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LE SALON QUI CACHE CE QUE CACHE LE LIVRE

par El Yazid Dib

« L’importance d’une bibliothèque « salon » n’est pas dans le nombre de livres qu’elle contient, mais dans le nombre de livres lus » Vladimir Lénine

Sans oser attenter à la solennité du lieu ou à l’esprit intrinsèque de l’événement, tout salon n’est que confort d’assise et d’abandon aux nonchalances du cuir et du velours des sièges et sofas. Dans une administration un salon cache un bureau, dans une entreprise, l’exposition dissimule la machine de production, dans une justice il éclipse la balance et que divulgue-t-il enfin dans la vente de livres ?

La foire dans le livre ou le livre dans la foire, ça revient au même. C’est-à-dire une kermesse où le premier profit est le profit. Entre l’éditeur et l’écrivain le fossé n’est fait que du nombre de feuillets, du bristol et de l’encre usitée. Ce folklore paginé ne profite qu’aux industriels de la barbotine alfatière. Méditer neuf fois sur le sort du monde de l’édition, de ses arcanes et de ses sous n’est pas une bagatelle de  lecteurs studieux et assidus ou de grands bibliophiles. C’est un monde où se disputent l’art et l’intérêt, la gloire et le gain. Ainsi un amalgame vient chaque année pour s’instaurer dans l’idée génésiaque présidant à l’organisation d’une  exposition commerciale. Le public est confondu. Enfants à la recherche de manuels scolaires, avec une croyance ferme qu’il pourrait s’agir là d’une kermesse à bas prix ; se pressent en compagnie de mères dont le seul souci réside dans l’économie des frais de fournitures scolaires. Ceci est corroboré par la simultanéité chronologique du salon et de la rentrée scolaire.  

Les autres, rares mais plus avertis et habitués sont préparés à épier les nouveautés dans le rang des best-sellers nationaux ou étrangers. Les libraires peu nombreux emplissent l’étagère beaucoup plus par du papier-fort et des boites de couleurs que des dernières œuvres littéraires. Chez eux aussi le spectre de l’informel fait ravage. Derrière chaque libraire se cache un éditeur. Derrière chaque grand éditeur se cache une grosse machine d’imprimerie. Le plus gros de l’âme d’un livre ne se situe plus dans le fil romanesque qui ‘anime mais bel et bien dans le vacarme des rotatives toussant de jour comme de nuit.  

Le réseau de distribution ressemble étrangement à celui qui se pratique dans l’agro-alimentaire.
 
Les retards de livraison, les crédits à la vente, le défaut de paiement, le retour d’invendus font la même scène que s’il s’agissait de pomme de terre ou parpaings bitumeux. Ainsi pour paraphraser un ami en butte à l’édition l’on saura bien dire que «  derrière chaque livre, il existe une grosse affaire d’argent » pas pour son auteur, mais pour son fabricant.

S’il y a un mérite qui existe dans ce salon, c’est qu’il met en relief timidement de nouveaux noms. Ceux à qui le monde de l’édition demeure un obstacle plus saumâtre et laborieux que l’œuvre elle-même. Par contre les « clients potentiels » sont les eternels convives, les seuls modérateurs et les animateurs privilégiés. Il est en toute évidence un vrai salon calfeutré et capitonné pour certains au moment ou nombreux autres sont dans l’antichambre, le patio ou les couloirs poisseux d’un espace qui ne peut dire son véritable raisonnement.

Les statistiques fournies par les organisateurs ne montrent que des chiffres sur le nombre des éditeurs, exposants, leurs nationalités. Il n’existe aucun renseignement sous forme de bilan dressé au titre du salon précédent. En fait l’on aimerait être édifié sur le profil du visiteur de ce salon.

Visiteur, curieux, badaud, lecteur, accrocs, revendeur, libraire ? Son niveau, son rang, ses goûts, ses préférences ? Sa langue de lecture ? Enfin son intérêt, son amour pour la chose culturelle ?

Le salon international du livre d’Alger est une circonstance formidable dans la mesure où il participe à la médiatisation de la production littéraire nationale ou étrangère. Il tient à aider les maisons d’éditions dans un travail supplémentaire de marketing qu’elles n’arrivent pas encore à maîtriser sauf par quelques panneaux d’une publicité timide à insérer dans certains quotidiens nationaux.

Si ce n’étaient les rubriques culturelles de quelques rédactions, personne n’en saurait davantage sur tel ou tel auteur. Ainsi tous s’équivaudront. Croyez-vous que pour être édité  il vous faudrait du talent ? Le talent devra exister avant la germination du désir envers l’édition. Le piston dans l’édition bat son plein.

Il fut un temps où le temps était au monopole de l’unique société nationale d’édition et de diffusion (sned) que de rares noms avaient pu émerger des presses politiquement grincheuses et parcimonieuses de cet organisme de l’Etat.
Ainsi sous le fourre-tout de la dénomination de « information » s’assemblaient pêle-mêle, les productions de journaux, d’œuvres littéraires et tout produit de la muse, de l’imagination ou de la narration effective.

C’était du code de l’information promulgué par la loi n 82-01 du 06 février 1982 (modifiée et complétée par la loi 90-07 du 03 avril 1990). L’information y était définie comme étant l’un « des secteurs de la souveraineté nationale ». Article premier de la précitée. La production, la diffusion et l’importation de « l’information » écrite, photographique, sonore ou visuelle était du ressort exclusif de l’Etat.

Avec l’avènement de la démocratie, conditionnée dans son essence par la liberté d’expression, la chose imposait sans ambages l’ouverture du monde de l’édition. L’on ne peut estimer une bonne liberté d’expression sans une quelconque liberté d’édition, de production, de diffusion et d’importation. Naissaient alors des éditeurs habilles, connaisseurs et rassis à coté d’autres mercantiles, indélicats et grossièrement grossistes. Aucun segment de la récolte phraséologique ne s’en trouvait épargné.

La presse s’en prenait sous ce nouvel élan démocratique à cœur joie. On y unissait, on continue à le faire entre « presse indépendante » « presse privée » et « presse libre ». Le pouvoir  contrôlait certaines lignes disant à ne pas franchir. Mais les scandales, les frasques, les délations la honte, ont pris un certain temps le haut de la page. Jusqu’au paroxysme de l’inouï, l’on arrive à peine à dénicher les frontières qui séparent la « liberté d’expression », celle de l’homme et la « liberté de presse », celle de la société commerciale éditrice du journal.

Dans le livre la bataille est ailleurs. Tout a commencé par le refus d’éditeurs nationaux marqués à l’égard du volume insignifiant que faisaient les déclarations en douane de mise à la consommation de livres ou de manuels scientifiques. La bataille était semble t-il déloyale. Les droits et taxes douanières devaient intervenir pour la régulation de ce marché. Un équilibre est trouvé cependant. Dans une autre phase, la grogne portait sur les éléments taxables greffés à la matière première devant servir comme produits bruts à la réalisation matérielle du livre. Le papier, l’encre, la typographie. Mais le front final reste encore ce créneau jusqu’ici dévolu à un organisme étatique : le livre scolaire. Point d’achoppement, le dernier rempart d’un monopole difficile à se maintenir devra s’écrouler par-devant la concupiscence des imprimeries et la soif de se faire le distributeur des ouvrages destinés aux millions d’élèves et qui se comptent également en millions d’exemplaires. La partie est belle. Juteuse.

Il n’y a pas plus nostalgique que de revisiter les années passées où la foire du livre, au plan local ou régional constituait un évènement. En ces temps là, la révolution culturelle ne manquait que d’une culture révolutionnaire. Sinon, le soutien accordé aux prix du livre importé, sur budget de l’Etat ne rimait pas avec commercialité, rentabilité ou performance des entreprises. L’investissement était projeté en termes de semences fructueuses dans les méninges de ceux qui n’étaient qu’un ensemble de squelettes de l’encadrement actuel. Avec toutefois l’effet pervers et futurement dramatique que ces foires avaient engendré par l’importation massive d’ouvrages moyen-orientaux d’obédience théologique et qui auraient fait fatalement le lit intellectuel de l’extrémisme religieux et son corollaire djihadiste ; le terrorisme.
Le SILA, devrait à l’aide de ses sponsors (peu nombreux et hors champ culturel) créer l’envie de lire. Il devra entre autre ; de paire avec ses « clients » et patentés que sont les éditeurs inciter à la consommation bibliographique. Il n’est cependant en aucun cas responsable de la léthargie dans laquelle se trouve la situation atrophiée du taux négligeable de lecture actuelle. Le prix est certes déterminant dans la relance de la lecture, mais il ne peut être l’unique facteur de la régression lectorale. Que faut-il attendre pour la politique du livre, que si dans un pays le prix d’un livre de poche dépasse celui de la poule de chair ? Une eau de source mise en bouteille vaut plus chère qu’un litre de gasoil, prospecté, trouvé, extrait, transporté, traité, raffiné, taxé et distribué à la pompe ? Le constat est amer. L’’école ne fait plus donner l’envie de lire et de bouquiner. Nos universités ne sont que des débats de restauration, de transport et d’hébergement. Enfin cette reculade face à l’ardeur de dévorer les pages, de connaître les chefs d’œuvres universels, de découvrir les nouveaux talents, les poètes en herbe, les néo-nouvellistes suscite à bien des égards beaucoup d’inquiétude.

Le problème en somme n’est donc pas un cas d’édition. Ni encore de production. Il s’agit d’une absence manifeste d’acheteurs. Les éditeurs choisissent, et c’est une légitimité, l’aspect commercial, loin de l’authenticité d’un travail intellectuel.

Combien ceci va remporter s’exprime en centimes et non pas en audience. Ils font aussi dans le « piston ». L’intercession en faveur d’un auteur à éditer ressemble tout aussi à celle à faire pour un logement social. « La connaissance » ou « EL maarifa » ne se résume pas à un p’tit imprimeur de malfaçon, venant par effraction dans un monde où seuls ; la passion du livre et le goût à la lecture restent les traits intrinsèques d’un bon éditeur. Elle doit être, loin d’un slogan générique d’une maison de duplication ; une impression de saveur et de science.

Contrairement pour le livre scolaire, point de fixation des imprimeries privées, les « acheteurs » sont répertoriés sur les bancs des écoles et bien obligés d’honorer la commande, sinon le ministère de l’éducation ou de la solidarité nationale le fera à leur place.

Il est vrai que la fonction de la lecture n’a pas de connotation marchande. Ce n’est pas un créneau de profit. Pas plus qu’un plaisir. Un passe-temps. A la limite une distraction cérébrale. Pourquoi attribue-t-on un code de registre de commerce et on le pratique à une vidéothèque (location de k7 vidéo), à un cybercafé (location sur place d’un micro-ordinateur connecté) et non pas une bibliothèque où l’on aura à loisir la location de livre ? La réflexion sur la faisabilité est de mise seulement après avoir tenu un plan d’incitation à la lecture. Madame la ministre peut en un spot publicitaire, lancer une campagne de lecture. Un jeu, un concours, une attraction livresque quelconque feront le reste. Au lieu de s’attarder avec un intérêt compromis dans la production de ce livre. L’on a vu dans des communes éloignées, juchées dans les monts et les piedmonts des « salles de lectures » érigées sur fonds d’Etat, fermées contenant des centaines de livres neufs, et jamais ouverts. C’est là où finalement se meurent les subsides conséquents des deniers publics.

Les étagères des salles visitées englobent jusqu’à une douzaine d’exemplaires de chaque volume des « mémoires d’un général » par exemple. Une bibliothèque doit savoir créer des lecteurs. Encore que, si une cité, un douar manque cruellement de centre de santé, une salle de lecture n’ira pas en symbiose pour lui apporter le besoin primaire pour une survie ou un niveau vital. C’est çà aussi une partie de la politique du livre.

Ce ministère à qui incombe la construction d’une politique générale du livre ne devra pas se contenter d’aider ceux qui créent matériellement le livre. Le fonds affecté à la promotion du livre est une équation fortement complexe. L’équité n’y est pas de mise. L’on a tendance à voir toujours l’identique de sigles habitués et abonnés qui émargent aux fonds d’aide et de promotion. Les autres bleus, inconnus, sans ancrage dans la cible ministérielle ou ses alentours doivent faire le deuil dans le silence des tiroirs et des œuvres mortes par défaut de publication. La culture est ainsi comme les lots marginaux ou les crédits bancaires l’apanage de quelques uns. Pas plus et sans autres commentaires.

Quelle sont donc les paramètres liés l’importance d’un salon dédié au livre ? Le nombre de copies vendues ou celui d’exemplaires à lire ? Le chiffre d’affaires réalisé ou le remplissage des bibliothèques domestiques ? A qui aurait en finalité profité l’organisation d’un tel salon ? Quelle cette plus-value intellectuelle qu’apporte une culture administratisée et faite exclusivement sur la dépense publique ?