires.

L'initiative 5+5 confirmera sa capacité à être un partenariat réel, respectueux de chacun de ses partenaires. Elle constituera alors, à cet égard, non seulement une démarche productive pour les partenaires, mais aussi un véritable laboratoire pour les autres initiatives méditerranéennes.