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Les redondances d'une institution amnésique

par Mazouzi Mohamed *

«Eh, bonjour, Monsieur du Corbeau. Que vous êtes joli! Que vous me semblez beau!

Sans mentir si votre ramage Se rapporte à votre plumage, Vous êtes le phénix des hôtes de ces bois.» (La Fontaine)

Aussitôt que le prophète entama ses prêches au sein d'une ethnie farouchement incrédule car accoutumée aux discours que les vents du désert colportaient de tribus en tribus à propos de Dieux, d'hommes et de destin ; l'auditoire bédouin peu enclin au changement et aux vérités immuables entonna à l'adresse du prophète ce fameux couplet : «Assatir El-Aoualine»,ceci n'est que la phraséologie des anciens, lui diront-ils .(Coran,(Sourate25, Verset5).

Mais bien au contraire, l'Histoire nous a prouvé que le messager de Dieu ne se contentait pas de radoter des fables bibliques, ses prêches n'étaient pas qu'une énième jérémiade, ce logos arabe incongru, inusité et subversif à l'époque a quand même fini par façonner l'une des plus grandes civilisations au monde. Pisser dans un violoncelle, n'était pas le fort de ces sémites de la péninsule arabique, réputés pour tenir leurs promesses.

On ne pourra pas hélas en dire autant de nos donquichottes algériens postindépendance. Ce que font inlassablement et pathétiquement tous nos gouvernements, c'est ressasser la même chose et promettre ce que leurs ainés et prédécesseurs avaient solennellement juré de faire.

Nous venons de fêter le cinquantième anniversaire de l'indépendance d'une nation qui a inspiré tous les mouvements révolutionnaires dans le monde, une nation qui a congédié un empire colonial qui butinait au-dessus de la moitié du globe.

Néanmoins, cette nation de héros, de légendes et de mythes se retrouve aujourd'hui à la merci de gouvernements qui ont toujours du mal à résoudre l'épineuse aporie nationale «des Ordures ménagères» ou qui légifèrent pompeusement pour «obliger les commerçants à ouvrir pendant les jours fériés», des ministres qui s'échinent à stabiliser le prix d'une pomme de terre récalcitrante et enfin un Etat otage d'une corruption idiosyncrasique. La conquête de l'espace, le séquençage génomique, la nanotechnologie, l'intelligence économique, la thérapie génique? ne figurent pas dans l'agenda de nos éboueurs.

Notre gouvernement qui a fait l'école buissonnière pendant plusieurs mois, contraint comme les autres à user de la rhétorique des anciens, n'échappera pas à cette malédiction des palinodies et des truismes qui sont les seuls atouts et les seuls atours de nos politiciens.

L'ancien-nouveau garde des sceaux, monsieur Charfi semble avoir des difficultés à appréhender notre continuum spatio-temporel national. Lors de son allocution à l'occasion de la cérémonie d'ouverture des travaux de la session ordinaire du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), Il prophétise un futur qui existe déjà. Il dira, en parlant de la corruption, que celle-ci «Risque de gangrener le tissu social, de dénaturer l'effort d'édification de l'Etat de droit, de pervertir le fonctionnement de l'économie nationale, de ronger les liens des citoyens avec les représentants de l'Etat et pourrait même, s'il n'y est pas mis un frein, menacer les relations des citoyens entre eux et mettre ainsi en péril la paix sociale»

Tout ce que le Ministre nous présente comme des menaces futures constitue non seulement une pathologie sociale et politique qui a parasité depuis déjà bien longtemps l'ensemble de la société algérienne mais plus encore ce «Sport national» qu'est la corruption, pour reprendre les termes de Monsieur «les Droit de l'homme» Farouk Ksentini, servira de prétexte à toutes les harangues et logorrhées possibles depuis 1962. Terriblement dépité, feu Ferhat Abbas dès 1963 dénonçait ce diabolique système que l'Algérie mettait en place, cette «République des camarades» et «ces nouveaux Caïds» qui allaient régner avec leurs progénitures et leurs sérails assez longtemps pour faire de ce pays un véritable cloaque.

Je doute que Monsieur le Ministre ait oublié qu'il y a presque vingt ans une grande figure de la révolution algérienne, berné par des francs-tireurs et scandalisé par la déliquescence qui rongeait les institutions de son pays avait rêvé d'une nouvelle révolution mais cette fois-ci contre un ennemi de l'intérieur : La Maffia politico-financière, une hydre hideuse issue du même système qui avait fait de ce révolutionnaire un paria-briquetier.

Tout le monde connait l'issue de ce pari insensé, de ce rêve fou. Si Tayeb El-Watani fût dégommé lui et sa troupe d'incorruptibles. Ce dérisoire combat du pot de terre contre le pot de fer avait fini avant même d'avoir commencé. Le message était on ne peut plus clair pour tous les justiciers qui révéraient d'une Algérie débarrassée de ces immondices essentielles qui servent de banquet pour tous les charognards de tout bord.

Monsieur le Ministre Charfi ajoutera en 2012 que «les corrompus et les corrupteurs se rencontrent partout, ne laissant aucun service public». Notre jeunesse a été bercée par ces lapalissades. Monsieur le Ministre semble oublier que déjà en 1999, dans un discours prononcé à Rimini(Italie), le président Abdelaziz Bouteflika dira : «Depuis que je suis arrivé au pouvoir, je suis arrivé à la Conclusion que l'Etat était bien pourri.» -En 2004, lors de sa réélection, l'un des premiers engagements majeurs du Président, a été d'annoncer sa ferme détermination à lutter contre la corruption, qualifiant celle-ci «de phénomène grave et préjudiciable pour tous et, qu'au-delà des faits et des comportements délictueux et immoraux qui le sous-tendent, il se traduit, également, par une perversion des valeurs morales qui constituent le ciment de notre cohésion sociale.» Il ajoutait que la corruption devait être» combattue de manière non sélective, quels qu'en soient ses auteurs».

Les choses n'avaient pas évolué pour autant, la faune criminelle que le président Bouteflika avait qualifié en 1999 de «Magma de brigandage, de travail de maffiosi, de gens véreux?» ne semblait craindre ni ses menaces ni l'arsenal répressif que l'Etat algérien mettait progressivement en place. En 2009, le président, devant une situation qui empirait, fût enfin poussé bien que tard, à travers sa fameuse directive N° 3, à redynamiser le processus de lutte contre la corruption. (La création d'un office central de la répression de la corruption, dynamisation de la Cour des comptes, de l'inspection générale des finances (IGF) et de la Banque d'Algérie, révision du code des marchés publics?). Nous voilà en 2012, c'est à dire quatre années après cette fameuse directive N°3, en train de seriner à l'unisson les mêmes oraisons funèbres autour de la même dépouille: notre mère patrie.

Monsieur le Ministre dira cette semaine que «la corruption n'a de pertinence que si la justice est la première immunisée de ce fléau», le garde des sceaux évoquera également la sempiternelle question «des pressions multiformes qui peuvent viser nos justiciers dans le but d'affaiblir leur volonté» Bien avant lui, en Août 2002, lors d'un congrès organisé par l'Association Solidarité Nationale Estudiantine organisé à Annaba, le Président Bouteflika, en pleine force de l'âge et méjugeant du pouvoir de cette malédiction qui ne semble pas se dissiper même aujourd'hui, dira face à un parterre de jouvenceaux déjà au bord de l'insurrection : «Il est superflu de demander aux citoyens le respect de la Loi alors que ceux qui sont chargés de l'imposer et de l'appliquer s'abstiennent de s'y conformer»

Tous ces messages, toutes ces harangues, toutes ces diatribes se suivent et se ressemblent.

Vanitas vanitatum, omnia vanitas,» (vanité des vanités, tout est vanité.) Dans un passé récent cette épée de Damoclès qui pesait sur ces honnêtes cadres desquels on attend aujourd'hui des miracles, ces «pressions multiformes qui visent à affaiblir leur volonté» dont parle le Ministre, avaient pour origine leur propre Tutelle qui installait de facto cette culture de l'autocensure et de la démission. Cette indépendance de la magistrature chimérique hypothéquait et rendait caduques tous nos espoirs de voir un jour s'installer en Algérie un véritable Etat de Droit. Tout le monde parlait de cette fameuse «Justice de la Nuit», de ces «Injonctions» du Ministère de la Justice lui-même qui distribuait des quitus et balisait les méandres des Magistrats qui, croyait-on, ne devaient obéir qu'à la Loi.

Tous les procès contre la corruption, à commencer par l'Affaire Khalifa ne furent que des spectacles politico-judiciaires qui jetaient en pâture à une société au demeurant complètement indifférente des lampistes qui avaient été encouragé par la caporalisation d'une Justice et la cupidité des commis de l'Etat au plus haut sommet de la pyramide. Une justice qui, même lorsqu'elle était sommée de sévir pour le bien suprême de la nation, était incapable de s'affranchir de cette servitude manifeste qui la poussait à tracer des «lignes rouges à ne pas franchir», des noms à ne pas citer, des personnes à ne pas convoquer ou importuner. Nous n'avons qu'à nous rappeler (en 2007) du fameux Procès Khalifa qui dure toujours, lorsque la juge, Mme Brahimi délimitait ces périmètres que nul ne pouvait franchir même au nom de n'importe quelle foutue vérité ou justice, ce à quoi certains avocats lui avaient pertinemment répondu : «Nous ne sommes pas ici pour faire de la figuration Madame la juge? nous sommes là pour la recherche de la vérité, celle-là même qui ne doit pas se limiter seulement au tribunal ou aux prévenus encore moins à la défense mais celle qui doit être perçue par l'Algérie tout entière.»

Nous aurions tellement voulu que notre Justice ne soit ni l'otage ni le pantin de qui que ce soit et qu'elle soit davantage prompte à balancer son glaive de manière à éviter à la DRS de faire le ménage à sa place. Que devait-on espérer face à une justice qui s'autosaisissait rarement ? : «Si les scandales financiers sont devenus légions, la justice, par contre, ne se manifeste pas comme preuve ou instrument de salubrité publique. Elle est systématiquement mise en veilleuse dès qu'il s'agit d'affirmer ou d'infirmer une accusation portée à l'adresse des représentants de l'Etat.» (Le Quotidien d'Oran ? Jeudi 07/ 02/2008 «L'Etat pris en otage» Ghania Oukazi)

Je trouve fascinant que l'on persiste, quitte à embarquer dans nos processus de re-crédibilisation institutionnelle des personnalités honorables, à abuser de manière lamentable de cette culture des palinodies et des truismes. On avait déjà voilà plus de douze années confié à d'éminentes personnalités la tâche de pondre des rapports sur «La Réforme des Structures et Missions de l'Etat» ainsi que sur «La Réforme de la Justice ». Peut-on dire aujourd'hui que les recommandations qui y figuraient ont été salutaires pour le pays si toutefois ces recommandations avaient été suivies à la lettre ?

Suite à l'embrasement du monde arabe, au début de cette année, on rameute le CNES à qui on confie la tâche de tâter le pouls d'une bête traquée et à l'agonie (l'Algérie) mais dont les râles inquiétaient tous les géopoliticiens du monde. Cette vénérable institution sillonnera notre Numidie meurtrie et ramènera en guise de toison d'or à l'issue de son périple des vérités pour lesquelles on n'aurait du envoyer que nos grands-mères : Des trivialités qui rappellent cette nécessité à laquelle tout le monde s'est résigné «l'instauration d'une démocratie participative qui impliquerait la société civile». Les fabuleuses découvertes du CNES pourraient prêter à rire si les choses n'étaient pas aussi tragiques car leurs révélations sont en usage depuis des lustres sous d'autres cieux.

La situation manifestement assez sombre évoquée par l'actuel garde des Sceaux lors de la cérémonie d'ouverture des travaux de la session ordinaire du CSM ne semble pas corroborer avec l'optimisme de Mr Mokhtar Lakhdari, directeur des affaires pénales à l'ex-ministère de la Justice. Celui-ci, suite au dernier rapport émis par Transparency International et probablement soucieux de défendre l'honneur des nos institutions que son Ministère était chargée de préserver dira lors de son intervention sur les ondes de la chaîne III de la radio nationale:«Il ne s'agit pas d'un phénomène (la corruption) qui a été quantifié pour dire que l'Algérie est beaucoup plus gangrenée que les autres pays».

Et Pourtant L'actuel garde des sceaux confirmera il y a quelques jours seulement que «les corrompus et les corrupteurs se rencontrent partout, ne laissant aucun service public» et que la corruption ne pouvait être combattue que «si la justice était la première à en être immunisée.»

Depuis plusieurs années, lors de ses conférences de presse ou en villégiature lors de ses universités d'été, qu'il eut été Ministre de la Justice, Chef du Gouvernement ou Secrétaire général de son Parti, Mr Ahmed Ouyahia n'a jamais cessé de dénoncer cette maffia qui s'est introduite dans tous les rouages de l'Etat, dans toutes les institutions. On attribue aujourd'hui à l'actuel chef du gouvernement d'avoir un jour lors de son passage à Washington, déclaré que le pays était géré par une maffia. Prions alors assez fort pour que cette Maffia consente à déserter de son propre chef nos institutions puisque ni nos Présidents, ni nos chefs de gouvernements, ni nos Ministres de la Justice, n'en sont arrivés à bout. N'est-il pas absurde de croire que ce miracle se réalisera un jour ? Cette Maffia, ne s'est-elle pas en fin de compte substituée à l'Etat ?

Quelle est cette arme secrète de destruction massive que détient aujourd'hui notre Ministre et qui faisait défaut à tous ces prédécesseurs depuis cinquante années ?

* Universitaire