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Violence permanente : révolte légitime ou perversion sociale ?

par Belkacem AHCENE DJABALLAH

On s'était habitué aux mouvements collectifs et autres émeutes qui éclataient pour un oui, pour un non, ici et là, à travers le pays?.On s'était habitué aux grandes arnaques économico-financières.

C'était devenu d'un banal ! Mais, les choses ont rapidement évolué. Désormais, comme le phénomène de la corruption qui s'est étendu aux individus au niveau des postes les plus subalternes ? sans que l'on s'en aperçoive ou, surtout, sans qu'on ne lui attribue tout de suite un degré de dangerosité sociétal important - voilà que la révolte touche des groupes très restreints et, même des individus, pourtant habituellement, hors de portée du virus de la violence (physique ou verbale? plus physique que verbale). Du moins, le croyait-on !

En un espace de temps très court, on s'est retrouvé face à des incidents incompréhensibles, parfois même pour leurs auteurs lorsqu'ils ont retrouvé la raison.

On a vu des gens assassiner froidement des proches parents pour deux sous, pour un arbrisseau, pour un téléphone portable minable ou pour un misérable lopin de terre. On a vu un professeur d'université tué par son étudiant pour un problème de notes ( paraît-il).

On a vu, un jour, une salle d'audience d'un tribunal devenir le théâtre de violentes scènes de vandalisme et être saccagée par les familles de deux accusés condamnés à 20 ans de prison ferme?pour meurtre avec préméditation. On a vu un policier se « rebeller» et prendre en otage un magistrat, en pleine salle d'audiences ?car mécontent de la condamnation de son frère jugé dans une affaire de drogue.

On a vu un policier vider son chargeur sur son supérieur hiérarchique, puis se suicider?.On a vu (on nous l'a dit, en tout cas) un haut responsable de la sécurité nationale (le comble !) en faire de même sur son supérieur hiérarchique ?et néanmoins «ami»? On a vu un wali sortir de ses gonds?et menacer publiquement de « fermer» les stations de radio et de télévision d'une grande région du pays parce qu'il estimait ne pas être bien « couvert » lors de ses activités officielles.

On a vu un service de cardiologie fermé aux malades durant deux années «à cause d'une querelle entre deux professeurs»? pour une histoire de bureau, un des concernés refusant de le quitter. On a vu des délinquants «attaquer» des commissariats pour libérer leur «chef» puis, déçus par la résistance des forces de l'ordre, s'en prendre aux citoyens paisibles et à leurs familles (exemple récent de Annaba)

On a eu un mois de ramadhan (2012) sans grande violence terroriste... mais une «petite criminalité » en hausse ?avec une nouvelle forme de criminalité organisée, moins saisissable mais plus dangereuse pour le citoyen normal : celle des bandes (pas encore des «gangs», encore que?) de quartiers populaires (les retombées de la suppression des bidonvilles et du relogement dans de nouvelles cités, disent les spécialistes) qui, parfois, font des «descentes» dans les quartiers supposés nantis afin de rançonner les citoyens ou qui se disputent des «territoires » dans des affrontements au sabre et à l'arme blanche.

Il paraît que les affrontements entre «gangs» ont augmenté de 100% en 2011?. dans plusieurs wilayas du pays. On a vu des productions nationales dites «culturelles», à la télévision entres autres, véhiculer de la violence. On a vu? On a vu?on voit?

Quelque chose ne « tourne plus rond » ici-bas, et la sécurité a déserté bien des murs?L'Algérie est classée fin 2011, 37è pays le plus violent du monde (classement Global Peace Index). Et, pourtant bien des efforts sont faits, en investissements humains et matériels, pour l'améliorer. Il est vrai qu'établir la nouvelle cartographie de la nouvelle criminalité de la nouvelle Algérie n'est pas chose aisée.

On ne sait si ce sont les moments de baisse, toujours angoissants, même s'ils sont passagers, du prix du baril de pétrole qui sont la cause de la nouvelle « descente aux enfers », ou la hausse vertigineuse, en un peu plus d'une décennie, des réserves de change qui en est la raison, ou si ce sont les changements climatiques, ou si c'est la hausse infernale des prix des produits de large consommation, ou si c'est l'impatience face aux confusions et aux valse-hésitations de la vie politique et économique nationale, ou si ce sont les retombées de la « réconcilio- tolérance 100 «, ou si ce n'est qu'une « mode», ou si ce n'est qu'une fièvre passagère de jeunes en « détresse », ou si c'est le virus dégénéré de la «présidentialite aiguë» ou si, tout simplement, pour paraphraser une juriste (Feriel Lounici, août 2012) parce que «le châtiment (de la justice) ne surpasse plus l'avantage résultant des délits?et que le mal de la peine ne surpasse pas le profit du délit?», ou?

Peu à peu, la révolte ou la «résistance sociale» comme énoncée par un sociologue (en partie légitime, au départ) s'est transformée en perversion sociale bien ancrée.

C'est tout là l'image d'une «société balançant entre déviances et déliquescence » ( Chérifa Sider, août 2012) qui n?arrive plus à se retrouver dans un pays qui, peut-être, se développe trop vite pour elle, avec ce que cela représente comme traumatismes et comme comportements étranges, car on a trop longtemps cru qu'ils étaient étrangers, et les décideurs pensant sincèrement qu'avec un discours politique social-populiste, une action politique politicienne ne gérant que le cours terme et une atmosphère empreinte de morale religieuse, allaient faire barrage aux coups du mauvais sort et éviter les maux «occidentaux » chez un peuple, déjà fataliste, puis peu à peu devenu hypocrite. « Chaque jour, on interdit la vente de l'alcool dans un café ou dans un autre. Alors, patron et clients transportent leurs pénates ailleurs.

Le peuple boit, le peuple vend à boire, le peuple défie toutes les interdictions, tandis que les responsables essayent de gagner ses bonnes grâces en affectant de défendre la morale et la religion », ainsi s'exprimait un des personnages de Tahar Ouettar (Ez-Zilzel, 1973), que Dieu ait son âme, un auteur qui, il faut le reconnaître, en dehors de toute polémique quant à ses positions francophobes passagères, avait vu venir les choses bien avant tout le monde.

Hélas, trop de dépassements et de dérives institutionnelles, trop de mauvais exemples venus des «Algériens d'en haut » ont fait accroître, en haut et en bas que, désormais, dans ce pays, « il n'y a de changement que par l'anarchie : on est en train de nous acheminer de plus en plus vers une société basée sur l'exclusion et la destruction. «Je ne suis pas d'accord avec toi, alors je te détruis» (Zoubir Arous, universitaire chercheur au Cread, in Liberté 21 octobre 2008) et que « un être sans loi n'est pas un hors-la-loi, d'où un sentiment de non-culpabilité qui accompagne la violence actuelle» (Farid Kacha, psychiatre, 2009).

Prendre conscience, au niveau des décideurs, du problème, de ses dimensions et de ses retombées ne suffit pas, ne suffit plus. Il faut un changement radical, semble-t-il. De quoi ? Quand ? Comment ? Avec qui ou/et par qui ? Telle est la question. De toute façon, n'est-t-il pas déjà trop tard, notre système se retrouvant enfermé dans le cercle vicieux ( construit durant des décennies par des «viciés» et, maintenant, bien entretenu par des «vicelards») de la sanction et du pardon aveugles, amenant tous les deux, inéluctablement, soit la haine (avec la loi du plus fort) soit l'anarchie (avec la loi du mieux placé ).

La situation paraît bien compliquée et la solution idéale presque introuvable?. comme la «Nouvelle Ecole» d'ailleurs. Sauf si la société? se faisait violence? pour sortir enfin de son «organisation d'origine rurale donc de type traditionnel et de caractère segmentaire donc fondamentalement clandestine » (Slimane Medhar, 2009). Sauf si tous les citoyens, administrateurs et administrés, gouvernants et gouvernés, pauvres et riches, honnêtes gens et vieux malfrats repentis, enseignants et enseignés, juges et avocats, journalistes ou animateurs et lecteurs ou auditeurs/téléspectateurs se (re-) mettaient, pour guérir, dans le bain d'une sorte de psychothérapie collective, afin de se comprendre et de comprendre les autres, à la lecture et à la découverte d'Ibn Khaldoun. Encore faut-il que ce dernier accepte de se réveiller dans ce nouveau monde où les gens n'ont progressé que dans leurs folies!