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Livres : les Algériens, toujours rebelles !

par Belkacem AHCENE-DJABALLAH

La révolte des saints. Un essai historique (et, aussi, roman : Deux seuls chapitres sur un total de 15) de Ahmed Akkache CASBAH Editions. Alger 2006, 157 pages, 410 dinars.

Ahmed Akkache, aujourd'hui, hélas, décédé, n'est pas à présenter pour les quinquagénaires et plus. Militant actif de la cause nationale, il avait été arrêté en 1957 par les autorités coloniales, il avait été condamné à mort et s'était évadé de prison en janvier 1962... Il est auteur de plusieurs ouvrages historiques (Tacfarinas, La résistance algérienne de 1845 à 1945) et économiques ainsi que d'un roman (L'évasion).

Enseignant, journaliste, militant actif de la gauche progressiste, connu pour sa rigueur scientifique, il a exploré, durant des dizaines d'années, des «sources latines» multiples pour remonter, en fait, aux sources de la Résistance du peuple algérien à toute colonisation.

Et ce, à partir d'une grande et continuelle révolte, hélas méconnue par nos historiens, laissant ainsi la place aux œuvres françaises pour la plupart naturellement orientées afin de servir la cause coloniale : celle des circoncellions de la Numidie antique, aux IVe et Vé siècles après JC ; révolte éminemment populaire, regroupant des paysans sans terre, d'agriculteurs déclassés, des ouvriers agricoles,des paysans révoltés, tous des «damnés de la terre numide», et qui a contribué largement à l'effondrement de l'Empire romain en Afrique (qui a dominé l'Afrique durant plus de 5 siècles). On les appelait Saints alors qu'ils n'étaient que rebelles, attaquant surtout les immenses domaines fonciers esclavagistes de l'époque. On fait connaissance, au passage, avec de grandes figures de notre histoire, certaines réhabilitées (Tertullien,Cyprien, Pétilien, évêque de Cirta, Optat, évêque de Timgad, Donat et bien d'autres..) représentant une Eglise nationale autonome à travers le Donatisme et qui ont compris (sinon soutenu ou rejoint) le mouvement des Circoncellions... d'autres ramenées à leur dimension réelle et démythifiés, comme Augustin, fils de Thagaste, évêque d'Hippone, (immense par ses œuvres intellectuelles dont La cité de Dieu et Les Confessions) représentant l'Eglise «officielle» et défendant de l' «ordre romain».

Avis : A lire deux fois plutôt qu'une. Pour connaître les dignes ancêtres de nos moudjahidine... car la résistance et la lutte contre le colonisateur et l'occupant étranger (le «roumi») a commencé déjà... avant J-C...et ne s'est jamais, jamais, arrêtée. Jusqu'en 1962.

Qui se souvient des premiers rebelles du Djurdjura conduit par Farascen (mort en 259) dont la révolte, à partir de 253 a couvert une région allant de Constantine à Tlemcen ? Il est vrai, que nos martyrs et nos héros de 54-62 sont déjà oubliés ! Alors, pour ce qui concerne l'Antiquité, on peut repasser.

Phrase à méditer : «Qu'on les appelle Saints, Circoncellions ou plus simplement rebelles, les révoltés de l'Algérie antique font partie de ces générations d'ancêtres qui ont contribué, au long des siècles, à ancrer dans la conscience collective des Algériens, les idéaux inséparables de liberté et de justice»

LA KAHINA... un roman de Gisèle Halimi Editions Barzakh, Alger 2007, 260 pages, 500 dinars

Gisèle Halimi est une avocate française connue. Née en Tunisie, elle s'est très tôt engagée dans des causes nobles dont celle de la lutte pour l'indépendance de l'Algérie. Elle a défendu bien des militants alors aux mains des forces de l'occupation coloniale. Maghrébine, de confession israélite, auteur de plusieurs essais et romans, elle a, très certainement, voulu «tout donner» avec son roman La Kahina. Bien sûr, elle raconte l'histoire, assez romancée et à sa manière, de l'héroine berbère, avec un certain parti-pris, tout à fait compréhensible et, pourquoi ne pas le dire, assez subjectif... avec une répétition entêtée sur la judéité de la Kahina. Yahvé par ci, Yahvé par là, ça en devient gênant... surtout que les Arabes (par ailleurs pas antipathiques pour un sou d'autant que le «soutien physique», pour ainsi dire, de l'héroïne n'est autre que Khaled, un bel Arabe fait prisonnier), porteurs de l'Islam, sont là, prêts à la revanche, car battus à plate-couture une première fois, et à la conquête du pays.

L'autre satisfaction vient d'une connaissance érudite de la population berbère et des mœurs de l'époque. Un peu sévère, la Gisèle ! Mais c'est pardonnable tant il est vrai qu'on la sent «bien de chez nous», portant sa berbérité dans son âme et criant, à travers son roman, son appartenance à un peuple certes toujours traversé de dissensions internes, éternel rebelle, mais toujours debout et uni pour sa liberté.

Avis : A lire... et à faire lire par tous ceux qui aiment leur berbérité et ceux qui n'ont rien contre les autres religions !

Phrase à méditer : «Difficile et compliqué... Nous ne sommes pas un peuple ordinaire»

Rescapé de la guillotine. Les mémoires de Mostefa Boudina Editions ANEP. Alger 2008, 160 pages, 360 dinars.

C'est vrai, nos héros ont «pris de la bidoche» dans leurs fauteuils de sénateurs, et on avait, peu à peu, oublié leurs prouesses ou leurs sacrifices de moudjahidine, allant parfois, sinon souvent, jusqu'à les «descendre en flammes», sans autre forme de procès, pour leurs prestations après l'Indépendance. A tort ou raison !

Des «pas de chance» ? Non, tout simplement, à mon sens, parce qu'ils n'ont pas su (ou voulu, ou pu) raconter leur vie d'avant. Heureusement, les choses sont en train de se remettre, tout doucement, mais sûrement, en place, et l'Histoire de la lutte de libération nationale se (re) construit grâce, notamment, à des œuvres telles que les mémoires, les témoignages et les souvenirs de tous ceux qui y ont, peu ou prou, joué un certain rôle ou un rôle certain.

L'œuvre (préfacée par Ali Haroun qui n'est plus à présenter et qui la valide plus qu'il n'en faut) de Mostefa Boudina est de celles-ci. Condamné à mort (deux fois), poursuivi pour une troisième accusation, il relate son séjour ?après l'emprisonnement et les tortures - dans le couloir de la mort lyonnais, en attendant «d'avoir la gorge tranchée».

Horrible séjour, émouvants souvenirs... qui, à un certain moment, surtout celui où il raconte le martyre des frères emmenés, à l'aube, brusquement, à la guillotine, amène des larmes aux yeux... et vous pousse, quel que soit votre niveau intellectuel, votre pacifisme et votre envie de «réconciliation», à devenir haineux pour tout ce qui touche au fait colonial et à ses ultras... ainsi qu'à leurs héritiers d'aujourd'hui. Bref, passons ! Il faut que tous le sachent et l'auteur fait très bien de nous le rappeler : Les tribunaux militaires ont condamné à mort 2010 patriotes algériens (sans parler des condamnés à mort par contumace). 215 ont été graciés, MAIS, 210 ont été guillotinés et une dizaine ont été fusillés ou brûlés vifs. Les listes sont publiées en annexe du livre et devraient figurer sur un monument aux morts, peut-être le plus symbolique... qui reste à élever. Le nombre des rescapés de la machine criminelle s'élève à 1795. Mais, peut- on vraiment parler de rescapés après un passage ?toujours long, trop long - au «couloir de la mort» colonial. On en sort vivant, mais à moitié éteint, la joie ayant déserté à jamais les cœurs. Ceci explique, peut-être, cela !

Avis : Doit obligatoirement être lu. Toutes vos dérives vous seront pardonnées. Et, pour les «fainéants» des méninges, il se lit d'un seul trait, tant il est prenant par son style simple et direct, et émouvant à travers les sacrifices (et les guillotinés) racontés. En espérant voir, un jour, de larges extraits intégrés dans les livres scolaires d'histoire.

Phrase à méditer : «Aujourd'hui, le dialogue est impossible entre les victimes et leurs bourreaux (... ).C'est à la fin de leur vie que nos bourreaux sont en train de succomber au poids de leurs crimes (... ). Nous n'avons que faire de la repentance d'un bourreau (...). Il suffit qu'ils se dénoncent eux-mêmes devant le peuple français comme étant des bourreaux et non comme des héros»