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Que peut faire Sellal ?

par El Yazid Dib

Pour lui ou un autre, la feuille de route est tracée. Etre là, voir, écouter et encore ? «Ses» ministres vont faire la même chose. Etre là, voir et écouter et encore ?

Quel est ce subit sentiment ayant provoqué la frénésie de la propreté chez nos gouvernants ?

L'on ne pense pas tout de même que ce soit là, un le premier coup de starter d'un programme d'actions qui n'est encore pas dévoilé. « Nettoyer le pays » même dans la bouche d'un grand responsable et producteur d'eau ne peut exprimer uniquement une pensée d'hygiène simple et ordinaire. La phrase s'est limitée au bonheur des méticuleux du savon et du grésil à un nettoiement communal des plus communs. Une tache quotidienne de bon ménage. Elle est par contre, restée en travers d'un souci profond lié à la salubrité publique chez bon nombre d'esprits accrochés à l'idée de faire un le grand ménage dans les cavités les plus reculées du système. Laver une rue, raser une illégalité commerciale n'est pas ce que veut le monde. Au lieu de détruire un taudis ou un marché ne faudrait-il pas d'abord abattre l'idée l'ayant engendrée ? Du simple tapage hygiénique allant d'un coup de balai en l'air à une préoccupation civile et citadine. Il est impensable messieurs les gouverneurs que l'on puisse penser un moment que vous pensiez vouloir rendre Alger en un Paris soucieux de son agencement. Ou transformer Oran en une métropole espagnole avec ses avenantes avenues. Il est d'un doute qu'ils puissent y croire, mais par obligation fonctionnelles ils se disent tenus de tenir un tel discours. Donner de l'ambition au citoyen, le faire rêver fait aussi partie du management stratégique avec seule frontière que le canular ne doit pas être pris pour une approche de gestion quant il n'est que propos de campagne. Ou simple remplissage d'éphéméride.

Incroyable mais vrai. A peine installé dans ses fonctions que le ministre des sports s'empresse à sortir pour aller visiter l'ailleurs. Il aurait du rester dans ses bureaux, fouiller ses archives, se mettre à jour, voir ses cadres centraux, se faire présenter une typographie de son département, réunir ses fédérations, écouter les auxiliaires du sport. Ne connaissant même pas Raouraoua, ni l'entraineur national actuel; voilà qu'il débarque par un vendredi à Sétif où parmi les points de son programme figure « prière du vendredi à la mosquée El Atik» et visite à l'ancien coach de l'équipe nationale Kermali. villégiature ou empressement ? Un ministre doit savoir gérer son timing et ne pas déranger tout un monde par un jour férié. C'est de l'organisation du temps que dépend l'efficacité d'une tache. Il n'y avait pas péril en la demeure ou une urgence contraignante pour le faire. Sauf si l'on fait la course à la chasse d'une publicité précoce en voulant exploiter le temps-mort événementiel. Le premier ministre, par contre semble continuer à approfondir son assise pour se permettre d'avoir un éclairage complet sur tous les secteurs qu'il aura à superviser. Sellal ne va pas faire exception à la règle. Commun des premiers ministres il est au front comme un vigile veillant à tout mouvement. Bien d'autres, avant lui n'avaient que cette posture d'attentisme. Les instances à ce niveau ne sont que des affaires qui naissent un jour pour mourir un autre. Les défis sont monstrueux face aussi à ce qu'avait laissé supposer l'absence d'un pouvoir, comme coté dérisoire dans la gestion du pays, lors d'un empêchement que l'on dit non prévu par la constitution. Celle-ci en effet manque cruellement de dispositions traitant de situations naturelles. A l'exemple de la désignation d'un chef de gouvernement parmi la majorité parlementaire. Ainsi l'équilibre des pouvoirs n'est plus assuré. Les élections législatives semblent se confiner dans un décor d'Etat. Pas plus. Sans nulle force politique l'assemblée nationale majorité ou non est dédiée à son rôle précaire de passage juridique obligatoire. Avec un Belkhadem éconduit, des angoisses intestinales, le parti fort du pouvoir se voit relégué à une portion faible dans l'exercice de ce même pouvoir malgré sa forte présence politique au sein de l'hémicycle. Le FLN ne peut jamais se contenir dans une opposition, même façadière. Ou il fait le pouvoir, ou il le fait faire.

Le rythme de changement du premier ministre s'effectue pratiquement comme une partie de domino. Un tour de table et l'on recommence. L'instabilité y est pour beaucoup de choses. Deux maigres années, un chef ; semble être la règle avant que Sellal ne s'installe dans une durée aux contours malaisés eu égard aux humeurs changeantes d'un pouvoir plein, toujours insatisfait. Limité dans l'exercice du pouvoir, il ne représente quelque part qu'un très grand commis de l'Etat. Sans autonomie dans l'action politique. Que va donc faire Sellal ? Préparer l'échéance d'ici deux autres maigres années.

Il est d'orthodoxie juridique qu'une différence situe les deux dénominations de chef de gouvernement et de premier ministre. Mais dans le fait, dans la pratique, dans l'usage et l'usuel ; cette différence s'éclipse au profit d'une mission de pilotage d'un groupe ministériel. Le chef du gouvernement ou ministre en chef joue t-il par conséquent un rôle mal défini, exerce t-il une haute fonction de l'Etat ou effectue t-il une simple mission de routine? Le questionnement est continuel. Comme le wali et le ministre ; le chef du gouvernement reste tout aussi indéchiffrable. Son profil n'est astreint en apparence à aucune exigence intrinsèque. Il doit faire l'objet d'une faveur de circonstance, d'un rappel historique ou d'une compétence conjoncturelle supposée efficiente pour le moment adéquat. C'était ou «l'homme de la situation» (Abdesselam Belaid), «l'homme des dossiers» (Kasdi Merbah, Benbitour) l'homme à tout faire (Ahmed Ouyahia) et «l'homme de terrain» (Ghozali, Sifi). Une nouvelle grille s'ouvre pour les critères du profil qui tentent de se mouvoir dans l'obséquiosité, la loyauté impétrante et l'acquiescement culpabilisateur.

Contrairement à un wali et à moindre raison au ministre, le poste de chef du gouvernement, ou son corolaire nécessiterait outre l'agrément du président de la république qui le nomme ; une certaine adhésion générale. La légitimité. Dans le système où la démocratie est perçue comme un mode sacré de la gestion des affaires publiques, le chef du gouvernement exprime le résultat d'une majorité politique. Il sort des listes du parti vainqueur. Il devrait pour ce faire ; faire d'abord l'unanimité en son sein. Dans son propre camp. C'est cette consécration «partisane» et «corporatiste» qui à juste titre ira légitimer la nomination et octroyer par voie de conséquence une caution fortement morale envers la concrétisation d'un programme. La légalité serait ainsi corroborée. Car si le président de la république est censé rechercher l'amplitude de sa « légitimation » dans les urnes, le chef du gouvernement, n'étant assujetti à nulle élection, devrait néanmoins faire un consensus. Une sorte de deal entre les différents acteurs de la scène politique. Pouvoir et opposition. Toute force confondue. En dehors de ces «élections virtuelles » silencieuses, de cette approbation quasi-nationale, de cette régularité tacite et de cet assentiment paisible et tranquille, il ne peut y avoir qu'appropriation forcée de pouvoir, une violation des attentes populaires dont la recevabilité ou la légitimité se voudrait d'être soit par la terreur, la compromission et le mensonge.

Cette absence de légitimité observée unanimement chez tous les titulaires du premier poste exécutif ne peut se déjouer d'affecter l'aura du chef de l'Etat. Son premier ministre reste l'expression pratique et physique de sa politique. Il en est par ailleurs l'architecte et l'artisan. C'est à lui qu'est dévolue toutefois avec une marge de liberté réduite ; la capacité de recruter ou à moindre effort proposer les divers tacherons et sous-traitants à cette entreprise que constitue le programme du gouvernement. Le hic, c'est que la constitution le met en porte-à-faux vis-à-vis de l'assemblée nationale. Il en est pris pour unique responsable, alors que le chef de l'Etat demeure responsable et redevable à l'égard du «peuple». Quelle prouesse dans la rédaction des chapitres constitutionnels relatifs à la responsabilité de chacun. En matière d'attributions et de pouvoir, le texte solennel dresse exhaustivement pour chacun, les unes et les autres. Pour limiter en série les prérogatives du premier ministre, en prenant soin d'édicter; que celles qui ne sont pas citées; appartiennent de droit au président de la république. Là ; une réflexion s'impose. Pourquoi ne pas les rendre les deux co-responsables envers les délégués du peuple (députés) pour les restreindre à une quantité définie et ciblée (APN); de toute déviation des promesses lancées dans les campagnes électorales de l'un ou de l'autre ? Serions-nous alors en plein régime semi-présidentiel à forte connotation parlementaire ? Car dans les faits la séparation constitutionnelle des pouvoirs entre le président et son chef du gouvernement à marqué ostensiblement ses limites. Elle est incapable de faire fonctionner comme il se doit l'appareil d'Etat et partant assurer une bonne régulation du principe cardinal de la « séparation des pouvoirs ». Les actuelles dispositions de la constitution font justement du chef du gouvernement « un éventail, un alibi politique et un otage constitutionnel qu'il faut savoir sacrifier au moment opportun» comme disait Maamar Boudersa politologue. L'option pour une démarche de co-responsabiliser le président et son chef de gouvernement n'est pas plus donc qu'un engagement commun, dans le respect confiant des électeurs. Le principe défaitiste de la sous-séparation au sein même du pouvoir exécutif n'est sans danger ni risque d'engendrer des disfonctionnements graves dans les rouages de l'Etat. Les disconcordances qui en surgissent, sont allées jusqu'à jeter l'opprobre dans la conscience populaire et discréditer l'entité étatique et permettre des tentatives d'atomisation voire de régionalisation de l'unité nationale.

Ainsi la radiographie professionnelle des chefs du gouvernement successifs nous fait déceler au grand jour d'abord les appétences et les penchants ayant prévalu à leur nomination chez chaque président et ensuite les traits fibroscopiques de leurs favoris. Il y est fait montre des militaires ( Abdelghani, Kasdi Merbah, Mouloud Hamrouche) des personnalités historiques (Belaid Abdesselam, Smail Hamdani ) enfin des supposés technocrates ( Brahimi, Ghozali, Sifi, Benbitour, Benflis et Ouyahia) et voilà que Sellal arrive à rejoindre le groupe. Partant de ces constats, le système institutionnel continue à se figer derrière une image de la solution définitive. A chaque départ de gouvernement, la faillite en est brandie. A chaque arrivée d'un autre la solution est annoncée comme imminente. Le circuit valseur et rotatif se perpétue. Tout le monde, à l'instar des ministrables, finira un jour par pouvoir rêver devenir un premier ministre. Le temps n'a jamais confirmé le bon choix. Exception rare, et c'est toujours subjectif, quelques premier-chefs se sont quand bien même arrivés à faire anxieusement un sceau dans l'histoire de « l'Algérie premier-ministrante. ». Chacun d'eux semblait être désignés pour un rôle à jouer. Missionnaires avertis ; ils n'osaient point se débarrasser de l'obstacle de vouloir transgresser les limites inscrites dans l'ordre de mission. L'un est pris comme amorce à la nouvelle constitution. L'autre en sauveur de cohésion sociale. Abdelghani dans son temps confondait la fonction publique et la région militaire. Abdelhamid dit « la science » apportait dans ses bagages les prémices du savoir-gérer, le management d'Etat.

Il saura en faire aussi le noyau troublant d'une bombe dont la teneur en anions avoisine les 26 milliards de giga watts. Et viennent les années ou ça se discute et où on en parle partout de la mondialisation, de l'ouverture du champ politique, de la sacralisation des libertés et droits de l'homme. Les hommes de la circonstance pullulent et le système se vautre dans le désarroi de la cooptation et de l'embarras du choix. Sans palmarès politique ni cursus militantiste, les prétendants sont triés puis retenus , pour plaire aux galeries de l'hémicycle ; sur la simple force de convaincre par chiffres, statistiques, courbes et graphiques que le pays est en danger de mort et qu'il (ils) détient (ent) le miracle scientifique, la solution économique le tout doué d'un plan de sortie rapide de la crise. Reformes, lois sociales, concessions d'hydrocarbures, restructurations des entreprises, échelonnement de la dette extérieure, politique partenariale, accords d'association, FMI, banque mondiale, union européenne, négociations OMC, et relance économique, furent et sont les fondements génésiaques et les titres génériques du verbiage asséné tout au long de ces dernières années. L'autre « rôle » de ces chefs était aussi la lutte anti-terroriste. Initiée alternativement et différemment par les présidents de la république ; les premiers ministres en question faisaient la comptabilité macabre. Si ce fléau est vaincu militairement, il subsiste politiquement. Démunis dans ces cas d'espèce ; de propres privilèges fonctionnels et limités dans l'initiative, ils n'ont fait ce que les « décideurs » ont voulu qu'ils le fassent. L'autre aspect qui aurait justifié leur supériorité dans le maniement des « armes » administratives c'est la manutention à bon escient des urnes. Tous ont agencé et organisé des élections ; ils ont en assuré des victoires. Pour d'autres. Il y a des chefs de gouvernement qui ont fait des présidents. D'autres ont été de simples interlocuteurs, représentants officiels d'un gouvernement qu'ils laissent s'administrer à sa guise, et certains n'ont rien géré, n'ont rien vu, ils gardaient inoffensivement des mois durant les lavabos du vrai pouvoir et ne comptaient parmi leur effectif ministériel que quelques membres doux et dociles, les autres leur étant totalement hors de portée. Juste, certains ont pu franchir le Rubicon en osant affronter un président en exercice, dans des joutes présidentielles. Benflis en était factuellement inconscient. Leurre ou ambition ? Il ne le dira pas. Il attend son moment dans un silence qu'il suce lentement jusqu'à le rendre rachitique. La providence a toujours favorisé la patience et le savoir-attendre.

Ce poste rempli tous les désavantages. Il va donner à Sellal, en fin de course un fort sentiment d'aigreur, de nostalgie et d'aversion. Heureusement pour l'homme que l'humour s'érige chez lui comme un tempérament sédatif apte à faire évanouir temporellement l'anxiété. Tant en son sein qu'à ses alentours. Aimable, Sellal saura donner au moins le sourire. Le miracle de retour d'un autre subsiste.