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L'Ambassadrice du Canada à Alger au « Le Quotidien d'Oran » : Emigration, «printemps arabe», l'Algérie et le film anti-Islam

par Djilali M.

Emigration algérienne, visas, investissement, «printemps arabe», Syrie, Iran et film anti-islam. Diverses questions auxquelles l'ambassadrice du Canada en Algérie, Mme Geneviève des Rivières, en poste à Alger depuis septembre 2011, a bien voulu répondre à la veille de sa visite à Oran.

Quotidien d'Oran.: Selon des chiffres de juillet 2011, quelque 50.000 Algériens sont établis au Canada, et en particulier au Québec. Que pouvez-vous nous dire en ce qui concerne leurs profils et les secteurs dans lesquels ils activent ?

Mme Geneviève des Rivières.:

En général, les Algériens occupent des postes importants au sein des universités (enseignants chercheurs), des laboratoires de recherche, ou encore se retrouvent avec des postes de responsabilité dans les entreprises. Certains ont réussi à créer leur propre compagnie et utilisent les compétences acquises au Canada pour proposer leurs services aux compagnies et au gouvernement algérien dans le cadre de transferts de technologie. Les domaines les plus fréquents concernent le management, la formation, l'ingénierie.

En fait, les chiffres pourraient atteindre 60.000, si l'on compte les enfants des Algériens au Canada arrivés au cours des dernières années. Ceux-ci maintiennent leur nationalité algérienne.

Il faut signaler que la communauté algérienne installée au Canada est relativement jeune et possède un niveau de formation élevé. Tous ceux établis au Canada, à qui j'ai parlé, dont les parents vivent en Algérie (pères, mères, frères, sœurs, cousins, etc.) me disent que les immigrants algériens sont très heureux au Canada et se sont rapidement adaptés. Le fait que la langue principale au Québec soit le français est certainement un grand atout qui facilite leur intégration.

Q.O.: L'immigration au Canada a constitué et constitue encore le rêve de nombreux Algériens. Comment expliquez-vous cette attractivité pour votre pays ?

G.D.R.: C'est sans doute parce que le Canada est lui-même un pays d'immigrants et aussi un pays qui n'a pas de passé colonial. Le racisme n'existe pas et les immigrants quel que soit leur pays d'origine sont traités comme des égaux. Ceci contribue énormément à faciliter l'intégration de tout nouvel arrivé algérien. Au Canada les voisins se connaissent, se respectent et s'entraident, ceci même dans les grandes villes. La convivialité qui règne par exemple au Québec où s'établit la grande majorité des Algériens est remarquable. Depuis longtemps les Canadiens ont saisi l'importance de l'immigration laquelle constitue l'un des facteurs qui contribuent à assurer la croissance économique du pays. Le multiculturalisme a été reconnu comme politique d'État il y a plus de 30 ans. Des générations entières ont grandi avec des valeurs qui les portent à respecter la différence. Ceci a contribué à nous donner une richesse culturelle et sociale unique, qu'on ne se retrouve pas dans beaucoup d'autres pays.

Q.O.: Pouvez-vous nous donner quelques chiffres en ce qui concerne les visas octroyés par vos services en Algérie ?

G.D.R.: En 2011, l'Algérie était la troisième source principale d'immigration au Québec. Elle a surpassé la France (4e) et le Maroc (5e). En 2011, 4660 Algériens ont immigré au Canada. Parmi eux, 4368 (soit 93 pour cent) ont immigré au Québec et le reste ailleurs au Canada. De plus, le Canada a délivré presque 7000 visas de visiteurs aux Algériens.

Q.O.: L'investissement canadien en Algérie est axé sur le secteur énergétique, existe-t-il des projets en dehors de ce domaine ?

G.D.R.: Il est vrai que le secteur des hydrocarbures comprend des investissements canadiens importants. Mais il faut souligner que certaines de nos sociétés ont aussi investi dans la production d'électricité et la désaliénation. On doit ajouter à cela la présence de près de 70 entreprises canadiennes de droit algérien qui ont des bureaux à travers le pays et qui embauchent un grand nombre d'Algériens. Nous n'avons pas les chiffres exacts, mais nous pouvons parler de milliers d'emplois crées localement grâce à ces investissements. Le nombre d'expatriés canadiens à la tête de ces entreprises est minime. La grande majorité des dirigeants de ces filiales canadiennes sont algériens ou algéro-canadiens. Ceci est une question de principe pour les sociétés canadiennes. Le transfert du savoir-faire est important et il ne peut exister que si les responsabilités de gestion sont déléguées aux Algériens. Il existe une main-d'œuvre qualifiée en Algérie tout à fait apte à bénéficier du transfert de connaissances et de savoir-faire canadiens. Le gouvernement algérien reconnaît cette particularité propre aux sociétés canadiennes et c'est pour cette raison que nos entreprises connaissent tant de succès. Le fait que nous partagions une langue commune et que nous apportions un savoir-faire nord-américain nous donne un avantage compétitif significatif. De plus, nos entreprises québécoises et canadiennes jouissent de la confiance de l'Etat algérien qui leur confie la maîtrise d'ouvrage ou maîtrise d'œuvre de plusieurs grands projets, dans des domaines tels l'autoroute est-ouest, les chemins de fer, le métro, les barrages et projets de transfert d'eau et plus récemment la maîtrise d'ouvrage pour la Grande Mosquée. Les sociétés canadiennes sont également présentes dans l'industrie des TIC et dans le processus de modernisation de la gestion financière et de l'éducation supérieure de l'Algérie.

Q.O.: Un nouveau gouvernement avec à sa tête Abdelmalek Sellal vient d'être installé par le président de la République. Quelle est votre appréciation de ce changement ?

G.D.R.: Le Premier ministre Sellal apporte une vaste expérience de gouvernance pour avoir œuvré nombre d'années à plusieurs échelons et dans plusieurs parties du pays. Il connaît bien le sud, ce qui est important. Il est également connu pour ses nombreuses réalisations, incluant pour avoir mis en œuvre le plus grand projet de transfert d'eau au monde, ce qui a permis à Tamanrasset et plusieurs autres localités d'être approvisionnées pour la première fois en eau courante. Cette grande réalisation a transformé la vie de milliers de familles algériennes du sud. Le Premier ministre a aussi le grand avantage de ne pas être associé à un parti en particulier et d'être respecté de tous. La réaction à sa nomination a été très positive. Une tâche énorme l'attend, principalement celle de mener à bien la révision constitutionnelle et les changements à l'importante loi sur les hydrocarbures. De plus, il a l'immense défi de faire avancer les projets prévus dans le cadre du Plan quinquennal actuel qui se termine en 2014. Beaucoup de pain sur la planche pour aider à faciliter la croissance et la diversité économique du pays.

Q.O.: Le vent de ce qui est appelé le printemps arabe a soufflé sur des pays de la région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord. Qu'est-ce que vous en pensez et croyez-vous que l'Algérie est une exception à ces bouleversements ?

G.D.R.: À la différence de l'Algérie, la plupart des pays qui ont connu le printemps arabe avaient des hommes qui occupaient le pouvoir depuis des décennies. Ce n'est pas le cas de l'Algérie qui en est à son 5e président depuis l'indépendance. De plus, dans bien des cas, la pauvreté qui sévissait dans ces pays était devenue intenable. Il existe en Algérie une répartition de la richesse à travers les subsides et l'accès aux logements construits par l'Etat. De plus, les énormes projets routiers et ferroviaires en construction permettront une meilleure circulation des personnes et des biens et rapprocheront les milieux ruraux de la ville. L'accès aux services de santé, bien que ces services puissent s'améliorer, est universel. Enfin, comme nous le savons tous, les années de terreur et de terrorisme ont beaucoup marqué les Algériens. Presque tous les Algériens, quelle que soit leur classe sociale, ont connu des victimes de ces années de terreur et de violence. Ils ne sont pas prêts à sacrifier la stabilité politique et la sécurité dont ils peuvent finalement jouir aujourd'hui. Ils voient des images à la télévision qui leur rappelle les traumatismes et la peur qu'ils ont vécus durant dix longues années. Le grand défi pour l'Algérie est la création d'emplois pour 1,5 million d'étudiants universitaires et les autres milliers de jeunes non qualifiés qui désirent un travail, un logement et une meilleure qualité de vie pour leurs enfants. J'ai confiance qu'avec une économie plus diversifiée, ce qui se fera plus facilement avec de l'investissement privé tant national qu'étranger, un plus grand nombre d'emplois pourront être créés. Ces emplois seront des emplois formels et de qualité. Les jeunes diplômés et ceux qui sont moins qualifiés pourront alors mettre à profit leur talent et leur créativité.

Q.O.: Le Canada vient de monter en première ligne du front contre l'Iran, en fermant son ambassade et en renvoyant ses diplomates. Comment considérez-vous ce pays ?

G.D.R.: Le Canada considère les politiques actuelles du gouvernement de l'Iran comme étant une menace importante à la paix et à la sécurité mondiales. L'Iran fournit de l'aide militaire croissante au régime Assad en Syrie. Le régime iranien refuse de se conformer aux résolutions des Nations unies concernant son programme nucléaire. Dans ces circonstances, le Canada a décidé qu'il ne pouvait maintenir une présence diplomatique en Iran, ni continuer d'agir comme si les relations suivaient leur cours normal. Nos relations avec l'Iran sont donc «suspendues » même si les liens diplomatiques ne sont pas rompus.

Q.O.: Lakhdar Brahimi a déclaré après la prise de fonction de médiateur de l'ONU pour la Syrie qu'il était inquiet du poids de sa mission. Pensez-vous qu'il existe une solution pacifique à la crise syrienne ?

G.D.R.: M. Brahimi a indiqué que les chances de succès de ses efforts de médiation sont minces. L'assaut sanglant du régime Assad contre le peuple syrien se poursuit sans relâche. Jusqu'à maintenant on compte plus de 20.000 morts en plus de 180,000 Syriens qui ont fui leur pays. Le Canada vient d'adopter d'autres mesures visant à isoler encore davantage le régime syrien pour limiter sa capacité de répression. Le Canada continuera à inciter le Conseil de sécurité des Nations unies à imposer des sanctions économiques strictes.

Q.O.: Enfin Mme l'ambassadrice, une réaction sur la polémique de la diffusion d'un film anti-Islam et ses conséquences sur le monde musulman ?

G.D.R.: Le Canada rejette tout dénigrement de toute religion, et on a longtemps été un fier partisan des libertés religieuses dans le monde entier. Nous continuons d'exhorter au calme dans le monde entier et nous rejetons totalement l'usage de la violence durant de cette période tumultueuse.