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L’INFORMEL, UN SYMPTOME ET NON UNE CAUSE

par Akram Belkaid, Paris

Le secteur informel est-il une menace pour l’économie algérienne ? A cette question, les réponses sont majoritairement affirmatives et on ne compte plus les arguments décrivant les effets négatifs d’activités échappant à tout contrôle à commencer par celui de l’administration fiscale mais aussi, et c’est plus grave, à celui des autorités sanitaires. Pas de registre de commerce, pas de factures, pas de taxes payées et encore moins d’impôts : le manque à gagner pour l’Etat algérien est immense cela sans oublier les problèmes de nuisance - la saleté n’en étant pas le moins important - mais aussi la concurrence déloyale vis-à-vis d’opérateurs économiques respectueux (du moins en théorie) de la loi.
 
UN SYMPTOME DE L’ANARCHIE AMBIANTE
 
Pour remédier à cela, il fallait donc que l’Etat réaffirme sa présence en obligeant notamment les principaux concernés à « légaliser » leurs activités (registre de commerce, patente, etc.…). C’est ce qui était réclamé depuis des années par de nombreux chefs d’entreprises algériens mais aussi par de simples citoyens qui n’en pouvaient plus de voir leurs trottoirs envahis par des marchandises venues des quatre coins de la planète et proposées par des camelots guère avenants.
La décision récente des autorités algériennes de faire la chasse au secteur informel est donc positive même si nombreux sont ceux et celles qui regrettent qu’elle ait tant tardé à venir. Mais, comme c’est souvent le cas pour des problématiques compliquées, il faut toujours se méfier des solutions simples. Certes, il y a urgence à remettre de l’ordre dans l’activité économique, cette dernière étant marquée par une anarchie qui semble être le sceau de l’Algérie puisque présente dans tant d’autres domaines (l’immobilier et l’étalement urbain en sont le meilleur exemple). Mais on risque de faire fausse route en pensant que le secteur informel est une cause du désordre ambiant et non pas un symptôme.
De fait, l’économie grise est toujours la traduction de profonds déséquilibres structurels. Elle est la conséquence de plusieurs facteurs dont le renoncement politique (au nom de la paix sociale), la faiblesse de la force publique mais surtout l’absence de stratégies économiques capables de réduire la part de « l’activité grise » en la cantonnant le plus souvent au commerce de produits prohibés. Poser la question de l’informel, c’est donc poser celle du modèle économique algérien et de ses insuffisances. Ce modèle a besoin d’une refonte avec, entre autre, une libération de l’initiative individuelle. Sans création d’entreprise et l’investissement qui va avec, toute démarche réformatrice est condamnée à l’échec. Dans les « effectifs » qui composent le secteur informel, tous les profils sont disponibles. On peut trouver de véritables entrepreneurs qui, demain peut-être, seront convaincus ou obligés de passer à une activité légale (à condition qu’on les aide à le faire) mais il y a aussi toute une masse de salariés potentiels à qui il faut d’urgence proposer des emplois faute de quoi la situation sociale et sécuritaire risque de se dégrader de nouveau.

METTRE AU PAS LES IMPORTATEURS ?
 
Et l’on en revient ainsi à la case départ. Pour créer des emplois, l’Algérie peut penser que les services suffiront et il est certain que c’est une piste prometteuse. Mais le pays a aussi besoin de produire plutôt que d’importer en masse tout et n’importe quoi. Au-delà de la propreté de l’espace public, la vraie urgence est là. Rien ne changera tant que l’importation demeurera le paradigme dominant. Reste à savoir qui des deux sera le plus dur à accomplir : mettre au pas les vendeurs à la sauvette ou tenir tête au très puissant lobby des importateurs.
Et, dire cela, revient à reposer la question du protectionnisme en ces temps où, Algérie exceptée, tout le monde, y compris l’Europe, cherche à doper et à protéger ses productions locales.