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Sila 17 : salon, foire ou braderie ?

par Belkacem AHCENE-DJABALLAH

En 2007, on eut une bonne nouvelle. Plus de 1 000 livres ont été édités et près de 1 200 exemplaires de chaque titre ont été acquis par l'Etat afin d'être distribués au niveau de chaque wilaya afin de meubler (gratuitement) les bibliothèques municipales et autres.

L'opération a été renouvelée en 2008?.et après. Dieu soit loué ! On avait espéré alors que notre administration ne s'enfermât point dans le chiffre mille (1000) ! Et, surtout, que le livre ne soit pas « détourné » comme tant d'autres produits de nos jours (ou, comme au «bon vieux temps », celui de la Lecture publique , une initiative assez formidable et généreuse des années 70 qui a très vite glissé dans le détournement, dans l'importation de bas niveau et dans la ré-exportation illicite des ouvrages de valeur importés). On avait souhaité que le marché, « garanti », ne pousse pas à la création de maisons d'édition de circonstance, éditant n'importe quoi, n'importe comment? et n'importe qui (aujourd'hui plus de 250?. alors qu'il y a peu, il n'y avait qu'une toute petite cinquantaine). Et, que les maisons « bien assises » ne tombent dans la facilité commerciale axée sur la re-édition d'œuvres anciennes (religieuses, politiques ou philosophiques, para-scolaires,) déjà connues, lues et relues (es) et n'ayant de valeur que pour les comptables ou les « tab djnahoum ».

On avait espéré que l'opération étatique crée un mouvement porté par les éditeurs eux-mêmes qui ne devaient pas s'endormir sur cette « aide» indirecte de l'Etat, et qui devaient s'ouvrir à une production plus large (on dit bien la production et non la simple re-édition) , utile par la qualité de son contenu , plus populaire dans ses objectifs commerciaux donc à la portée des bourses petites et moyennes; mouvement appuyé par les écoles , les collèges et les lycées , bref par tous ceux , petits et grands qui savent déchiffrer une phrase écrite d'abord sur du papier ?..et non sur un écran : en arabe, en français, en tamazigh?et même en chinois. Pourvu que ça lise !

L'espoir était d'autant plus grand que l'on avait noté l'ouverture (du moins à Alger) de nouveaux espaces de vente de livres? espaces que l'on appelle librairies, tant il est vrai que le terme de buralistes avait pris le dessus. Cependant, il fallait surtout ne pas retomber dans les erreurs du passé, erreurs qui avaient entraîné la baisse quantitative de la consommation et, par contrecoup, la dérive qualitative de la production et, peu à peu, la marginalisation de la création littéraire.

A mon sens, l'erreur avait été de laisser (puis donner, après la « liquidation » de la Sned, entre autres) la commercialisation du livre être prise en mains beaucoup plus par des commerçants que par des « intellectuels », ou par des « intellectuels » devenus assez vite des « commerçants » (c'est un peu l'histoire des salles de cinéma « concédées » aux Apc qui s'est répétée). Il fallait, en tout cas, confier la commercialisation du livre à des personnes d'un niveau culturel bien au-dessus de la moyenne générale et qui aiment le livre?. le beau, le bon. Des personnes formées qui vous accueillent avec respect et considération dans un cadre propre et bien agencé, qui vous conseillent et vous orientent, qui ne grimacent pas lorsque vous n'achetez pas, qui vous disent merci lorsque vous achetez un livre, qui vous mettent de côté votre auteur préféré?Allez du côté de la Grande poste d'Alger, chez les marchands dits ambulants (livres d'occasion dans des étals de fortune) et vous rencontrerez de bons exemples de gens connaisseurs et affables Beaucoup de QUI, qui attirent, fidélisent et rentabilisent. Bien de QUI, qui sont des sortes de « charges de service public » ou d' « intérêt général ».

Je me souviens avoir entendu le responsable d'une entreprise publique, qui venait d'inaugurer, en son temps, une librairie en plein centre de la Capitale, dire que l'entreprise allait aider les jeunes à ouvrir une librairie. Louable intention? dont on attend encore la suite effective ! Peu probable, sa propre boutique croulant aujourd'hui sous la poussière, les invendus et l'ennui.

Ce qui est certain, c'est qu'il ne faut pas considérer une librairie comme un simple lieu de commercialisation mais aussi et surtout comme un lieu de culture, de rencontres et d'échange d'idées. Hors cela, la fonction dérape assez rapidement, avec l'adjonction, au livre, des journaux puis des brochures de cuisine, puis des Cd, puis des parfums et des cosmétiques?. Un choix sévère est donc à faire : par les éditeurs et les diffuseurs de livres (qui doivent , aussi , se voir imposer des « charges », comme l'a d'ailleurs proposé un éditeur, alors président du Syndicat national des éditeurs ) , par les libraires eux-mêmes? et par l'Etat, le ministère de la Culture en l'occurrence. Ensemble, au sein d'une sorte de Conseil supérieur consultatif du livre et de l'édition (On savait qu'un Centre national du livre a été créé. Où en est-on ?) , ils pourraient aller jusqu'à imposer des règles et des normes, une sorte de cahier des charges dont le strict respect donnerait certains avantages et des aides étatiques?..qui ramèneront le livre à la portée des bourses petites et moyennes, celles qui font les succès populaires, les succès qui durent (au-delà et en dehors des foires et expositions) et qui poussent à enfanter les grandes œuvres. Le reste coulera de source ! Une critique moins portée sur le sensationnel et le livre des «copains ». Plus pédagogique et moins pédante ! Qui aidera à attirer pour vendre plus d'exemplaires au maximum de gens qui savent lire. Des journaux qui ouvrent leurs pages ! Des prix et des concours multipliés et bien pourvus en récompenses!

L'ouverture d'espaces publics destinés à la vente (ou à la location) du livre d'occasion ! Des Salons qui ne transforment pas en Foires ! Des Foires qui ne deviennent pas des braderies !

Des tirages qui ne seront plus faméliques, sinon ridicules (avec des moyennes de 3 000 ex pour les plus introduits..... et, dit-on, bien moins en langue arabe) dans un pays qui se targue d'avoir scolarisé une assez bonne partie de son peuple ! Des écrivains, des romanciers et des essayistes (saisissez la nuance pour qu'il n'y ait plus ce mélange douteux que, pour l'instant, seul Boudjedra a su , à sa manière bourrue pour ne pas dire brutale, dire ou « dénoncer ») qui , pour ne plus être obligés à « pisser dans le sable », pour paraphraser Amin Zaoui, n'exileront pas leur talent ! Et, enfin, de véritables rencontres littéraires entre Algériens afin de « mettre à plat » les concepts , les expériences , les visions de la chose littéraire et , surtout , éviter les polémiques interpersonnelles qui nuisent à l'image des écrivains et des romanciers et qui n'arrangent , en fin de compte, que les écrivaillons et les écrivassiers d'ici ? et d'ailleurs

Alors, ce ne seront pas 1001 titres qui fleuriront et 1 001 livres qui s'éditeront, mais bien 10 001. L'Algérie aux (presque) 201 milliards de dollars de réserves de change le mérite amplement.