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Maussade rentrée

par Pierre Morville

La crise risque de rebondir à tout moment et les solutions proposées, pas évidentes.

Curieux climat politique, à l'image des contrastes de l'automne où se mêlent quelques restes de l'été aux arrivées des premières pluies. Comme dans toutes les rentrées depuis le crash financiaro-bancaire de 2008, les responsables des sphères de la vie politique et du business multiplient des discours aussi incertains que contradictoires. D'un côté, on tente de rassurer le bon peuple : «on va bientôt s'en sortir !», «Il existe des solutions, difficiles, certes, mais efficaces», «la sortie de crise est devant nous, qui va générer des modèles de croissance positifs et plus vertueux»?

De l'autre les mêmes, dans un rictus d'effroi, décrivent la crise économique actuelle comme la plus féroce connue de mémoire d'économiste, à l'exception peut-être de la Grande Peste noire qui au XIVème siècle qui avait privé l'Europe de la moitié de ses habitants ! Les responsables politiques en appellent à des sacrifices sans précédent, ne promettant au populo que «du sang, de la sueur et des larmes». Comme dans les religions archaïques, le sacrifice humain se dessine comme la seule solution rationnelle?

Il est vrai, qu'après les charmes de l'été, les rentrées sont le moment des constats lucides et des résolutions volontaires. Faut-il que les solutions soient trouvées, qu'elles soient efficaces et qu'on les applique.

«ON NE SOIGNE PAS LA RECESSION AVEC DE L'AUSTERITE»

Automne 2008 : l'économie financiarisée (celle où les enjeux du commerce spéculatif sur l'argent l'emportent largement sur la production des biens et des services) bascule dans une crise sans précédent. Partout dans le monde, les banques et les sociétés financières, paniquées et au bord de la faillite, supplient les états de venir à leur secours («moins d'état», voire pas d'état du tout, un marché sans contraintes ni réglementation étaient pourtant jusque là, leur principal credo). Les Etats pourtant déjà lourdement endettés, ont accepté de payer les pots cassés en refinançant les banques et en garantissant leurs dettes abyssales. Bien évidemment, les gouvernements ont juré qu'ils allaient remettre de l'ordre dans cette économie de bonneteau dont les produits financiers raffinés et complexes, tels les «subprimes», ressemblaient fort à des arnaques internationales et où le secret bancaire était le meilleur masque d'une cupidité sans faille. On parla beaucoup de «réformes». On n'en fit rien.

Automne 2010, les financiers ayant reconquis leurs capitaux, leurs bénéfices et leur arrogance, n'ont rien trouver de mieux que de mordre au sang la main qui les avaient nourris: «les Etats se sont endettés pour nous sauver ? Spéculons sur leur dette !». Au nom bien sûr, des sacro-saintes et impénétrables vertus de la «main invisible du marché». Sacré claque ! Principale cible des agences de notation, des fonds de pension et des salles des marchés boursiers, la riche zone euro. L'Irlande, la Grèce, le Portugal, furent les premiers maillons faibles, suivis par l'Espagne et l'Italie. Les gouvernements régirent promptement : pas moins de 18 conférences internationales se sont tenues pour sauver l'Euro. A l'issue de chacune d'entre elles pompeusement dénommée, le «sommet de la dernière chance», les responsables politiques affirmaient la situation sous contrôle. Jusqu'à la prochaine fièvre spéculative. Côté remèdes, les gouvernants ont puisé dans les vieilles recettes du libéralisme, mis à l'honneur par Ronald Reagan et Margareth Thatcher, il y a plus de trente ans : coupes sans précédents dans la dépense publique (surtout dans les dépenses sociales), réduction drastique des dettes d'état, déréglementation du marché du travail, fiscalité très douce aux riches et aux entreprises, impitoyable pour les autres. Dans l'UE, rajoutons l'obsession d'un Euro fort», alors que toutes les autres monnaies internationales sont notoirement (et intelligemment) sous-évaluées?

Automne 2012 : la plupart des chefs d'état et gouvernements européens font mine de croire que l'arsenal de mesures d'austérité mis en place, est ou sera efficace. C'est la méthode Coué de la sortie de crise avec deux versions : optimiste, «une petite cure d'austérité nous rendra plus fort et plus résistant ; fataliste «de toute façon, on n'a rien d'autre à vous proposer». Pourtant, même les économistes les plus libéraux, constatent dans un soupir gêné, que les politiques d'austérité sans précédent mis en place en Europe, ralentissent mécaniquement la demande des ménages et des entreprises, accélèrent de ce fait la récession en cours, mettent à mal les consensus sociaux et rendent difficile le désendettement. Comme le rappelle, le prix Nobel d'économie Joseph Stiglitz, dans l'histoire, «aucune économie ne sait jamais remise d'une récession avec de l'austérité».

Explorer d'autres voies, oser un peu de hardiesse économique est déjà difficile dans un pays ; le faire dans l'union européenne relève du pari impossible. La mécanique bruxelloise fonctionne en effet sous la règle officielle de l'unanimité : il faut que tous les états soient d'accord pour décider d'une mesure. Dans la réalité, l'Allemagne, économie la plus puissante et qui jusque là a moins subi la crise actuelle, impose la seule rigueur budgétaire, même si celle-ci débouche sur une impuissance généralisée et le décrochage économique de beaucoup d'états-membres de l'UE. Du coup, les craintes se portent sur la pérennité même de la monnaie commune, l'Euro. La sortie des pays les plus fragiles de la zone euro reste une menace sérieuse. A tout le moins, s'imposent une révision et un assouplissement du fonctionnement monétaire et de son contrôle par la banque centrale européenne (BCE), qui campait jusqu'à peu sur une stricte orthodoxie monétaire et budgétaire. Mais il est difficile d'harmoniser davantage les règles économiques, financières et fiscales spécifiques à chaque pays, d'accroître la solidarité économique et sociale européenne, sans renforcer l'union politique entre états. Du coup, certains plaident pour une marche volontaire vers un système réellement fédéral. Mais c'est un pas en avant difficile à réaliser si l'on reste par exemple aux seules fortes différenciations des politiques étrangères ou de défense menées par les différents pays européens. Enfin, beaucoup craignent, au bilan de fonctionnement de la Commission et du Parlement européen, qu'une construction fédérale ne débouche sur «grand machin bureaucratique», sans contrôle démocratique qui éloigne encore un peu les peuples de l'idéal européen.

LA BCE SURPREND (EN BIEN !)

Hors de l'austérité, point de salut ! Paradoxalement, ce sont les milieux financiers et les investisseurs internationaux qui commencent à s'inquiéter des conséquences d'une rigueur dogmatique. L'effondrement de la croissance partout en Europe les interroge sur les politiques menées. Sans croissance en effet, pas de bénéfices. Une perspective peu réjouissante surtout à l'heure où les taux d'intérêts sont devenus ridiculement bas et les dettes des états très élevées. «L'austérité imposée est un échec de plus en plus criant, et elle devra reculer, comme elle l'a déjà beaucoup fait depuis deux ans sous la pression des marchés financiers, note l'économiste Charles Wyplosz, la plupart des pays européens sont ou seront en récession et n'ont plus les moyens de faire de la relance budgétaire. La politique monétaire a atteint ses limites avec un taux d'intérêt proche de zéro. Les marchés paniquent périodiquement face à la montagne des dettes publiques».

Le seconde surprise de cette rentrée fut l'inattendue décision de la Banque Centrale européenne qui rompait là avec sa traditionnelle orthodoxie (rigueur budgétaire, Euro fort, zéro inflation, pas de prêts aux mauvais de la classe..) : le 6 septembre 2012, Mario Draghi, le président de la Banque centrale européenne, a annoncé qu'il était prêt à racheter la dette publique européenne, de façon illimitée si nécessaire. «Historique, commente Fabio Liberti, chercheur à l'IRIS, le terme «illimité» est crucial. Jusque-là les plans de sauvetage mis en place par les Etats membres de l'UE, et les interventions de la BCE, étaient chiffrés et limités, ce qui permettait aux spéculateurs de tester les limites (...) Cette fois, Mario Draghi dit très clairement que la zone euro n'explosera pas : la monnaie est irréversible». Après cette annonce, la spéculation s'est fortement calmée en quelques jours et les taux d'intérêt espagnol et italien ont significativement baissé. En perspective, le chercheur évoque potentiellement l'économie de dizaines de milliards épargnés au profit de la croissance ou des services sociaux plutôt qu'au paiement de la dette.

Certes, ce rachat éventuel de dettes est naturellement assorti de conditions drastiques en matière de dépenses des états et de redressement de la dette. Mais dans le cas d'une indiscipline d'un état emprunteur, les marges de rétorsion de la BCE resteront plus morales qu'opérationnelles. On peut penser que Mario Draghi le sait, comme il ne mésestime pas l'importance de la croissance pour des mesures d'assainissement de long cours. Cette hardiesse du nouveau président de la BCE contraste fort avec les prudences antérieures de l'institution. Gérard Filoche en tire néanmoins trois leçons : «La première, c'est que la puissance de feu illimitée de la BCE (c'est elle qui crée les euros) pouvait faire rapidement reculer les spéculateurs. La deuxième, c'est qu'une politique visant à mettre au pas les spéculateurs en leur disant en substance «continuez à spéculer contre l'euro, vous en paierez le prix» est d'une tout autre efficacité que la politique qui vise à «rassurer» ces mêmes marchés. La troisième, c'est que la catastrophe sociale imposée par la Troïka à la Grèce, à l'Irlande, au Portugal et à l'Espagne aurait parfaitement pu être évitée si la BCE était intervenu avec détermination en 2010 et 2011».

AU PAYS D'HOLLANDE

Dimanche dernier, après quatre mois d'exercice du pouvoir, François Hollande s'adressait aux Français via TF1. L'exercice n'était pas facile. On vient de franchir, le seuil des 3 millions de chômeurs et un jeune sur cinq vit en-dessous du seuil de pauvreté. Les fermetures d'entreprises se multiplient, la croissance est quasi nulle et la France a perdu la moitié de ses parts à l'exportation. Bref, le moral est en berne et les impatiences commencent à se faire sentir. Somme toute, au regard des dangers, le «président normal» s'en est plutôt bien tiré. Héritant d'une situation plus que difficile et ne disposant que de manœuvres très limitées, François Hollande est resté dans le cadre de son programme de campagne, une réduction drastique du déficit budgétaire en deux ans (moins de dépenses d'état, plus d'impôts). Il a même présenté un agenda très contraignant : «réforme du marché du travail dès 2013, inversion de la courbe du chômage dès un an, redressement des comptes d'ici à 2014, construction ensuite d'une «société solidaire» note Eric Izraelewicz, le patron du monde.

Pour réussir son programme, François Hollande possède quelques atouts qui peuvent aussi se retourner rapidement. Les Français l'ont élu sans se faire trop d'illusions sur un redressement rapide mais les difficultés quotidiennes en matière de pouvoir d'achat et d'emploi peuvent rapidement rogner le capital de confiance. Les syndicats parient sur un renouveau de la négociation collective et du débat avec l'état, mais ils ne resteront pas sans réactions aux très nombreuses fermetures d'entreprises. La droite française est aujourd'hui affaiblie. François Fillon et Jean-François Copé se déchirent pour conquérir la tête de l'UMP mais, alors que la gauche est majoritaire à l'Assemblée nationale, au Sénat, dans la grande majorité des conseils régionaux et départementaux, à la tête de nombre de grandes villes, la perspective d'élections intermédiaires qui pourraient être favorables à l'opposition, va ressouder ses rangs et donner du baume au cœur à ses élus.

Quant à l'Europe, rien n'est joué.