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Livres : les spécialistes du «dedans»

par Belkacem AHCENE-DJABALLAH

On se demande toujours, ce que peuvent apporter de neuf, à la pensée économique contemporaine nationale, des anciens (haut) fonctionnaires. Ceci est valable pour les auteurs présentés ci-dessous et bien d'autres. Tout particulièrement ceux qui ont été (ou se sont)

éloignés ? pas toujours en douceur - des fonctions étatiques de décision. Si pour les «essayistes» en fonction, ministres ou non, on sait d 'avance que leurs écrits ne peuvent qu'être apologétiques, en bonne partie, pour les «exclus», c'est une autre paire de manches. Une analyse critique objective (ou, pas trop subjective ou même rancunière) de situations auxquelles ils ont, peu ou prou, contribué, à un moment donné de leur carrière ? Pourquoi pas ! Il est vrai, qu'avec l'éloignement «géographique» des premiers cercles du pouvoir, la vérité est bien plus facile à «dire» ; et puis, l'âge aidant, il faut bien commencer à dire et à écrire ce que l'on a toujours pensé mais que l'on ne pouvait pas dire ou qui, dites, n'étaient pas entendues ou, alors, étaient «transformées» pour les besoins de causes circonstancielles. On relève cependant la manie chez nos économistes et financiers? de revenir sans cesse au rôle central de l'Etat. Il est vrai que la plupart d'entre eux (nous !) ont fait leurs premières (et belles, croyons-nous !) armes avec, dans et grâce à l'Etat. Chassez le naturel, il revient au galop !

L'Algérie face aux chocs extérieurs? Etudes de Salah Mouhoubi.Enag éditions, Alger 2012 119 pages, 280 dinars

Bardé de diplômes universitaires, ancien haut fonctionnaire international, ancien chargé de mission à la présidence de la république, enseignant universitaire, conseiller au Cnes (si! si! ça existe encore, avec les mêmes conseillers depuis près de deux décennies), enseignant universitaire, consultant en économie et finances à la radio nationale? et (assez bon) romancier à ses moments perdus. Une très longue et assez riche expérience, il faut le reconnaître ; expérience qui pousse à s'intéresser à ses essais économiques, en serait-ce que par curiosité.

A l'instar des pays touchés par la crise, l'Algérie est, elle aussi, confrontée à des difficultés certaines? Salah Mouhoubi les énonce, les détaille, avec l'œil expérimenté du financier qu'il est avant tout. Pour lui, il est évident que la crise financière qui a éclaté fin 2007 et la récession économique qui a suivi en 2008, ressemble à un tsunami ravageur? et les conséquences seront ressenties durablement.

Heureusement, l'Etat reprend ses prérogatives en matière de régulation, mais aussi en tant qu'agent actif et protecteur de l'économie nationale. Cela suffit -il ? Car, l'Algérie «est l'un des rares pays au monde à être ainsi vulnérable aux chocs extérieurs».

...L'auteur tente de dégager une réponse, pas toujours satisfaisante car, donnant une part trop belle à l'Etat au nom de la «souveraineté» et de la lutte contre les «chocs» extérieurs. L'homme, l'individu est un «peu beaucoup» le grand oublié.

Avis : A lire, si vous vous intéressez à l'économie et aux finances? et à l'avenir de votre progéniture (celle qui n'est pas encore installée à l'étranger !) Phrase à méditer : «La question fondamentale qui se pose est de savoir s'il s'agit d'une réaction (des pouvoirs publics) pour gérer une conjoncture difficile et décisive pour maîtriser l'avenir à court et moyen terme ou d'une stratégie qui s'inscrit dans la durée ?»

Economie algérienne. Eclairages? Recueil de chroniques de Abdelmadjid Bouzidi. Enag éditions, Alger 2011 460 pages en français, 750 dinars

Enseignant universitaire, ancien directeur de l'Aardes (il a, je crois, succédé à M'hamed Boukhoza au début des années 80), ancien conseiller économique à la présidence de la République (Kafi puis Zeroual...puis un tout petit mois ou deux avec Bouteflika), consultant auprès du Cnes, collaborateur régulier de plusieurs journaux.

106 papiers ou «chroniques» économiques, classées par thèmes (9), publiées durant presque six années dans la presse nationale (Le Quotidien d'Oran puis Le Soir d'Algérie) . Cela va de «L'économie algérienne» à «La démocratie, le réformisme et le socialisme» en passant par «Les industries et politiques industrielles», «L'ouverture économique, le libéralisme et le rôle de l'Etat» et, bien sûr, l'inévitable «Pétrole».

Voilà donc Abdelmadjid Bouzidi ! Et, avec lui, on refait, en quelque sorte, ses «classes» tant il est vrai qu'il (et se veut) très pédagogique, ayant bien conservé ses (vieux) réflexes d'(ancien) enseignant à la fac' de Sciences éco' d'Alger des années 60-70, alors unique, ayant été un des plus prestigieux centres de formation de l'élite africaine et méditerranéenne.

Avis : A lire sans trop se presser pour ne pas perdre le fil de la «pensée» bouzidéenne. On aurait aimé avoir une datation de chacune des chroniques, afin de pouvoir nous re-situer dans les contextes (ô, combien changeants) de l'époque.

Phrase à méditer : «La vie politique moderne passe aujourd'hui par les institutions, et la «bonne gouvernance» n'est rien d'autre que celle qui repose sur les institutions représentatives, espaces de délibérations et donc de débats»

Algérie. L'Histoire en héritage? Essai de Smail Goumeziane. Edif 200, Alger 2011492 pages, 900 dinars

Ancien haut fonctionnaire au ministère de l'Industrie, ayant fait partie du groupe des réformateurs, ministre dans le gouvernement de Mouloud Hamrouche (on comprend mieux les analyses de la fin de sa cinquième partie et de l'épilogue ), aujourd'hui enseignant universitaire en France, Smail Goumeziane a déjà publié plusieurs ouvrages politico-historiques ou socio-économiques? ou comme cet ouvrage, historico-économique.

Un touche-à tout ? Non. Seulement un encor' jeune ancien commis de l'Etat qui tente de comprendre et de faire comprendre l'évolution du pays. Il n'a pas tort de vouloir remettre les choses à leur place et, ainsi, de contribuer à l'apaisement des débats, à la clarté des argumentations? en sortant de l'Histoire des «vaincus», de celle des «vainqueurs»? la plupart du temps officielles. Une bonne vision globale et consensuelle (quelle horreur que ce mot !) de toute l'histoire du pays.

Cinq parties : Celle des origines. Celle de l'héritage berbéro-arabe et musulman (il a l?air d'y tenir!) ? de la Berbérie (quand même !). Celle de la résistance au processus colonial. Celle ayant trait à la Guerre de libération nationale Celle, enfin, consacrée à la période qui suit l'indépendance du pays. Et, un épilogue assez politique, assez généreux, axé autour du «sédiment-transformation démocratique» qui fait tant défaut au pays? et que, d'après l'auteur, «l'appel du 17 février 2011 de Abdelhamid Mehri, les messages aux Algériennes et aux Algériens de Hocine Ait Ahmed en date du 22 mars 2011, les interventions de plusieurs officiers en retraite (ndlr : Issus de la Grande muette!) parues dans la presse, mais aussi de nombreux citoyens en Algérie et dans le monde (via internet)» auraient pu, entendues bien sûr, aider à promouvoir un «large rassemblement pacifique». Reste, à mon sens, que le gros problème ceux sont justement ces (bonnes) volontés dont tout le monde parle et que l'on ne trouve nulle part. Avant-hier, hier, aujourd'hui? demain étant, pour beaucoup, un autre jour.

Smail Goumeziane, un touche-à tout ? Non. Seulement un encor' jeune ancien commis de l'Etat, mis trop tôt «sur la touche» par le «système», qui tente de comprendre et de faire comprendre l'évolution du pays.

Avis : Conseillé aux étudiants en Histoire, en Sciences politiques et en Economie. Conseillé, aussi, à tous ceux qui ont la mémoire courte. Et, à tous ceux qui pensent encore que l'Histoire du pays commence avec eux et sera bien tristounette après leur «départ»...

Phrase à méditer : «L'Histoire de l'Algérie, au fond, c'est l'histoire de chacun et l'histoire de tous»