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Ouyahia et Belkhadem, en embuscade pour la présidentielle

par Abed Charef

Les dirigeants des deux principaux partis du pays, Abdelaziz Belkhadem du FLN, et Ahmed Ouyahia du RND, ont été éjectés du gouvernement. A priori, ils n'ont même pas été consultés pour la formation de la nouvelle équipe, dirigée par M. Abdelmalek Sellal, qui n'a pas pris la peine de les associer dans sa démarche.

Pourtant, le parti de M. Belkhadem est supposé avoir remporté une victoire historique lors des législatives de mai 2012. Le RND, de son côté, et sans pouvoir résister au raz-de-marée FLN, a sauvé les meubles en se maintenant en deuxième position. Quant au Président de l'Assemblée nationale, il a, certes, été choisi parmi les députés FLN, mais il doit visiblement son poste à d'autres atouts, sans rapport avec son appartenance au parti dirigé par M. Belkhadem.

Le nouveau Premier ministre n'a pas d'activité partisane connue. Il appartient à un autre profil : énarque, ministre docile, cultivant ses relations avec tout le monde, n'affichant jamais une position qui risquerait de le situer dans un courant ou dans un clan plutôt qu'un autre. Ministre sans interruption depuis une quinzaine d'années, il a cohabité avec des chefs de gouvernement aussi différents que Ahmed Ouyahia, Abdelaziz Belkhadem, Ahmed Benbitour et Ali Benflis. C'est dire si l'homme a fait preuve de la souplesse nécessaire pour entrer puis rester au gouvernement.

Est-ce suffisant pour supplanter MM. Ouyahia et Belkhadem ? Faut-il en conclure que les chefs du FLN et du RND ont été éjectés, et que leurs carrières sont derrière eux ? Nombre de commentateurs et de blogueurs se sont enthousiasmés pour cette explication, mais il semble bien que la réalité soit différente. Car tout indique que MM. Ouyahia et Belkhadem se sont libérés pour se préparer à la véritable échéance politique qui se prépare, la succession de M. Abdelaziz Bouteflika.

Même s'ils le font de manière timide, les deux hommes se sont longuement préparés à cette éventualité. M. Ouyahia se verrait bien comme le candidat de la bureaucratie et de l'autoritarisme, gérant le pays sans état d'âme, en coordination avec l'appareil militaire et sécuritaire qui le mandaterait à cet effet. Il a montré les dispositions nécessaires en ce sens.

Abdelaziz Belkhadem serait, quant à lui, une caution parfaite pour contrer une éventuelle velléité islamiste. Avec un zeste de nationalisme et une pincée d'islamisme, arborant sa barbe de la main droite et un drapeau de la main gauche, l'homme permettrait de couper l'herbe sous les pieds des uns et des autres. Et tout comme Ouyahia, il serait, lui aussi, d'une docilité parfaite, la couverture rêvée pour un pouvoir qui veut continuer à tirer les ficelles sans jamais s'afficher.

Il est fort probable que les deux hommes vont donc bientôt partir à la conquête de l'Algérie profonde, pour rencontre les vrais gens, ces Algériens qui triment et qui souffrent, ceux qui travaillent et qui ont l'Algérie au cœur. Ils se rendront dans les douars et les villages, ils serreront des mains, écouteront des gens, montreront de l'intérêt pour des choses insignifiantes, hocheront la tête pour bien montrer à quel point ils sont fascinés. Cela fait partie du jeu, pour se fabriquer une image qu'ils pensent nécessaire pour accéder à la magistrature suprême.

Ceci pour l'image. Car les deux hommes savent que tout n'est qu'un jeu, une manière d'habiller une réalité très différente. Tous deux ont suffisamment fréquenté les arcanes du pouvoir, vécu dans les coulisses et participé à des coups tordus pour avoir que les choses se passent autrement, que le choix d'un chef d'état en Algérie est une chose bien trop sérieuse pour être confiée à des partis ou à l'urne. Et qu'il ne suffit pas de battre la campagne pour gagner une élection présidentielle.

Ce sera d'ailleurs le grand sujet d'intérêt dans le pays durant les prochains mois : il faudra suivre comment MM. Belkhadem et Ouyahia feront semblant de croire à un jeu institutionnel, eux qui, après avoir réussi de «bons» résultats aux législatives de mai 2012, se trouvent éjectés du gouvernement. Il sera très instructif de voir comment ils affronteront des «redresseurs» au sein de leurs partis, comment ils jureront d'en remettre à la base et au peuple, et à quel point ils feront semblant de respecter le jeu institutionnel.

Toute cette activité de façade sera très utile pour occulter le vrai jeu qui décidera du sort de l'Algérie : le contrat entre le système et le prochain chef de l'Etat portera-t-il sur la préservation du statuquo, sur le maintien du système politique actuel, ou bien ouvrira-t-il une porte vers un changement en douceur, pour permettre à l'Algérie d'entrer dans le monde moderne ? MM. Belkhadem et Ouyahia, séparément ou ensemble, offrent une solution parfaite pour garantir le maintien de l'impasse actuelle.

Car malgré un look très différent, ils sont parfaitement interchangeables, et ils partagent un trait de caractère essentiel : ils savent se mettre en embuscade pour une échéance politique, mais ils demeurent incapables de bâtir un avenir pour l'Algérie.